Tuesday, December 11, 2018
Monday, November 26, 2018
Le
communautarisme : un virus prolifique
La mondialisation, le retour du religieux et l’accroissement des flux
migratoires ont favorisé les crispations identitaires, le populisme et le virus
du communautarisme. Institutionnalisant ou
faisant prévaloir les spécificités et les revendications des communautés ethnolinguistique ou religieuse, cette
idéologie conduit-elle à l’éclatement de la société et
de l’État
en plusieurs groupes d’appartenances au détriment de l’intérêt national ? Est-elle un danger ou un système de gestion
approprié de la diversité socioculturelle ? Les réponses à ces questions dépendent du contexte historique, de l’homogénéité
de la population et de la philosophie politique de chaque pays. Le laïcisme
français et le confessionnalisme politique
libanais constituent à cet égard deux « idéaux types » opposés. Tandis
que le multiculturalisme représente une voie
moyenne. C’est le cas par exemple au Canada. Pays fédéral, constitué à l’origine
de deux communautés distinctes, il considère le pluralisme culturel comme une richesse
et reconnaît le droit
à la différence des populations issues de l’immigration. C’est aussi le cas aussi du modèle britannique qui ne cherche pas à assimiler les
immigrés. Il existe ainsi à Londres des
quartiers entiers où le séparatisme
identitaire est visible et il ne viendrait jamais à l’idée des autorités
d’interdire, comme en France, le port du voile intégral dans l’espace public.
Le Liban constitue de facto une fédération de communautés à base non territoriale. Héritier du système des
millets ottoman, le confessionnalisme libanais pervertit autant la sphère politique
que socioculturelle, empêchant l’émergence d’une véritable citoyenneté. Instauré " à titre
provisoire " par la Constitution de 1926, il a été malheureusement renforcé. La montée de l'islamisme
ainsi que le déclin démographique des chrétiens font qu’il est sans doute trop
tard pour inverser cette dérive. Cela dit la sécularisation formelle des
institutions n'a pas empêché l'accaparement du pouvoir par les alaouites en Syrie. Si le modèle politique « consociatif » du Liban souffre
de nombreuses tares, dont celles de favoriser la mauvaise gouvernance et la
paralysie, il lui a du moins évité de subir le sort de la Syrie. Et un système similaire de partage communautaire du pouvoir a été considéré comme le meilleur moyen de mettre
fin au conflit en Irak. .
Erigée en quasi-religion par la Révolution Française, la laïcité a été codifiée par la loi
de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Alors que la République ne reconnaît que les
individus, elle se heurte de plus en plus à des revendications identitaires, de la part
de groupes islamistes gagnés par la propagande salafiste, contraignant
nombre d’édiles à la « soumission ». Il existe à l’inverse un « intégrisme laïc » qui va
jusqu'à vouloir bannir les signes religieux chrétiens dans l’espace public. Et des
voix dénoncent, à l’instar d’Eric Zeimour, « Le Suicide français ». Alors que le modèle français a réussi à assimiler les vagues successives d’immigrés d’origine
européenne partageant les mêmes valeurs,
il peine à le faire avec les musulmans. Bien qu’une majorité se soit intégrée, une partie d’entre eux, surtout la jeunesse défavorisée des banlieues,
ne le sont pas, ou plutôt refusent de l’être. Des communes de certains départements ont été ainsi qualifiées de « territoires perdus de la
République ». Des bandes de
casseurs expriment leurs
frustrations et leur rancœur envers
l’ancienne puissance coloniale en
saccageant des commerces et en brulant des voitures. Et plusieurs attentats
terroristes ont été perpétrés par des
Français d’origine maghrébine ou africaine. Ce défi sociétal doublé d’une menace sécuritaire, a conduit l’Etat, depuis la présidence de Nicolas
Sarkozy, à tenter de promouvoir « un
islam de France » ; alors qu’il n’y a en principe qu’un islam ou des musulmans en
France. Il est même question à cet effet d’amender éventuellement la loi de 1905.
Mais l’Etat laïc doit-il se mêler de
religion ? Ne revient-il pas aux
musulmans eux-mêmes de lutter contre l’islamisme radical et de prôner un
islam plus libéral ?
En réalité le communautarisme à
l’anglo-saxonne et la laïcité à la française éprouvent autant de difficultés à
gérer le problème posé par la croissance des populations musulmanes
d’Europe. Ce problème a été aggravé pas l’afflux massif récent de migrants noirs
et musulmans en provenance du Moyen-Orient du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.
L’incapacité des pays de l’Union Européenne à y faire face a mis en relief
leurs divisions. Elle explique, entres
autres, la popularité d’un Matteo Salvini en Italie ou d’un Victor Orban en
Hongrie. Tandis qu’à l’inverse Angela Mekel paie le prix de son accueil
inconsidéré de plus d’un million de migrants en Allemagne qui traduit sa
méconnaissance totale des réalités. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à
une montée des mouvements d’extrême droite qui allient ultranationalisme,
islamophobie et méfiance envers Bruxelles. Percevant l’islam comme une menace
contre la civilisation européenne, ils se proposent de lutter contre son
« islamisation » rampante. C’est le cas du Front National rebaptisé
« Rassemblement National ». Ou de l’Allemagne qui
a été le théâtre de manifestations antimusulmanes de la part de groupuscules
racistes d’extrême-droite, comme PEGIDA (Les
Européens Patriotes contre l’Islamisation de l’Occident) qui sont dénoncés
par la majorité de l’opinion. L’intégration des
populations musulmanes présentes en
Europe et l’enrayement des flux migratoires que risque d’entraîner
l’explosion démographique en Afrique apparaît donc comme un des principaux
défis, quasi existentiel, qu’elle devra affronter.
Ibrahim
Tabet
La Francophonie, l’anglais et le défi du numérique.
Table
ronde de la Renaissance Française -
délégation du Liban - au Salon du Livre
francophone de Beyrouth 2018. .
Premier à prendre la parole, Ibrahim Tabet
(modérateur et président de la délégation libanaise de la Renaissance Française)
a présenté l’association qui a pour but de
participer au rayonnement de la langue française, ainsi que de la culture et des valeurs de la
francophonie. Il a tenu ensuite à saluer l’action de
l’Institut français pour promouvoir la
diversité culturelle et les talents locaux. Pour lui « le succès du salon
francophone du livre de Beyrouth témoigne de la vitalité de la francophonie au
Liban. » […] « La francophonie est aujourd’hui confrontée à de nombreux défis : notamment la
révolution numérique, la mondialisation qui diffuse
partout les produits de la culture de masse américaine, et l’hégémonie de l’anglais qui
affecte le statut du français
comme langue internationale. Certes, pour la plupart de ses locuteurs, hors
des pays anglo-saxons, l’anglais n’est qu’une langue outil réduite à sa plus simple
expression. Mais, bien que le français soit
d’avantage une langue de culture, force est de constater que, sauf en
Afrique, il enregistre un certain recul dans les pays où il n’est pas la langue natale. Cela, malgré l’action du réseau des Instituts Français et
la contribution des organisations de la société civile qui militent dans le
même sens. »
[…] « Au sein de l’hexagone, où leur langue
n’est pas menacée, la plupart des Français se sentent, moins concernés par la défense de la
francophonie que, par exemple, les Québécois, les Wallons et beaucoup de Libanais
francophones. C’est aussi le cas des firmes multinationales françaises dont la
communication interne se fait en anglais, mais aussi d’institutions comme les
universités qui font de plus en plus place à l’anglais pour attirer des
étudiants étrangers. Tandis que les géants américains de l’Internet favorisent
la diffusion de l’anglais à travers le monde.
Quant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle
s’est éloignée de son cœur de mission
qui est linguistique et culturel et s’est
transformée en une organisation politique regroupant majoritairement des
pays non francophones. »
Se demandant si « la francophonie est
une passion française », M. Marcel Laugel, ancien ambassadeur de France et
écrivain, déplore le fait que « la France métropolitaine donne bien
souvent l’image d’ignorer la francophonie ». « On peut être consterné de découvrir des politiques français
qui ont recours à l’anglais dans leurs déclarations
officielles. Cependant, défendre le champ d’influence de la langue
française, comme le note Jacques Attali en économiste, constitue un enjeu
absolument stratégique pour l’avenir.» Pour lui, « le Liban, fort heureusement,
ne suit pas cette voie ». […] « L’Ambassade de France, de son côté,
travaille pour développer la francophonie et agit de manière significative dans
le domaine éducatif. Le dispositif français à travers le
monde, scolarise 70.000 élèves libanais, dont 10.000 à l’extérieur du pays,
soit 20 % des effectifs du réseau français à l’étranger. Et sur un million
d’enfants scolarisés au Liban, 53% apprennent la langue de Molière. Enfin c’est
au Liban que se trouve le principal vivier du professorat francophone dans le
monde. M. Rispoli, Conseiller d’action culturelle chargé de l’Audio-visuel, se
félicite sur ce plan du réseau d’écoles homologuées par la France et se réjouit
du vecteur culturel et intellectuel qu’est la langue française incarné par le
succès à Beyrouth du livre francophone. Le
président Emmanuel Macron, caresse le projet de doubler
le nombre d’élèves des réseaux français dans le monde. Exprimant son souhait de
promouvoir le Français dans les échanges et les institutions internationales,
comme l’ONU et l’Union européenne, il a ajouté que l’anglais est devenu une
langue de consommation, alors que le français est une langue de création. »
Pour Farid Chéhab, qui vient de signer
son dernier ouvrage « Un pont sur le
XXIe siècle » : « le numérique
signifie un changement de paradigme total dans notre façon de penser,
d’agir, de créer, de produire et plus simplement de vivre ». A l’ère du numérique, les élèves n’ont plus besoin d’accumuler des
connaissances qu’ils trouvent facilement sur le Net. Il s’agit de former
des têtes bien faites, plutôt que bien pleines. Il qualifie de « fondamentalistes de la francophonie » ceux qui s’accrochent à la pureté de la langue française, dans son sens
littéral, bâti sur son héritage
littéraire et sa grammaire, et refusent
l’idée d’une évolution nécessaire imposée par le nouveau langage numérique du
monde. « En admettant que la barrière de la langue tombe, nous les
francophones pouvons adopter une attitude défensive ou ambitieuse »,
déclare t-il. : « L’attitude défensive constitue à mener un combat
d’arrière garde pour défendre l’utilisation et la pureté de la langue française. L’attitude ambitieuse à considérer que, plus qu’une langue, la francophonie est
une culture faite de liberté, d’humanisme et de valeurs : l’esprit
francophone. » […] « Soyons
les champions de la liberté dans un monde où des hommes utilisent le numérique pour nous
asservir. Aujourd’hui, la révolution informatique et biologique remet en
question les droits de l’homme. Il faut les réactualiser dans le nouveau
contexte et les adapter aux nouvelles exigences créées par la technologie. Le
numérique est lui-même à la recherche de solutions en bioéthique, et protection des données personnelles. La francophonie peut être la championne de
cette nouvelle mission. »
Romancière et journaliste, Jocelyne Awad a
abordé le sujet de la crise du livre et de la lecture. Pour
elle, le secteur livre en France a remonté la pente
et le livre numérique a le vent en poupe.
En 2017, plus de 356 millions de livres ont été vendus dans l’Hexagone
(avec 9% de livres numériques de plus qu’en 2016). Par contre au Liban, la lecture a régressé plus qu’en Occident. La grande majorité des 15 -25 ans lit de moins en moins. En
général, les gens se sont de plus en plus habitués à l’information courte et
aux articles à lire en vitesse. Les grands lecteurs sont les femmes et les plus de 50 ans. Le livre
est cher. Le monde de l’édition locale en français qui était florissant connaît un ralentissement. Cependant, fait
positif : de nombreux clubs de lecture francophones voient le jour à
travers le pays. Les libanais lisent malgré tout en français 4 fois plus de
livres en moyenne qu’au Maroc par exemple. Pour donner le goût de la lecture
aux enfants, l’effort des parents est
indispensable. Quand il y a peu de
livres à la maison, les enfants lisent moins. Il faut que dans l’esprit
de l’enfant ou de l’adolescent, lire soit perçu comme une activité qui donne du
plaisir. Ils aiment la bande dessinée, les romans policiers ou, d’aventure. Il
n’est jamais trop tôt pour réveiller l’intérêt pour la
lecture.
Médiatrice, romancière et poète,
Joëlle Cattan a défendu l’idée de la francophonie comme identité. Pour
elle, la Francophonie fait partie de
notre identité, « une identité qui nous habite de l’intérieur, celle que
nous avons dans l’être, parfois même dans nos gênes et nos veines » […]
« Quelle que soit la définition donnée à la Francophonie, que celle-ci
soit au sens stricto sensu du dictionnaire (qui parle habituellement le
français), ou au sens large, c’est-à-dire d’un élan en faveur, de la défense de la langue française, de la diversité culturelle, et des valeurs démocratiques. » […] « Nous
ne cessons pas d’être francophones que nous soyons bilingues, trilingues, ou
multilingues. Bien au contraire, les personnes parlant plusieurs langues, sont
les plus grands défenseurs du français » […] « Au lieu de parler du
danger du numérique, sachons l’utiliser
à bon escient pour en faire un tremplin, et non un problème. A nous de
ne pas privilégier la lecture par survol, la communication par des émoticônes. A
nous de convertir les défis du numérique
en opportunités, grâce à la création
-individuelle et collective- dans toutes ses expressions, et sous toutes ses
formes. » Elle a conclu son allocution par un poème-profession de foi en
faveur de la francophonie.
Friday, November 2, 2018
Plus royalistes que le roi ?
On a parfois l’impression que beaucoup de Français se sentent moins concernés par la défense de la
francophonie que, par exemple,
les Wallons, les Québécois, les Suisses ou les Libanais
francophones. Leur attachement à ce qu’ils considèrent être une
composante de leur identité culturelle
s’explique sans doute par le fait qu’ils
constituent des minorités au sein de leurs environnements. Et pour les Wallons, par la volonté d’affirmer leur différence, par rapport à leurs compatriotes
néerlandophones. Loin de moi l’idée de minimiser
l’efficacité de l’action des institutions officielles françaises comme l’AUF ou le réseau des Instituts Français, et de passer sous silence la contribution des organisations
de la société civile qui militent dans le même sens. Et leurs efforts pour promouvoir la diversité culturelle et l’ouverture sur les
autres cultures méritent d’être salués. Mais
force est de constater la relative
indifférence de l’opinion publique et du secteur privé français vis-à-vis de ce
qu’ils considèrent comme un combat d’arrière garde. C’est surtout le cas des firmes
multinationales françaises dont la
communication interne se fait en anglais, mais aussi d’institutions comme les universités
qui font de plus en plus place à
l’anglais pour attirer des étudiants étrangers. Quant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle s’est
éloignée de sa mission première qui est la
défense de la langue française, Au nom de la promotion , certes louable, des valeurs incarnées par la francophonie et
d’un monde multipolaire, elle s’est transformée en une
organisation politique regroupant
majoritairement des pays non
francophones, au lieu de concentrer ses moyens sur les pays qui le sont ; notamment
ceux dont le français est la seconde langue, où la jeunesse se
tourne de plus en plus vers l’anglais, pour des raisons utilitaires.
Une république bananière en état
de décomposition avancée
Le Liban où aucune réforme
sérieuse n’a été entreprise depuis la présidence du général Fouad Chéhab fait figure de pays irréformable et gangrené
par la corruption. Il occupe le 143e rang sur 180 pays du monde
au classement 2017 de l’indice de perception de la corruption, publié dans le
rapport annuel de Transparency International (TI). Le
dicton « un poisson pourrit par la tête » s’applique malheureusement
au pays où la corruption sévit parfois au sommet de l’Etat et où certains des
principaux leaders politiques des communautés
ne s’entendent que pour faire main basse sur les fonds publics. Les
montants représentés par cette grande corruption sont bien plus considérables
que les pots de vins versés au menu-fretin des fonctionnaires. Comment peut-on demander à un fonctionnaire qui est au bas
de la hiérarchie de l'administration publique de ne pas accepter de pots-de-vin
lorsqu'il voit ce qui se passe au-dessus de lui ? Le système
confessionnel qui fait que toute mise en cause d’un politicien ou d’un haut-fonctionnaire
soit considérée comme étant dirigée contre sa communauté, explique en grande
partie la totale impunité dont jouissent les corrompus. Il existe certes des
politiciens, des fonctionnaires et des magistrats intègres, mais ils sont
impuissants face à l’absence de réelle volonté politique de lutte conte la
corruption. Il en est de même de la
justice et des organismes de contrôle comme la Cour des comptes ou l’inspection centrale qui ne sont pas
indépendants du pouvoir politique. Quant à la nomination d’un ministre de la
lutte contre la corruption au sein du gouvernement sortant, ce n’est que de la
poudre aux yeux. Depuis l’élection du président Aoun - qui avait traité ses adversaires politiques
« d’association de malfaiteurs » quant il était dans l’opposition - la
situation du Liban est toujours aussi calamiteuse, bien qu’elle ne date pas de
son mandat. C’est ainsi par exemple que, plus de 27 ans après la fin de la
guerre, les citoyens ne bénéficient toujours pas d’une électricité 24h/24 fournie
par l’Etat, alors que depuis dix ans, le ministère de l’énergie est aux mains du
Courant patriotique libre (CPL). Le
cumul des déficits dans ce domaine depuis la fin de la guerre est estimé
à 30 milliards de dollars, plus du tiers de la dette publique ! L'hémorragie financière de l'Electricité du Liban se
situe actuellement autour 1,5
milliard $/an. Un rapport de
l'administration en charge des appels d'offres concernant une nouvelle location
de deux centrales électriques flottantes, dont le coût est estimé à 1,7
milliards de dollars pour deux ans, dans le cadre d'un énième plan électricité
présenté par le ministre actuel de l'Energie, recommande au gouvernement de rejeter
les offres retenues à cause de nombreuses irrégularités, le manque de clarté et
de transparence, et le non-respect des règlements en vigueur. Mais sa
recommandation a été ignorée alors que les montants dépensés depuis la location
de ces navires auraient permis l’acquisition d’une centrale électrique. Et ce
ministre à commencé par rejeter une
offre de la firme Siemens susceptible de résoudre le problème de l’électricité
du pays avant de se raviser suite aux
révélations d’un ancien ministre du parti Amal dont, ironiquement, certains
dirigeants sont eux même pointés du doigt dans les médias pour corruption. Tandis que, quand le
ministère des Finances était aux mains du Courant du Futur, l’Etat n’avait pas de budget, et qu’il existe des zones de non droit régies
par l’Etat dans l’Etat du Hezbollah dont la plupart des habitants ne paient pas
leur facture d’électricité. Un autre scandale imputable à la mafia au pouvoir est
celui des déchets qui n’est toujours pas résolu malgré le vain mouvement de protestation de la société
civile représentée par le collectif « Vous puez ». Signe de son
impuissance il n’a réussi à faire élire qu’un seul de ses candidats aux
dernières élections législatives.
Les
principaux responsables des scandales comme ceux de l’électricité, des déchets,
des télécommunications ou des douanes sont
connus et les politiciens eux-mêmes
jettent des accusations à la figure de
leurs adversaires en oubliant leur propre turpitude ou celle des membres de leur
parti, mais rien ne change. Le népotisme le clientélisme, les violations
des règles d'attribution des marchés publics
et l'opacité, des commissions occultes sévissent de plus belle. Les
services publics continuent de se dégrader et la dette publique atteint un niveau abyssal. Deux
lois sur l’accès à l’information et sur
la protection des lanceurs d’alerte viennent certes d’être votées. Elles
devraient en principe permettre à des journalistes d’investigation de dévoiler,
preuves à l’appui, des faits de corruption et leurs auteurs. Et un
amendement de la loi sur
l’enrichissement illicite a été soumis au Parlement. Tout
aussi importants et attendus sont la création de la Commission pour la lutte
contre la corruption, la loi sur la réorganisation
de la Cour des comptes, celle relative à
l'Inspection centrale, ainsi que l'amendement des textes régissant les marchés
publics et le fonctionnement de la Direction générale des adjudications. Mais en l’absence d’une justice indépendante, elles risquent de rester lettres
mortes. Et les expériences
passées ont montré une tendance chez les politiques à trouver, par tous les
moyens, des entourloupes pour contourner
ou violer la loi. La tenue à Paris de la conférence économique pour le
développement du Liban (CEDRE) pourrait représenter une lueur d’espoir dans la mesure
où les montants alloués sont
assujettis à des engagements de réformes, de transparence et de bonne gouvernance et où
elle ouvre la voie à des partenariats publics privés (PPP). Autorisés
par une loi créant un Haut comité pour les privatisations
et les PPP qui vient d’être enfin votée
après avoir été bloqués pendant dix ans, ces derniers devraient permettre une
meilleure gestion de certains services publics. Et le projet d’instauration
d’un système de gouvernement électronique visant à rendre les services publics
fournis par l’administration plus accessibles devrait contribuer à limiter la
corruption. Mais le blocage et les tiraillements dans la formation du gouvernement
risquent de compromettre leur mise en
œuvre. Aux dernières nouvelles,
l’Irak qui vient sortir de conflits sanglants ayant laissé de profondes
déchirures entre ses communautés aura la semaine prochaine un gouvernement
représentant toutes ces communautés, alors que les politiciens libanais
continuent de se disputer autour du partage des portefeuilles ministériels, ou
plutôt des dépouilles d'un Etat en déliquescence, rongé par la corruption, et
sur lequel plane le spectre de la banqueroute. Le gouvernement de l'Irak qui
compte 38,5 millions d'habitants aura 15 ministres alors qu'il est prévu que celui le Liban qui
en compte 5 millions en aura 30 !
Quant a celui de l’Allemagne qui compte 82
millions d’habitants et a un PIB 80 fois
supérieur à celui du Liban il en
a 16. !
Ibrahim Tabet
Europe 1618-1648, Moyen-Orient 1980-2018
Depuis la guerre
irako-iranienne (1980-1988) les conflits au Moyen-Orient rappellent par certains aspects la guerre de Trente ans
(1618-1648). Impliquant toutes les
puissances européennes à l’exception de l’Angleterre et de la Russie, elle
s’est déroulée en Europe centrale, en Flandre en Italie du Nord et en Espagne. Opposant
Protestants et catholiques, elle a ravagé l’Allemagne et s’est combinée au conflit
plus ancien entre l’Espagne et les Province-Unis. Elle a été déclenchée par le
soulèvement des Protestants tchèques de
Bohême contre la politique discriminatoire de Ferdinand II de Habsbourg,
souverain du Saint-Empire Romain-germanique. Ce fut la fameuse défenestration
de Prague, suivie d’une répression
brutale semblable à celle des manifestations - certes en partie manipulées de l’extérieur - contre le régime syrien. Le conflit se propagea rapidement à toute l’Allemagne et fut marqué par des atrocités et des
massacres indicibles de part et d’autre, lot commun des guerres de religion. Les exactions sont nombreuses, même si elles n’ont pas été filmées comme les horribles égorgements
rituels commis par Daech : tortures, exterminations en masse d’innocents,
viols, assassinats, etc. Des épisodes comme ceux du sac de Magdebourg ou les
atrocités commises au Palatinat et en
Franche-Comté marquent les
esprits pour des décennies, et restent dans la mémoire collective pendant plus
d’un siècle, alimentant un cycle infernal de représailles et de vengeance. Le
conflit entraîna l’intervention de plusieurs Etats étrangers : l’Espagne aux
côtés des Habsbourg d’Autriche, bras armé de la Contre-réforme catholique, le
Danemark et la Suède luthériens, ainsi que la France catholique aux côtés des
princes protestants allemands. Bien que combattant les huguenots sur son propre
sol, la France était prise en étau entre les Habsbourg de Madrid et de Vienne, d’où
ce choix, dicté par la realpolitik de Richelieu et de Mazarin. Avant
d’intervenir militairement dans le conflit, elle s’était contentée, au début, d’appuyer
financièrement les ennemis de l’empereur,
comme l’ont fait le Qatar et l’Arabie Saoudite pour les ennemis de Bachar el
Assad.
La guerre a connu trois phases. La première (1618-1620)), marquée par la
victoire des troupes impériales à
la bataille de la Montagne Blanche, voit
l’écrasement de la Bohème qui devient la propriété personnelle des Habsbourg de
Vienne. La deuxième (1620-1635) voit l’intervention
armée du Danemark et de la Suède en
faveur du camp protestant, tandis que l’Espagne relance la guerre contre les
Provinces-Unies. De 1935 à 1948, la France intervient militairement dans le conflit contre les
troupes impériales et déclare la guerre à l’Espagne, dont elle défait les troupes à la bataille de Rocroi (1643). Cette intervention directe, comme celle de la
Russie en Syrie en 2015, renverse le
rapport des forces sur le terrain et entame la puissance de l’Espagne et du Saint-Empire.
Les conséquences politico-religieuses de la
guerre furent profondes en Europe. Elle consacra le principe du « cujus
regio ejus religio » institué par le traité d’Augsbourg (1555) en vertu duquel les
sujets sont tenus d’adopter la religion de leur prince. Ce principe avait débouché sur une
relative homogénéisation religieuse des Etats européens qui se traduisit par
des expulsions comme celle des huguenots
de France, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes et des exodes de
populations allogènes voire des épurations ethnico-religieuse. Les traités de
Westphalie qui mirent fin à la guerre, le 24 octobre 1648, consacrèrent la division religieuse de
l’Allemagne, son émiettement politique et l’affaiblissement du pouvoir impérial
et mirent également fin à la guerre opposant l’Espagne et les Provinces-Unies
depuis 80 ans. Ils profitèrent surtout à la France de Louis XIV dont ils
consacrèrent la prépondérance pendant trois-quarts de siècle en Europe. Enfin
ils donnèrent naissance au concept d’Etat moderne, jouissant du monopole de la
force armée sur son territoire et disposant d’une armée nationale, et jetèrent
les bases d’un système nouveau de relations internationales fondé sur la
pluralité des Etats souverains.
Comme lors de la guerre de Trente ans, les conflits en Irak, en Syrie et
au Yémen ont revêtu des dimensions à la
fois politiques et confessionnelles, civiles et internationales ; ont été
le théâtre d’affrontement direct ou par procuration d’armées régulières et de milices
souvent mercenaires ; et ont entraîné des épurations ethniques ou confessionnelles,
marquées par les mêmes atrocités. C’est le cas de
l’engrenage qui a mené de la guerre irako-iranienne à la guerre civile sunnite-chiite
et à celle contre Daech, en passant par la désastreuse invasion américaine de
2003 et la tentation avortée de séparatisme kurde. C’est le cas aussi du conflit syrien dont l’internationalisation
est plus marquée. S’inscrivant dans le cadre de la volonté des adversaires du régime
de briser l’axe chiite allant de Téhéran
au sud-Liban, en passant par Bagdad et Damas, il a très rapidement dépassé le
cadre local. D’où l’intervention,
de l’Iran du Hezbollah et de la Russie en sa faveur, et des puissances déterminées à le renverser aux côtés de l’opposition
sunnite (Etats-Unis, France, Angleterre, Turquie, Arabie Saoudite et Qatar) ; même si leurs buts de guerre ne sont pas les
mêmes : davantage géopolitiques s’agissant de l’Occident, en dépit de ses fournitures
d’armes aux jihadistes ; à
coloration confessionnelle (anti-alaouite) s’agissant des pays du Golfe ;
enfin surtout motivée par la volonté de prévenir la création d’une entité kurde
du côté d’Ankara. Grâce à l’intervention décisive
de la Russie, la Syrie échappa à son
démembrement programmé. Cela malgré le maintien d’une force américano-kurde à
l’est de l’Euphrate et le problème de
la province d’Idlib, toujours aux mains des jihadistes sous contrôle tuc. Cela risque d’augurer son partage probable en zones
d’influences : américaine à l’Est, turque au Nord, et russe et iranienne
dans le reste du pays, malgré le
caractère circonstanciel de l’alliance entre ces trois dernières puissances.
L’Irak, dont les trois composantes principales,
chiite, sunnite et kurde se sont apparemment réconciliées, a été réunifié. Mais,
comme au Yémen, la guerre en Syrie se poursuit, même si son issue favorable
à Damas et à ses alliés ne fait pas de
doute. Gagner la paix sera cependant plus difficile que gagner la guerre. Si
Daech a été vaincu, ce n’est pas la fin de son idéologie et de l’antagonisme
entre chiites et sunnites. Comme l’Allemagne en 1648, le monde arabe sort plus divisé
et affaibli que jamais face aux puissances régionales historiques que sont
l’Iran et la Turquie. De même que la guerre de Trente ans a débouché sur une
prépondérance française, la guerre en Syrie marque un retour de la Russie sur
la scène du Moyen-Orient. Et l’on ne voit pas se dessiner un règlement global
semblable à celui instauré en Europe par les traités de paix de Westphalie, et
encore moins un « nouvel ordre » régional concocté par Washington.
Ibrahim Tabet
Friday, April 27, 2018
Quel effet au Moyen-Orient de la visite d’Emmanuel Macron aux
Etats-Unis ?
La visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis marque de façon éclatante le renforcement
des relations franco-américaines qui n’ont probablement jamais été aussi étroites.
Au-delà des embrassades et des manifestations ostentatoires d’amitié entre les
deux présidents, c’est un succès personnel pour le locataire de l’Elysée qui a
renfoncé son statut d’allié privilégié de Washington au sein de l’Union Européenne
post-Brexit. Enfin, survenant juste après la participation française à la
frappe militaire contre le régime syrien, elle avait pour but de réaffirmer le rôle
de la France dans le jeu de puissances au Moyen-Orient qui a figuré en bonne
place au menu des discussions. Mais si
M. Macron a partiellement réussi à influencer son interlocuteur au sujet du
dossier syrien, il a échoué à le faire sur la question du nucléaire iranien.
En Syrie, il est clair que
l’Occident paye aujourd’hui le prix de ses
contradictions et de ses mésalliances, et a perdu la partie dans la
guerre par procuration dont ce malheureux pays est le théâtre. La frappe soigneusement
calibrée des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni sur des sites supposés
de production d’armes chimiques fait figure de baroud d’honneur qui n’aura
aucun effet sur l’issue du conflit, ce qui n’était d’ailleurs pas le but. Sans
compter que sa légalité et les preuves de l’utilisation de l’arme chimique par
le régime son contestables. Bachar el- Assad
restera au pouvoir, malgré les tentatives de ses adversaires de changement du régime
syrien, faisant suite aux désastreuses interventions militaires occidentales en
Irak et en Libye. La Russie, qui a toujours été cohérente dans sa stratégie, a
effectué un retour fracassant au Moyen-Orient où son influence est
désormais incontournable. Et, malgré les tentatives américaines de l’en
empêcher, l’Iran a réussi à ouvrir le fameux corridor terrestre le reliant à la
Méditerranée et au Hezbollah, via l’Irak et la Syrie, menaçant de créer un
second front face à Israël, en plus du Sud-Liban. Dans ce contexte, vouloir « ramener les
troupes américaine à la maison le plus tôt possible » comme l’a annoncé
Donald Trump reviendrait à offrir un cadeau au régime des mollahs, bête noire
de Washington. Qu’elle soit conforme à sa promesse de
campagne de placer « l’Amérique d’abord », ou qu’elle serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage
de moyens destinés à financer le
maintien des forces américaines sur place, ne diminue en rien l’impression de
confusion du signal qu’elle envoie, après que le Département d’Etat et le
Pentagone aient affirmé le contraire. Elle ne peut
que réjouir les adversaires russe, iranien et syrien de Washington et inquiéter
ses alliés : les monarchies arabes du
Golfe et surtout les Kurdes qui risquent d’être abandonnés à la merci de la
Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre l’État islamique. Et elle compromettrait les chances des Etats-Unis et
de ses alliés occidentaux de peser sur la solution du conflit syrien. D’où le fait que le président
Trump, dans un des énièmes revirements dont il est coutumier, ait apparemment prêté
une oreille favorable aux arguments d’Emmanuel Macron de sursoir à sa décision
de retrait précipité ; d’autant plus qu’ils sont partagés par ses
conseillers.
Que Paris apparaisse plus
royaliste que le roi américain lui permette de recouvrer un rôle politique dans
la résolution du conflit syrien dont il est complètement exclu depuis le
quinquennat de François Hollande est une autre question. En fait, depuis la
présidence de Jacques Chirac, l’influence française n’a pas cessé de reculer au
Moyen-Orient. Chirac a été le dernier représentant de la « politique
arabe » de la France initiée par le Général de Gaulle. Celle-ci était
caractérisée par une politique indépendante par rapport au Etats-Unis et à une
position plus équilibrée sur le conflit israélo-palestinien. Elle a permis à la France d’apparaître comme la
seule puissance occidentale représentant un semblant de recours vis-à-vis de l’hégémonie
des Etats-Unis. Un des principaux leviers d’influence de la France et de
l’Europe est le volet financier, la Russie étant incapable d’assurer la
reconstruction du pays. Une autre carte à jouer est la rivalité potentielle
entre Moscou et Téhéran qui constitue un obstacle à la consolidation du
protectorat russe en Syrie, ce qui implique de mettre un bémol à l’ostracisme
dont le Kremlin est l’objet de la part de l’Occident.
Sur la question
de l’accord entre les 5+1 et Téhéran sur le nucléaire iranien, il est clair que
celui-ci n’a eu aucun effet modérateur sur la politique étrangère et intérieure
du régime des mollahs. Paris et Washington sont d’accord pour dénoncer ses
visées expansionnistes et leur effet
déstabilisateur au Moyen-Orient. Mais alors que Donald Trump considère l’accord
comme le pire qui soit, Emmanuel Macon estime que c’est la moins mauvaise des
solutions. Un retrait unilatéral éventuel américain le 12 mai
prochain n’impliquerait certes pas celui des autres signataires,
mais ses conséquences sont imprévisibles. D’une part parce qu’il n’est pas
clair qu’il puisse être complété par un nouvel accord sur les missiles
balistiques iraniens ou sur sa politique régionale. Et d’autre part car Téhéran
n’a nullement l’intention d’ouvrir des négociations sur ces sujets. Quant à
l’imposition de nouvelle sanction, elle n’aurait aucun effet sur la politique étrangère de la République
islamique, malgré le délabrement de son économie dont témoignent la chute
vertigineuse de sa devise et la grogne populaire. Seule une intervention
militaire israélienne contre les bases iraniennes en Syrie pourrait changer la
donne, mais ses conséquences seraient encore plus imprévisibles.
Ibrahim Tabet
Sunday, April 8, 2018
US go home ?
La déclaration surprenante de Donald Trump selon laquelle les troupes américaines présentes en Syrie devraient bientôt « rentrer à la maison » correspond ironiquement au slogan brandi par les manifestants hostiles aux Etats-Unis dans le monde arabe. Qu’elle soit conforme à la promesse de campagne du candidat Trump de placer « l’Amérique d’abord », ou serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage de moyens destinés à financer le maintien des forces américaines sur place ne diminue en rien les effets négatifs et l’impression de confusion du signal qu’elle envoie. Prenant en quelque sorte acte de la défaite américaine et occidentale en Syrie, elle ne peut que réjouir les adversaires russe, iranien et syrien de Washington, dont elle fait le jeu, et inquiéter ses alliés : les monarchies arabes du Golfe qui redoutent la montée en puissance de l’Iran à qui un éventuel retrait américain offrirait un cadeau inespéré. Et surtout les Kurdes qui risquent d’être abandonnés à la merci de la Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre l’Etat islamique. Appui aux Kurdes qui, autre effet pervers de la politique américaine, avait d’ailleurs jeté la Turquie, membre de l’OTAN, dans les bras de Moscou. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que les Etats-Unis lâchent leurs alliés, ni la première volte-face américaine concernant la guerre en Syrie. Barak Obama avait donné le ton en s’abstenant de mettre à exécution sa menace de bombarder le régime syrien après l’utilisation d’armes chimiques par ce denier. Survenant quelques jours après que l’ex secrétaire d’Etat Rex Tillerson et le général commandant du théâtre régional des opérations militaires (CENTCOM) aient affirmé la détermination des Etats-Unis à maintenir une présence militaire en Syrie, la déclaration intempestive du locataire de la Maison Blanche illustre son inconstance et les contradictions de la politique étrangère de l’administration Trump. La déplorable cacophonie qu’elle donne en spectacle souligne l’absence actuelle de doctrine américaine concernant la région qui fait presque regretter la grande époque d’un Kissinger, malgré le mauvais souvenir qu’il a laissé au Liban. Elle contraste cruellement avec la vision claire et la maîtrise du jeu d’un Vladimir Poutine ou d’un Xi Jin Ping sur l’échiquier géopolitique mondial. Donald Trump aurait pu faire le poids face à eux s’il écoutait les conseils mais il n’en fait qu’à sa tête comme en témoignent la valse de ses conseillers et ses nombreux revirements. Celui par exemple où, après avoir qualifié l’OTAN « d’organisation obsolète », il est revenu sur ses propos. Ou sa proposition de rencontrer le dictateur coréen Kim Jong-Un, après l’avoir traité de tous les noms d’oiseaux et avoir menacé d’atomiser son pays. Cette proposition constitue un cadeau à ce dernier comparable à celui qu’il ferait à l’Iran en cas de retrait des troupes américaines de Syrie ; alors même qu’il menace Téhéran de dénoncer l’accord sur le nucléaire : « le pire qui soit » selon ses dires. S’il a raison d’affirmer que cet accord n’a en rien diminué les visées expansionnistes de l’Iran, son hostilité viscérale à son égard vise à la fois à complaire à Israël et à monnayer sa protection des pétromonarchies du Golfe ce qui, en bon businessman, constitue une de ses priorités. « Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge. » Ce dicton pourrait s’appliquer aux alliés des Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas de ceux de Moscou qui est autrement plus fiable à leur égard. Profitant des errements de la politique américaine, la Russie a effectué un retour fracassant au Moyen-Orient. Depuis son intervention militaire en Syrie, elle s’est imposée comme un acteur incontournable au Moyen-Orient et a réaffirmé son statut de grande puissance de premier plan. Avec le retour de la Russie et surtout la montée en puissance de la Chine, c’est l’ordre du monde nouveau qui s’ébauche. Ce qui ne serait pas une mauvaise chose, au vu du chaos que les Etats-Unis ont provoqué, notamment avec l’invasion de l’Irak, depuis que la chute de l’URSS les a propulsés au rang d’unique superpuissance.
Ibrahim Tabet
Wednesday, January 17, 2018
Le jeu de Trump sur l’échiquier moyen-oriental
L’interventionnisme militaire des
Etats-Unis au Moyen-Orient a connu son
apogée du temps de la présidence de
George Bush fils. Il s’agissait alors, pour les
néoconservateurs qui l’ont inspiré, de
favoriser la naissance d’un « nouveau Moyen-Orient » conforme aux intérêts américains et à ceux d’Israël. Ces
objectifs et
la lutte contre l’islamisme
radical ne peuvent cependant pas à eux seuls l’expliquer. Et on ne
peut le comprendre sans prendre en compte l’importance géostratégique que confèrent
à la région ses ressources
pétrolières et gazières. Certes, l’exploitation du pétrole de schiste a rendus
les Américains moins dépendants
du pétrole du Moyen-Orient, mais ils
cherchent moins
à le contrôler pour assurer leurs propres approvisionnements que pour
contrôler la dépendance de leurs compétiteurs européens et de la
Chine. Les effets désastreux de l’invasion de l’Irak en
20o3 ont conduit à une amorce de repli
sous la présidence de Barak Obama dénoncé à tort comme pusillanime ;
notamment s’agissant du conflit en Syrie. Mais le « pivot
stratégique » vers l'Asie, opéré sous sa présidence par la politique étrangère américaine, ne diminua en rien son implication dans les affaires du
Moyen-Orient. S’écartant de la
politique inspirée par les
néoconservateurs, Obama a tenté durant ses deux mandats de réparer les erreurs
de son prédécesseur. Le désengagement
relatif de Washington s’est
manifesté sous sa présidence lors de l’intervention militaire en Lybie dont il a laissé l’initiative à la France et à la
Grande – Bretagne avec des conséquences aussi désastreuses qu’en Irak. Et ses
réticences à appuyer
militairement l’opposition syrienne ont conforté l’influence russe et iranienne
en Syrie. Le pouvoir irakien
mis en place par les Etats-Unis en Irak a pris ses distances
avec eux. Le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan a permis la montée en puissance des talibans. Par contre, il a intensifié la campagne d’élimination des
principaux chefs terroristes qui a été couronnée par celle d’Oussama Ben Laden.
Contrairement à l’échec de la politique américaine en Syrie, l’accord nucléaire avec l'Iran peut être considéré comme un grand succès. Persuadé
que la voie diplomatique est le meilleur moyen d'éviter que l'Iran ne devienne
une puissance nucléaire, Obama a fait de
cet objectif sa priorité stratégique dans la région, quitte à se mettre à dos
les deux alliés traditionnels des États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite. Cependant
son pari que l’accord
allait encourager les réformes en Iran et l’inciter
à adopter une politique étrangère moins
agressive a échoué.
Illustrée par le slogan « l’Amérique d’abord », la politique étrangère de Donald Trump au Moyen-Orient semblait à première vue
être dans la ligne du désengagement relatif amorcé
par son prédécesseur. Mais toutes ses initiatives démentent cette supposition. Malgré l’opposition
de ses cosignataires, notamment européens, il a exprimé son intention de
remettre en question l’accord sur le nucléaire iranien qualifié de « pire accord qui soit ». Ce qui montre que Washington est désormais résolu à
contrer par tous les moyens les
ambitions hégémoniques de la République islamique. Sa visite spectaculaire à Riyad va dans le même
sens et vise aussi sans doute à encourager un rapprochement saoudo-israélien. Jouant
sur la crainte des Saoudiens de la
menace iranienne et d’être abandonnés
par les Etats-Unis, moins dépendants de leur pétrole, il en a profité pour
leur soutirer des centaines de milliard
de dollars en termes d’achats d’armes et de contrats, en échange de la
protection américaine. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale
d'Israël, il a sans doute disqualifiés les Etats-Unis de leur position de médiateur
dans le conflit israélo-palestinien et certainement planté le dernier clou sur le
cercueil de la solution à deux Etats. Le pauvre Mahmoud Abbas a prononcé la
mort du processus d’Oslo. Mais
Washington n’en a cure et, conscient de
l’impuissance lamentable du monde arabe,
a clairement opté pour accentuer son soutien inconditionnel à Israël. Une autre initiative
lourde de conséquences de l’administration
Trump est la poursuite et même l’accroissement
de son appui militaire aux Kurdes en Syrie, malgré la défaite de Daech.
Outre qu’elle compromet la réunification
de la Syrie et y conforte son influence
face à celle
de la Russie, cette décision a surtout pour but de contrecarrer
la consolidation du corridor reliant l’Iran au Hezbollah via l’Irak et la Syrie.
Que
cela risque d’aliéner la Turquie
et de renforcer l’alliance
tactique russo-turco-iranienne ne semble pas inquiéter outre mesure Washington
qui a apparemment pris acte de l’irréversibilité de l’éloignement d’Ankara par
rapport au camp occidental. C’est en effet la volonté de faire pièce à l’influence
spectaculaire de l’axe Moscou-Téhéran qui est la priorité de la stratégie de Trump
(ou de ses conseillers), laquelle est moins incohérente que ses coups de têtes
pouvaient le laisser croire.
Ibrahim Tabet
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