Tuesday, December 5, 2017

La reconfiguration des alliances  et de l’équilibre des  forces au  Moyen-Orient     

La réunification de l’Irak et les derniers développements militaires en Syrie marquent  l’échec du « complot »  -  à supposer qu’il  ait réellement existé -  de partition  des pays arabes en entités ethniques et/ou confessionnelles. Et ils consacrent le nouvel équilibre des forces en faveur de la Russie et de  l’Iran au Moyen-Orient. La guerre en Syrie a pratiquement pris fin sur la  victoire du régime et de ses alliés,  même si la province d’Idlib est toujours aux mains des jihadistes de Hayat Tahir al-Cham. Bien que soumise à  l’influence russo-iranienne, la Syrie a résisté à son démembrement programmé et  Bachar el Assad restera au pouvoir.  Mais  gagner la paix sera plus difficile que gagner la guerre.  Et le pays,  qui compte un nombre effroyable de victimes et de réfugiés, à  l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières,  est complètement dévasté. La défaite de Daech et l’écroulement du rêve d’indépendance  kurde consacrent  la réunification  de l’Irak. Le chef  du gouvernement irakien, qui n’a pas de sang sur les mains, bénéficie d’une plus grande légitimité que  le dictateur syrien. Et  la   victoire de Bagdad est  encore plus nette que celle de Damas,  car  elle a été largement remportée par ses propres forces et que le pays n’est pas sous  tutelle étrangère. La réunification du territoire ne signifie toutefois pas celle des cœurs,  tant le sentiment d’aliénation  de la communauté sunnite est profond. La reconquête du territoire de l’Etat islamique ne signifie, ni la fin de cette organisation qui rentrera dans la clandestinité, comme Al-Qaeda, ni l’éradication du  terrorisme islamiste. Au Yémen, la coalition dirigée par l'Arabie saoudite est de plus en plus pointée du doigt, et Riyad mène une guerre sans perspective de victoire, s'enfonçant chaque jour un peu plus dans le bourbier yéménite. La tentative d’isolement du Qatar par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis  est également un échec qui a brisé la cohésion  des pays membres du Conseil de coopération du Golfe. En s'attaquant à ce qui constituait jusqu'ici le cœur de la tradition politique du royaume : le principe de compromis et l'équilibre des pouvoirs entre les différents clans au sein de la famille royale,    et  entre celle-ci et le clergé wahhabite, c’est tout ce système qui est mis à bas avec le coup de force de Mohammed Ben Salman. Et  le fait de contraindre   Saad Hariri à démissionner et à dénoncer en termes virulents, même si c’est une  réalité, l’hégémonie du Hezbollah et de l’Iran au Liban, n’a fait que  révéler la véritable paranoïa qui s’est emparée de l’Arabie saoudite  face aux ambitions iraniennes.  Riyad  veut  être le fer de lance de la contre-offensive   sunnite et arabe face à la Perse chiite. Mais malgré ses ressources financières, d’ailleurs en baisse avec  la chute du prix du pétrole, et le soutien américain, l’Arabie saoudite ne fait pas le poids, ni démographiquement, ni militairement face  à la grande puissance régionale qu’a été l’Iran à  travers l’histoire. Si les réformes sociétales   et le combat contre l’obscurantisme engagés  par le jeune  prince héritier vont dans la bonne direction,  son autoritarisme en politique intérieure et  son aventurisme qui tranche avec la politique étrangère traditionnellement prudente du royaume, ne sont  pas sans risques. Ces développements jouent en faveur de Téhéran  dont l’influence s’exerce déjà en Irak, en Syrie,  au Liban et au Yémen. La jonction des forces syriennes et irakiennes  à  la frontière entre ces deux pays, que les Etats-Unis ont en vain essayé d’empêcher,  a ouvert le corridor entre la République islamique et le sud-Liban, via l’Irak et la Syrie, au grand dam d’Israël qui voit son pire ennemi se renforcer à  ses portes. Si l’influence de l’Iran n’a jamais été aussi forte, ce n’est pas le cas de l’autre grande puissance  musulmane historique : la Turquie. Alors qu’elle s’était érigée en modèle d’un État alliant islamisme modéré et démocratie, la dérive autoritaire du pouvoir, le défi interne et externe que représente la question kurde, l’échec de son pari sur les Frères musulmans égyptiens et tunisiens, enfin l’intervention russe en Syrie, ont ruiné les ambitions néo ottomanes de Recep Tayyip Erdogan. Et  le pays, déjà fragilisée par le problème kurde,  a   été   ébranlée par le coup d’Etat manqué contre le président  et les purges massives qui l’ont suivi. Quant aux pays arabes,  ils sont plus divisés et affaiblis que jamais. Les problèmes économiques et sécuritaires de l’Egypte   l’empêchent de jouer le rôle qui devrait être le sien en tant que poids lourd arabe et musulman.  La cause palestinienne a  été reléguée au second plan par l’antagonisme chiite-sunnite et arabo-perse. Et le Liban, pris entre deux feux, risque d’être déstabilisé  par le coup de force saoudien qui a brusquement mi fin au compromis politique, certes bancal, prévalant dans le pays.  L’autre grand vainqueur de l’éclatement du monde arabe est  Israël.  Resté relativement en retrait pendant que ses voisins s’entre-déchiraient, Tel-Aviv ne peut se permettre de tolérer la présence des  Gardiens de la Révolution  et du Hezbollah en Syrie et, en cas de guerre, d’avoir à  faire face à  un  front allant du sud-Liban au Golan. D’où  les rumeurs de plus en plus insistantes concernant une guerre préventive menée par l’Etat hébreu pour écarter cette menace. Guerre  qui serait malheureusement encore plus dévastatrice pour le Liban que  celle de 2006. Au niveau des puissances internationales,   le désengagement relatif des Etats-Unis, lors de la présidence Obama,  ainsi que les contradictions et les  errements de la politique américaine, ont créés un vide de puissance dans lequel s’est engouffré la Russie.    Sans compter qu’ils ont jeté la Turquie,  membre de l’OTAN dans les bras de Moscou.  Depuis son intervention militaire en Syrie, Vladimir Poutine est parvenu,  à imposer son pays comme un acteur incontournable au Moyen-Orient.  En  s’assurant  d’une base en Méditerranée orientale,  il  a réussi à briser l’encerclement dont il  est l’objet de la part de Washington et de ses alliés au sein de  l’OTAN. L’intervention russe en Syrie obéit aussi à des considérations économiques, la Syrie étant à la fois un passage  obligé pour les oléoducs transportant le pétrole du Golfe vers la Méditerranée et un pays potentiellement producteur de gaz offshore. Signe de l’influence prépondérante de la Russie en Syrie, après avoir reçu  Bachar el Assad,  Vladimir Poutine a organisé,  le 22 novembre 2017,   à  Sotchi, un sommet entre lui-même, et les présidents turc, Erdogan, et iranien, Rohani, visant à trouver une solution politique au conflit syrien, dans une  tentative de concurrencer les négociations de Genève sous l’égide de l’ONU. Indépendamment de la réussite ou non de cette initiative, elle  illustre  l’échec de la coalition hétéroclite  réunissant les  Etats-Unis, des nations européennes,  la Turquie, et les pétromonarchies du Golfe.  Bien qu’opérés pour des raisons différentes,  le rapprochement de la Turquie avec la Russie et l’Iran et, celui officieux, entre l’Arabie saoudite et Israël, alliés objectifs contre l’Iran,  inaugurent  une reconfiguration des alliances au Moyen-Orient. Celles-ci sont   essentiellement structurées  autour du problème de la constitution du fameux triangle chiite dont la centralité a remplacé celle du conflit israélo-arabe.

Ibrahim Tabet