Le
communautarisme : un virus prolifique
La mondialisation, le retour du religieux et l’accroissement des flux
migratoires ont favorisé les crispations identitaires, le populisme et le virus
du communautarisme. Institutionnalisant ou
faisant prévaloir les spécificités et les revendications des communautés ethnolinguistique ou religieuse, cette
idéologie conduit-elle à l’éclatement de la société et
de l’État
en plusieurs groupes d’appartenances au détriment de l’intérêt national ? Est-elle un danger ou un système de gestion
approprié de la diversité socioculturelle ? Les réponses à ces questions dépendent du contexte historique, de l’homogénéité
de la population et de la philosophie politique de chaque pays. Le laïcisme
français et le confessionnalisme politique
libanais constituent à cet égard deux « idéaux types » opposés. Tandis
que le multiculturalisme représente une voie
moyenne. C’est le cas par exemple au Canada. Pays fédéral, constitué à l’origine
de deux communautés distinctes, il considère le pluralisme culturel comme une richesse
et reconnaît le droit
à la différence des populations issues de l’immigration. C’est aussi le cas aussi du modèle britannique qui ne cherche pas à assimiler les
immigrés. Il existe ainsi à Londres des
quartiers entiers où le séparatisme
identitaire est visible et il ne viendrait jamais à l’idée des autorités
d’interdire, comme en France, le port du voile intégral dans l’espace public.
Le Liban constitue de facto une fédération de communautés à base non territoriale. Héritier du système des
millets ottoman, le confessionnalisme libanais pervertit autant la sphère politique
que socioculturelle, empêchant l’émergence d’une véritable citoyenneté. Instauré " à titre
provisoire " par la Constitution de 1926, il a été malheureusement renforcé. La montée de l'islamisme
ainsi que le déclin démographique des chrétiens font qu’il est sans doute trop
tard pour inverser cette dérive. Cela dit la sécularisation formelle des
institutions n'a pas empêché l'accaparement du pouvoir par les alaouites en Syrie. Si le modèle politique « consociatif » du Liban souffre
de nombreuses tares, dont celles de favoriser la mauvaise gouvernance et la
paralysie, il lui a du moins évité de subir le sort de la Syrie. Et un système similaire de partage communautaire du pouvoir a été considéré comme le meilleur moyen de mettre
fin au conflit en Irak. .
Erigée en quasi-religion par la Révolution Française, la laïcité a été codifiée par la loi
de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. Alors que la République ne reconnaît que les
individus, elle se heurte de plus en plus à des revendications identitaires, de la part
de groupes islamistes gagnés par la propagande salafiste, contraignant
nombre d’édiles à la « soumission ». Il existe à l’inverse un « intégrisme laïc » qui va
jusqu'à vouloir bannir les signes religieux chrétiens dans l’espace public. Et des
voix dénoncent, à l’instar d’Eric Zeimour, « Le Suicide français ». Alors que le modèle français a réussi à assimiler les vagues successives d’immigrés d’origine
européenne partageant les mêmes valeurs,
il peine à le faire avec les musulmans. Bien qu’une majorité se soit intégrée, une partie d’entre eux, surtout la jeunesse défavorisée des banlieues,
ne le sont pas, ou plutôt refusent de l’être. Des communes de certains départements ont été ainsi qualifiées de « territoires perdus de la
République ». Des bandes de
casseurs expriment leurs
frustrations et leur rancœur envers
l’ancienne puissance coloniale en
saccageant des commerces et en brulant des voitures. Et plusieurs attentats
terroristes ont été perpétrés par des
Français d’origine maghrébine ou africaine. Ce défi sociétal doublé d’une menace sécuritaire, a conduit l’Etat, depuis la présidence de Nicolas
Sarkozy, à tenter de promouvoir « un
islam de France » ; alors qu’il n’y a en principe qu’un islam ou des musulmans en
France. Il est même question à cet effet d’amender éventuellement la loi de 1905.
Mais l’Etat laïc doit-il se mêler de
religion ? Ne revient-il pas aux
musulmans eux-mêmes de lutter contre l’islamisme radical et de prôner un
islam plus libéral ?
En réalité le communautarisme à
l’anglo-saxonne et la laïcité à la française éprouvent autant de difficultés à
gérer le problème posé par la croissance des populations musulmanes
d’Europe. Ce problème a été aggravé pas l’afflux massif récent de migrants noirs
et musulmans en provenance du Moyen-Orient du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.
L’incapacité des pays de l’Union Européenne à y faire face a mis en relief
leurs divisions. Elle explique, entres
autres, la popularité d’un Matteo Salvini en Italie ou d’un Victor Orban en
Hongrie. Tandis qu’à l’inverse Angela Mekel paie le prix de son accueil
inconsidéré de plus d’un million de migrants en Allemagne qui traduit sa
méconnaissance totale des réalités. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à
une montée des mouvements d’extrême droite qui allient ultranationalisme,
islamophobie et méfiance envers Bruxelles. Percevant l’islam comme une menace
contre la civilisation européenne, ils se proposent de lutter contre son
« islamisation » rampante. C’est le cas du Front National rebaptisé
« Rassemblement National ». Ou de l’Allemagne qui
a été le théâtre de manifestations antimusulmanes de la part de groupuscules
racistes d’extrême-droite, comme PEGIDA (Les
Européens Patriotes contre l’Islamisation de l’Occident) qui sont dénoncés
par la majorité de l’opinion. L’intégration des
populations musulmanes présentes en
Europe et l’enrayement des flux migratoires que risque d’entraîner
l’explosion démographique en Afrique apparaît donc comme un des principaux
défis, quasi existentiel, qu’elle devra affronter.
Ibrahim
Tabet