La Francophonie, l’anglais et le défi du numérique.
Table
ronde de la Renaissance Française -
délégation du Liban - au Salon du Livre
francophone de Beyrouth 2018. .
Premier à prendre la parole, Ibrahim Tabet
(modérateur et président de la délégation libanaise de la Renaissance Française)
a présenté l’association qui a pour but de
participer au rayonnement de la langue française, ainsi que de la culture et des valeurs de la
francophonie. Il a tenu ensuite à saluer l’action de
l’Institut français pour promouvoir la
diversité culturelle et les talents locaux. Pour lui « le succès du salon
francophone du livre de Beyrouth témoigne de la vitalité de la francophonie au
Liban. » […] « La francophonie est aujourd’hui confrontée à de nombreux défis : notamment la
révolution numérique, la mondialisation qui diffuse
partout les produits de la culture de masse américaine, et l’hégémonie de l’anglais qui
affecte le statut du français
comme langue internationale. Certes, pour la plupart de ses locuteurs, hors
des pays anglo-saxons, l’anglais n’est qu’une langue outil réduite à sa plus simple
expression. Mais, bien que le français soit
d’avantage une langue de culture, force est de constater que, sauf en
Afrique, il enregistre un certain recul dans les pays où il n’est pas la langue natale. Cela, malgré l’action du réseau des Instituts Français et
la contribution des organisations de la société civile qui militent dans le
même sens. »
[…] « Au sein de l’hexagone, où leur langue
n’est pas menacée, la plupart des Français se sentent, moins concernés par la défense de la
francophonie que, par exemple, les Québécois, les Wallons et beaucoup de Libanais
francophones. C’est aussi le cas des firmes multinationales françaises dont la
communication interne se fait en anglais, mais aussi d’institutions comme les
universités qui font de plus en plus place à l’anglais pour attirer des
étudiants étrangers. Tandis que les géants américains de l’Internet favorisent
la diffusion de l’anglais à travers le monde.
Quant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle
s’est éloignée de son cœur de mission
qui est linguistique et culturel et s’est
transformée en une organisation politique regroupant majoritairement des
pays non francophones. »
Se demandant si « la francophonie est
une passion française », M. Marcel Laugel, ancien ambassadeur de France et
écrivain, déplore le fait que « la France métropolitaine donne bien
souvent l’image d’ignorer la francophonie ». « On peut être consterné de découvrir des politiques français
qui ont recours à l’anglais dans leurs déclarations
officielles. Cependant, défendre le champ d’influence de la langue
française, comme le note Jacques Attali en économiste, constitue un enjeu
absolument stratégique pour l’avenir.» Pour lui, « le Liban, fort heureusement,
ne suit pas cette voie ». […] « L’Ambassade de France, de son côté,
travaille pour développer la francophonie et agit de manière significative dans
le domaine éducatif. Le dispositif français à travers le
monde, scolarise 70.000 élèves libanais, dont 10.000 à l’extérieur du pays,
soit 20 % des effectifs du réseau français à l’étranger. Et sur un million
d’enfants scolarisés au Liban, 53% apprennent la langue de Molière. Enfin c’est
au Liban que se trouve le principal vivier du professorat francophone dans le
monde. M. Rispoli, Conseiller d’action culturelle chargé de l’Audio-visuel, se
félicite sur ce plan du réseau d’écoles homologuées par la France et se réjouit
du vecteur culturel et intellectuel qu’est la langue française incarné par le
succès à Beyrouth du livre francophone. Le
président Emmanuel Macron, caresse le projet de doubler
le nombre d’élèves des réseaux français dans le monde. Exprimant son souhait de
promouvoir le Français dans les échanges et les institutions internationales,
comme l’ONU et l’Union européenne, il a ajouté que l’anglais est devenu une
langue de consommation, alors que le français est une langue de création. »
Pour Farid Chéhab, qui vient de signer
son dernier ouvrage « Un pont sur le
XXIe siècle » : « le numérique
signifie un changement de paradigme total dans notre façon de penser,
d’agir, de créer, de produire et plus simplement de vivre ». A l’ère du numérique, les élèves n’ont plus besoin d’accumuler des
connaissances qu’ils trouvent facilement sur le Net. Il s’agit de former
des têtes bien faites, plutôt que bien pleines. Il qualifie de « fondamentalistes de la francophonie » ceux qui s’accrochent à la pureté de la langue française, dans son sens
littéral, bâti sur son héritage
littéraire et sa grammaire, et refusent
l’idée d’une évolution nécessaire imposée par le nouveau langage numérique du
monde. « En admettant que la barrière de la langue tombe, nous les
francophones pouvons adopter une attitude défensive ou ambitieuse »,
déclare t-il. : « L’attitude défensive constitue à mener un combat
d’arrière garde pour défendre l’utilisation et la pureté de la langue française. L’attitude ambitieuse à considérer que, plus qu’une langue, la francophonie est
une culture faite de liberté, d’humanisme et de valeurs : l’esprit
francophone. » […] « Soyons
les champions de la liberté dans un monde où des hommes utilisent le numérique pour nous
asservir. Aujourd’hui, la révolution informatique et biologique remet en
question les droits de l’homme. Il faut les réactualiser dans le nouveau
contexte et les adapter aux nouvelles exigences créées par la technologie. Le
numérique est lui-même à la recherche de solutions en bioéthique, et protection des données personnelles. La francophonie peut être la championne de
cette nouvelle mission. »
Romancière et journaliste, Jocelyne Awad a
abordé le sujet de la crise du livre et de la lecture. Pour
elle, le secteur livre en France a remonté la pente
et le livre numérique a le vent en poupe.
En 2017, plus de 356 millions de livres ont été vendus dans l’Hexagone
(avec 9% de livres numériques de plus qu’en 2016). Par contre au Liban, la lecture a régressé plus qu’en Occident. La grande majorité des 15 -25 ans lit de moins en moins. En
général, les gens se sont de plus en plus habitués à l’information courte et
aux articles à lire en vitesse. Les grands lecteurs sont les femmes et les plus de 50 ans. Le livre
est cher. Le monde de l’édition locale en français qui était florissant connaît un ralentissement. Cependant, fait
positif : de nombreux clubs de lecture francophones voient le jour à
travers le pays. Les libanais lisent malgré tout en français 4 fois plus de
livres en moyenne qu’au Maroc par exemple. Pour donner le goût de la lecture
aux enfants, l’effort des parents est
indispensable. Quand il y a peu de
livres à la maison, les enfants lisent moins. Il faut que dans l’esprit
de l’enfant ou de l’adolescent, lire soit perçu comme une activité qui donne du
plaisir. Ils aiment la bande dessinée, les romans policiers ou, d’aventure. Il
n’est jamais trop tôt pour réveiller l’intérêt pour la
lecture.
Médiatrice, romancière et poète,
Joëlle Cattan a défendu l’idée de la francophonie comme identité. Pour
elle, la Francophonie fait partie de
notre identité, « une identité qui nous habite de l’intérieur, celle que
nous avons dans l’être, parfois même dans nos gênes et nos veines » […]
« Quelle que soit la définition donnée à la Francophonie, que celle-ci
soit au sens stricto sensu du dictionnaire (qui parle habituellement le
français), ou au sens large, c’est-à-dire d’un élan en faveur, de la défense de la langue française, de la diversité culturelle, et des valeurs démocratiques. » […] « Nous
ne cessons pas d’être francophones que nous soyons bilingues, trilingues, ou
multilingues. Bien au contraire, les personnes parlant plusieurs langues, sont
les plus grands défenseurs du français » […] « Au lieu de parler du
danger du numérique, sachons l’utiliser
à bon escient pour en faire un tremplin, et non un problème. A nous de
ne pas privilégier la lecture par survol, la communication par des émoticônes. A
nous de convertir les défis du numérique
en opportunités, grâce à la création
-individuelle et collective- dans toutes ses expressions, et sous toutes ses
formes. » Elle a conclu son allocution par un poème-profession de foi en
faveur de la francophonie.
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