Thursday, June 25, 2020


Le suicide de l’Occident
On dirait que le complexe de supériorité de « l’homme blanc » a fait place aujourd’hui à un sentiment de honte envers  lui-même et son  histoire.   J’en veux pour exemple la mort récente aux Ètats-Unis de George Floyd, un  repris de justice noir   tué  par un policier blanc  et qui a été érigé en  héro et martyr. Cet événement   a provoqué  une éruption de haine anti-blanc,  de violence et de vandalisme dont le pays est trop souvent le théâtre et  révélé  la persistance du racisme au sein de la société américaine. Indépendamment de la condamnation de ces actes inqualifiables, la dénonciation du racisme est certes louable.  Mais elle a fait l’objet d’une incroyable instrumentalisation et entraîné, par mimétisme, une vague mondiale de manifestations contre le racisme, l’esclavagisme et le colonialisme frisant l’hystérie et le ridicule. C’est ainsi par exemple que plusieurs statues de personnages historiques comme celle de Léopold II en Belgique ont été déboulonnées, que des rues ont été débaptisées, qu’en France le lycée Colbert de Thionville est devenu le lycée Rosa Park, du nom d’une militante noire américaine n’ayant rien à  voir avec l’histoire de France,    et que le film « Autant en emporte le vent » a été déprogrammé de plusieurs salles de cinéma.  On peut se demander si ce syndrome d’auto-flagellation et  de repentance envers l’héritage historique et le passé colonial de l'Occident sont  un signe de bonne santé morale ou de décadence.  Et si, autre exemple,  la légalisation du mariage pour tous et la possibilité pour les couples du même sexe d’élever des enfants constituent  un progrès moral.  
 La chronique annoncée par Oswald Spengler du déclin  de l’Occident est un thème récurent et  ses nouveaux  cassandres dénoncent l’anémie des valeurs fondatrices de la civilisation occidentale. C’est le cas d’Eric Zeimour qui dans « Le suicide français », analyse la perte de valeurs qui caractérise la France depuis mai 68. Et de Michel Onfray qui dans « Décadence » prédit un sombre avenir à la France et à l’Europe et décrit le relâchement moral affligeant de l’Occident. Les grandes idéologies laïques de salut ici-bas (nationalisme, libéralisme, socialisme, communisme…) dont la naissance a autrefois été favorisé par la mort de Dieu sont moribondes ou,  comme le communisme, ont rejoint Dieu dans la tombe, créant un vide de sens au sein de la société de consommation occidentale, tandis que l’européisme victime du désamour des citoyens européens envers l’Union européenne peine à être une idéologie de remplacement.  D’où  des mobilisations en faveur de certaines causes sociétales et  humanistes qui, bien qu’étant un signe de tolérance,  sapent en réalité les fondations de la société occidentale.    

Tuesday, May 26, 2020


Vers une nouvelle « formule libanaise » ?

  Lors de l’accession du Liban à   l’indépendance  en 1943,  les chrétiens avaient renoncé à   la protection française et les musulmans  à   l’union avec la Syrie.  Ce pacte communautaire non écrit conclu entre le maronite Béchara el-Khoury et le sunnite Ryad el-Solh,  aussi appelé « formule libanaise »   avait fait dire à  Georges Naccache  que « deux négations ne font pas une nation. » Les communautés religieuses libanaises ont chacune sa propre identité culturelle  et politique qui a évolué avec le temps, Et chacune d’elles a sa propre vision de la vocation du pays et ses propres parrains étrangers, Ces différences priment  sur les conflits de classe et le clivage gauche-droite et structurent la vie politique libanaise, surtout dominée par une lutte de pouvoir et des alliances de circonstances entre les partis politiques confessionnel. Les sunnites qui étaient partisans du nationalisme arabe et de l’union avec la Syrie sont naturellement tournés vers les puissances sunnites : autrefois l’Egypte, maintenant l’Arabie Saoudite. Tandis que les chiites, marginalisés en 1943 et  traditionnellement plus « libanistes » que les sunnites,  car minoritaire au sein de l’ilam,  ils regardent vers l’Iran.  Quant aux chrétiens,  ils sont de tout temps  tournés vers l’Occident et ont été les plus farouchement attachés à l’indépendance du Liban. La plupart des maronites ont  de plus le   sentiment   d’avoir une identité spécifique par rapport à leur environnement arabo-musulman.  Ce sentiment s’appuie sur quatre paramètres. La  différence de  religion.  Une  lecture propre de  l’histoire du Liban,  plus particulièrement de la Montagne libanaise   qui,  de l’émirat à  la  Moutasarrifya   a joui  d’une autonomie relative  au sein de l’Empire ottoman,   alors que le reste du Levant, notamment la Syrie,  était gouvernée directement par la Porte.   Argument qui ne saurait évidemment s’appliquer à  la côte qui  relevait des vilayets de Tripoli et de  Saïda, puis de  Beyrouth.  Enfin  le « phénicanisme » idéologie faisant remonter l’origine  mythique du Liban  à la Phénicie  en dépit  de la fin de sa civilisation et de son hellénisation partielle  au  IVe  siècle  avant Jésus  Christ  et  surtout   de treize siècles d’arabisation.  Enfin  le pluralisme culturel   libanais  et en particulier sa  dimension francophone qui fait sa spécificité par rapport à  son environnement.  Si   les sunnites  n’ont  évidemment pas la même  perception de l’histoire et de  l’identité du Liban,  la nature  dictatoriale  du régime syrien  dominé par un clan alaouite ne peut que renforcer  leur attachement à  l’entité    libanaise  et achever de couper leur   lien ombilical avec  la Syrie.  
 Depuis la  fin de la guerre  libanaise en 1990  et l’éclatement de la guerre en Syrie  en 2011. l’on peut  observer certains changements sensibles au niveau du rapport des communautés libanaises entre elles,  à  celui  des  perceptions  qu’elles ont de   leurs identités   respectives  ainsi qu’ à  celui   de leur vision concernant l’avenir du pays. Trois  tendances lourdes  ont vu le jour  à ces  niveaux :    Premièrement un ralliement de la majorité des  maronites, les plus réticents à cet égard, à l’arabité du Liban,  auquel fait pendant  une libanisation des musulmans. C’est le cas  en particulier des sunnites  ayant depuis longtemps renoncé au  rêve  d’unité arabe et devenus hostiles au régime syrien.   En second lieu et plus récemment la naissance d’un clivage  sunnite-chiite. Enfin l’exacerbation des crispations identitaires phénomène d’ailleurs   mondial. Mais y a toutefois peu de risque que cette crispation remettre en question l’entité libanaise   ou provoque un nouveau conflit confessionnel au vu  des dures leçons de la guerre de quinze ans.
 L’inquiétude des chrétiens  a cependant été ravivée  par les ambitions hégémoniques du Hezbollah et   la  montée d’un islamisme sunnite radical  jugé encore  plus dangereux que l’intégrisme chiite.  Ce facteur explique l’adhésion de certains chrétiens  à la thèse de l’alliance des minorités (chrétienne, chiite, alaouite et druze). Et il est l’une des raisons de l’alliance  du   CPL avec le  Hezbollah qui se pose  en rempart face à la menace des  jihadistes  sunnites. Mais l’autre raison ayant motivé cette alliance  est  la soif du pouvoir du fondateur du CPL, le  général  Aoun,   qui a conclu un pacte faustien avec le « Parti de Dieu »  consistant à lui assurer  une couverture chrétienne en échange de son appui pour accéder à  la présidence de la République. 
   La nature transcommunautaire du soulèvement du 17 octobre 2019 a pu laisser  croire à  un dépassement de ces divisions.  Mais le 25 mai 2020 la déclaration d’un dignitaire religieux chiite a  fait l’effet d’une bombe au Liban<. Dans son « homélie », cheikh Kabalan a enterré la formule libanaise de 1943 et conséquemment de l’accord de Taëf  signifiant  par là  que les chiites ne veulent plus du système  politique  en vigueur.  A savoir le  partage à  égalité  des sièges parlementaires entre chrétiens et musulmans remplacé par la formule des trois tiers  et  l’attribution exclusive des deux têtes du pouvoir exécutif aux maronites et aux sunnites  et entendent changer la Constitution. Si  « Deux négations ne font pas une nation ». A  plus forte  raison  trois !     Il  est clair qu’il existe aujourd’hui une vision chiite   de l’identité du Liban opposée à  la fois à  celle des  communautés chrétienne  et sunnite, lesquelles  ne sont ni  semblables ni unifiées ;   et  que le clivage sunnite – chiite est plus profond que l’ancienne opposition entre chrétiens et musulmans.  Ces  contradictions,  cette déclaration   et les ambitions hégémoniques  du Hezbollah   ne peuvent  qu’entrainer  d’importantes   conséquences  politiques difficiles à prévoir. On peut  néanmoins s’attendre à  une  reconfiguration et à  un  réalignement   des alliances politiques, s’agissant notamment des partis chrétiens les plus divisés.
 Face à l’intention prêtée à la communauté chiite de remettre en question la Constitution et à la présence de deux millions de réfugiés syriens et palestiniens au Liban, beaucoup de chrétiens pensent que seule une fédération à la Suisse, peut leur éviter de subir le statut des Coptes, voire pire, le sort des chrétiens d'Irak, et garantir la pérennité de leur présence au Liban. Mais il est douteux que cela mène à une meilleure gouvernance. Et la perspective d’un canton chrétien gouverné par des leaders de l’acabit de ceux qui l’ont fait depuis trente ans n’est guerre séduisante. Une formule moins   controversée,  prévue  d’ailleurs par  l’accord de Taëf est le bicamérismes avec une chambre basse élue sur une base non confessionnelle et un Sénat représentatif des communautés, assortis d’une décentralisation administrative.

    




La fin des illusions.
  Malgré les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon et la dégradation de leur niveau et de leurs conditions de vie, très peu de Libanais, à  part un cercle étroit d’experts et  d’initiés, étaient au courant de la situation financière catastrophique du pays. Le réveil allait être brutal. Le 17 octobre 2019   la décision malencontreuse du ministre des télécom d’imposer une taxe sur les communications whatsup déclencha le ras-le bol de la population et  un  formidable soulèvement  qui devait  marquer un tournant capital dans l’histoire du Liban. Le caractère pacifique et transcommunautaire du mouvement suscita d’abord un immense espoir de changement,  en dépit des  violences exercées par les nervis du Président de la Chambre et des  contre--manifestations  d’autres  partis lésés.  A travers le pays un même slogan était scandé par les foules contre la classe politique  corrompue en place depuis trente ans : « tous c'est-à-dire tous ». Malgré l’aveuglement des dirigeants et leur volonté de s’accrocher  au pouvoir,  le Premier ministre, Saad Hariri,  fut contraint de donner la démission de son gouvernement le 29 octobre. Mais son espoir d’être reconduit dans ses fonctions s’avéra vain. Et un  nouveau gouvernement présidé par Hassan Diab et formé de technocrates  a été  nommé le 19 décembre 2019. L’ampleur du désastre est cependant telle que  les perspectives de redressement paraissent extrêmement minces. De plus malgré son indépendance de façade le gouvernement doit sa nomination aux politiciens qui ont conduit le pays à la ruine. Et ses détracteurs les plus virulents l’accusent même d’être le « gouvernement du  Hezbollah » pour avoir été désigné pas ce parti et ses alliés du CPL et d’Amal. Si cette accusation  est sans doute excessive, il semble impuissant à mettre en œuvre les réformes structurelles qui s’imposent, même s’il a lucidement  diagnostiqué la situation financière du pays, Ainsi le gouvernement n’a  rien fait sur le dossier de l’électricité qui a coûté des milliards de dollars,  alors que la réforme de ce secteur est une des conditions des donateurs pour venir en aide au Liban. Il na pas été en mesure à ce jour d’adopter une loi sur les contrôles de capitaux, Et  n’a réussi, ni à  contrôler la contrebande aux frontières, ni à  faire passer un train de nomination administratives et judiciaires échappant à  la logique confessionnelle, ni à  mettre un frein à  une inflation vertigineuse. Tout en aggravant la crise,  le confinement provoqué par le coronavirus a entrainé une pose  dans le mouvement de protestation qui risque de reprendre avec cette fois plus de violence. Il est donc  difficile de prévoir l’évolution de la situation politique. Et il semble que la revendication d’organiser des élections législatives anticipées soit remise aux calendes grecques. En revanche les causes de l’effondrement sont connues et sont à la fois structurelles et conjoncturelles, politiques,  économiques, financières et sociales.    
 Au niveau structurel le système politique confessionnel  a  favorisé la corruption,  le clientélisme et le partage du gâteau entre les  leaders communautaires. Tandis  que l’hégémonie du Hezbollah sur le pays en a fait un pariah aux yeux de ses partenaires arabes,  Au niveau économique et financier la politique monétaire suivie   jusqu’ici   par la banque centrale en collusion avec les banques et l’oligarchie politique et d’affaires a contribué  à la crise actuelle. Consistant   à maintenir artificiellement le taux de change  de la livre libanaise et à  offrir des taux d’intérêts  de plus en plus élevés  aux déposants afin d’attirer les capitaux étrangers,  elle   a surtout servi à financer une dette publique insoutenable et un service public hypertrophié et inefficace au détriment des investissements productifs et du secteur privé Jusqu’à ces dernières années  les flux de capitaux provenant en grande partie de la diaspora étaient suffisamment élevés pour maintenir à  flot le système. Mais   la crise économique que connaissent  les pays du Golfe,  leur  défiance  vis-à-vis de l’emprise du Hezbollah sur le gouvernement libanais et les sanctions américaines contre  le parti ont entraîné une baisse sensible de ces flux. Leur diminution assortie d’une  fuite des capitaux  et   du  manque de confiance a creusé le déficit de la balance  des paiements. Tandis que le  déficit budgétaire, causé par le service de la dette et une politique irresponsable  de recrutement et d’augmentation des salaires,  se maintenait à un niveau  élevé (autour de 10% du PIB en 2018). Cette politique et une corruption endémique a eu des conséquences catastrophiques au niveau social  qui se traduisent  par  un creusement des inégalités et un appauvrissement  des classes moyennes et populaire. Sans compter le délabrement  des services publics et des infrastructures malgré une dette publique colossale.
  Aujourd’hui avec la dévaluation de la livre libanaise, les faillites d’entreprises,  les licenciements et un  chômage  de masse,  on estime que plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et certaines familles sont au bord de la famine.  Le PIB chutera probablement de 30% en 2020.  La plupart des banques sont virtuellement en faillites ce qui nécessitera une restructuration du secteur. On ne connait pas le montant exact des réserves nettes de la BDL Les déposants n’arrivent pas à retirer leurs dépôts en devises au delà d’un montant mensuel dérisoire, ce qui revient de facto à  un « haircut ».  Et les importations sont réduites aux produits de première nécessité, mettant en péril de nombreuses entreprises. Certes la dévaluation de la livre et la décision du gouvernement de sursoir  au remboursement de  4,5 milliards  d’euro bonds  venant à   échéance en 2020 aura pour effet d’éponger une grande partie de la dette publique,  surtout celle  libellée en monnaie locale. Et un autre effet positif sera une baisse des taux d’intérêts bénéfiques au secteur privé à moyen terme.  Il est cependant douteux que le plan de réformes proposé par le gouvernement, à  supposé qu’il soit mis en œuvre,  ne suffise à redresser la situation et à  éviter la paupérisation de la population.  Et même si le pays parvenait à obtenir l’assistance du Fond Monétaire International et si les promesses d’investissements du programme CEDRE venaient à se concrétiser les Libanais doivent s’attendre à  plusieurs années de vaches faméliques. Bien plus qu’une crise économique et financière, le Liban traverse une profonde crise de régime, une crise institutionnelle et  une crise  morale sans précédent depuis la fin de la guerre.
Ibrahim Tabet


Monday, April 13, 2020


De  l’immortalité de l’âme.  .

 Face aux mystères de l’univers les hommes n’ont pu que se livrer à des conjectures sur ce qui est au delà de leur savoir.  Seules instances à avoir répondu durant des millénaires à la question du sens, les religions ont  également pour fonction de conjurer  l’angoisse de la mort  faisant miroiter une promesse de vie éternelle ici-bas ou dans l’au-delà. Les premiers indices de la tentative de nos ancêtre de conjurer le spectre de la mort furent  la découverte de cadavres enterrés en position fœtale par l’homo sapiens il y a environ cent mille ans. Les objets trouvés autour des corps des défunts attestent de l’idée qu’il existait une nouvelle vie après la mort. Inspirée  de textes sumériens, l’épopée de Gilgamesh raconte la vaine quête d’immortalité de ce roi légendaire. Elle est une illustration de la condition humaine définie par l’inéluctabilité de la mort. La religion égyptienne avait pour enjeu fondamentale la question de la survie après la mort. Cette préoccupation explique pourquoi les anciens Égyptiens pratiquaient la momification et ont accordé  autant d’importance aux demeures des morts qu’à celles des dieux.  Dans le védisme antique le soma était une boisson d’immortalité. En   Grèce Pythagore est le premier philosophe  à formuler l’idée d’une séparation entre le corps et l’âme, d’  découle la croyance en l’immortalité de l’âme.   

  Les premières religions étaient à l’ origine  principalement orientées vers l’ici-bas. Accomplir des rites conformes aux commandements de la religion ayant pour fonction d’éviter le courroux des dieux  ou de s’attirer leurs faveurs ; de  produire des résultats espérés en termes de santé, de prospérité, de bonheur ou de victoire. Puis, au  bout d’une longue maturation, se produisit, autour du  Vie siècle avant notre ère,  un tournant moral dans l’histoire des croyances avec l’apparition concomitantes, en Grèce, au Proche-Orient et en Asie.  de philosophies et de religions introduisant la notion de salut individuel. Pour les Hébreux  récompenses et châtiments étaient des choses d’ici-bas. Le bonheur était promis par Dieu à ses fidèles dès la vie terrestre et non dans un lointain au-delà. Celui-ci était un vague séjour des morts, le shéol,  cesse de vivre l’être de chair et les  bons et les méchants  sont mélangés. Ce n’est que dans le judaïsme tardif après l’exil a Babylone où il entra en contact avec le mazdéisme, qu’apparaissent l’idée que l’homme n’est pas puni ou récompensé sur terre mais dans l’au-delà et les notions d’une existence post mortem et de la résurrection des morts.  Juifs,  chrétiens et musulmans adhérent à  la foi en un  seul Dieu, transcendant,  omnipotent,  créateur  de toute chose et éthique  et  à  l’idée de  l’immortalité de l’âme.  Croyant  à  l’existence de l’enfer et du paradis elles font  dépendre de la conduite ici-bas le salut  dans l’au-delà. De son coté le bouddhisme  a attaché une signification morale à l’antique religion  brahmanique dont la spiritualité se situait au-delà du bien et du mal. Il maintien la croyance en la métempsychose et au cycle des réincarnations. Les bons sont sensés se réincarner dans des êtres supérieurs et les mauvais dans des êtres inférieurs. Et  il indique la voie qui permet d’échapper à la loi du cycle infernal de naissances et de renaissances  et d’accéder au nirvana. Si tant est que l’enfer existe est-il vraisemblable que l’on soit éternellement damné pour des actions menées au cours d’une vie aussi éphémère sur terre ? Pour nuancer l’inéluctabilité d’un tel sort,  l’Eglise catholique a inventé la notion de purgatoire. Dans l’idée de réincarnation il y a au moins  la consolation d’avoir une seconde chance. Et je préfère de loin à l’enterrement la pratique de la crémation   les cendres se dissipent dans l’atmosphère.
Pour   la  gnose  et la philosophie  néoplatonicienne  les âmes individuelles qui émanent de l’Ame universelle et procèdent du Tout  sont prisonnières du corps qui est une  dégradation  matérielle de la Lumière primordiale.  Ce n’est qu’en abandonnant notre corps que nous pouvons faire un avec l’Etre suprême.  Ces conceptions sont proches de celles des grandes religions. Parmi les voies spirituelles  pour atteindre cette libération figurent  le renoncement hindouiste au monde,  l’extinction des désirs ouvrant l’accès au nirvâna bouddhiste  ou l’ascèse  pratiquée par les mystiques soufis et chrétiens.  Pour les  religions monothéistes  les    justes  rejoindront Dieu dans l’au-delà  après leur mort.  Mais  selon  le credo   chrétien de  la résurrection des corps (ou de la chair)  à  la fin des temps,  c’est  avec leur enveloppe charnelle qu’ils jouiront de  la vie éternelle.  Outre son invraisemblance qui a donné lieu à  de nombreuses exégèses   (ressusciterons –nous dans nos corps d’adolescents,   dans nos corps décatis  de vieillards si le sort nous a prêté longue vie,  ou dans nos corps spirituels ?) cette  croyance   n’est-elle pas  contraire  à la   conception de l’âme,  dotée  seule de l’immortalité  et d’une étincelle divine ?  Et que dire de  la description coranique   d’un paradis idyllique    les combattants  pour la foi seront accueillis par des houris vierges et lascives ?   Il faut sans doute  situer ces deux visions  dans le contexte des époques   crédules    elles ont été formulées.   C’est le cas particulièrement  de celle du Coran qui est typique des  sociétés patriarcales la femme est tenue pour une créature  inférieure.   
A quel moment l’espèce homo a-t-elle été pourvue d’une âme immortelle dont ses ancêtres singes étaient privés ? Nous savons aujourd’hui, que la  forme supérieure de  conscience dont l’homme est doté est l’aboutissement d’une longue évolution  qui  a pour origine les particules élémentaire issues du « big bang ». Cela pose la question fondamentale de la relation entre le corps humain, en particulier le cerveau,  et l’esprit au sujet de laquelle s’opposent d’une part  le dualisme et le monisme et d’autre part l’idéalisme et  le matérialisme philosophiques.  Pour les philosophes matérialistes l’esprit n’est autre qu’un processus physique. Tandis que dans Matière et esprit, Henri Bergson  soutient une conception dualiste de l’être : l’esprit existe par lui-même. Ce n’est pas un produit de l’activité biologique du cerveau. Théorie qui sera démentie par la neuroscience selon laquelle la distinction entre matière et esprit est moins nette qu’on ne pensait.
Après la mort nos atomes s’éparpillent dans l’univers, pour se réincarner à l’infini, dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou moins solides, plus ou moins éthérés.  La  théorie  hindouiste de la métempsychose  serait-elle pour autant  moins invraisemblable que la vision judéo-chrétienne de l’au de-là ? Les atomes sont éternels, mais  cela veut-il dire que notre identité survive indéfiniment aux  multiples recompositions subies par les particules  qui furent notre moi ?  Se peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule de matière disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines vieilles demeures ?
Mai 2005       

Saturday, March 14, 2020

Le désenchantement d’un monde.
Le soir de ma vie s’accompagne de la fin de mes illusions ;  du désenchantement de mon monde. Franco-libanais de cœur et de nationalité, il m’a été donné d’assister au déclin de la France et à la faillite du Liban. J’ai vécu en France de 1959 à 1970 à la grande époque où le général de Gaulle, revenu aux affaires, présidait aux destinées du pays. Personnalité historique française la plus marquante du XXe siècle, il a porté à son apogée le rayonnement et l’influence politique internationale de la France qui jouissait également alors d’une forte croissance économique et du plein emploi.
Cette période faste a fait place aujourd’hui à une crise multiforme, économique, sociale, sociétale et morale qui s’exprime de différentes manières. Qu’il s’agisse du mouvement des gilets jaunes provoqué par le sentiment de déclassement d’une frange de la population, du problème de banlieues devenues des « territoires perdus de la République » (selon le titre d’un ouvrage qui a fait grand bruit lors de sa parution, au début des années 2000) ou des polémiques autour de la thèse controversée du « grand remplacement » et de la menace que ferait peser l’islamisme sur la civilisation française. Cela étant dit, les Français jouissent d’une qualité de vie et surtout d’une protection sociale enviables, même comparées aux autres pays développés. Ce qu’exprime la boutade selon laquelle « ils se croient en enfer alors qu’ils vivent au paradis ».
Si les Français se plaignent de leur sort et conspuent leur gouvernement, que dire de la classe politique libanaise et du sort des Libanais dont l’horizon paraît bouché ! Les trente premières années de mon existence sont aussi celles des trente premières années glorieuses du Liban indépendant. Âge d’or qui lui a valu le surnom de « Suisse du Moyen-Orient » et a été suivi de sa descente aux enfers entre 1975 et 1990. Sa destruction aux mains de l’étranger et des Libanais eux-mêmes a suscité en moi une profonde amertume.
Quant à l’espoir entretenu par l’œuvre de reconstruction entreprise par Rafic Hariri, il n’a pas tardé à laisser place à la désillusion. La fin de la prépondérance chrétienne, les changements démographiques et la contre-culture représentée par le Hezbollah ont profondément altéré le visage du Liban. Les causes de son effondrement financier et économique sont connues : confessionnalisme, corruption, clientélisme, venues au pouvoir de partis issus des milices, collusion entre une oligarchie politique mafieuse et des milieux bancaires et d’affaires au détriment de l’intérêt de l’État et de la population, système financier alimentant un déficit et une dette publique insoutenables, et économie de rente décourageant les investissements productifs.
Le seul espoir de redressement réside dans la jeunesse qui s’est soulevée depuis le 17 octobre, bien que le civisme et la nature transcommunautaire du mouvement aient été entachés par les agissements des nervis d’Amal. Mince espoir démenti toutefois par la vague d’émigration de beaucoup de ces jeunes en quête d’un avenir meilleur. En effet, à supposer que les réformes nécessaires soient mises en œuvre, que des élections législatives fassent émerger une nouvelle classe politique, que le pays bénéficie d’une aide internationale et des revenus de l’exploitation de ses ressources potentielles de gaz offshore, il faudra des années pour que les Libanais retrouvent le niveau de vie qui était le leur avant l’effondrement. Ce qui signifie que beaucoup de gens de ma génération ne verront probablement pas le bout du tunnel.
Ibrahim Tabet,

Le crépuscule du Levant

« Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »
Paul Valéry



L’essor et le déclin des civilisations, des empires et des nations est une constante historique.  L’Europe occidentale n’atteignit le niveau de développement qui était le sien avant les invasions  barbares de l’Empire romain d’Occident qu’à la Renaissance. Et après  avoir dominé le monde, au XIXe siècle, elle est aujourd’hui en déclin.  Un déclin  toutefois très relatif comparé à  celui du  monde arabe  et  particulièrement au sort actuel des    pays du Levant : la  Palestine pratiquement rayée de la carte et   l’Irak, la Syrie et le Liban  qui font   figure d’Etats faillis.   Ancienne appellation du Proche-Orient  dans la vision  européocentrique du monde, le  Levant  revêtait, comme l’écrit  Edward Saïd dans « l’Orientaliste »,    une image  moins romantique  que   dépréciative,   justifiée par l’avance prise   par l’Occident sur l’Orient à partir de  la révolution scientifique et industrielle.   C’était occulter le legs de l’Orient  à  la civilisation occidentale et le fait que le  Levant vit l’aube de  la révolution agricole  et fut le berceau des plus anciennes civilisations,  de l’invention  de  l’écriture  et des  trois monothéismes. Au Moyen Age la civilisation arabo-musulmane  était plus avancée que  celle de l’Europe occidentale jusqu'à la destruction de Bagdad par les Mongols au XIIIe siècle.  Le Levant entra dès lors en décadence et  sa civilisation brillante a été  succédée par  un long crépuscule.  La « Nahda »,   suivie de l’accès à l’indépendance des pays du Levant au sortir  de la Deuxième Guerre mondiale a fait naître un  espoir de redressement.  Déjà au XIX siècle le Liban   était  en avance culturellement sur le reste  du Levant  ployant sous le joug ottoman. Et Il   a vécu un âge d’or durant les trente première années de son indépendance.  Tandis que la  Syrie et l’Irak étaient gouvernés par  des dictatures militaires adeptes d’un socialisme étatique économiquement inefficace. Que, depuis la « Nakba »  le sort du peuple palestinien n’a jamais été aussi désespéré. Et  qu’en Égypte  les lumières de la civilisation levantine cosmopolite dont Alexandrie fut l’un des phares se sont éteintes.  Divisé et impuissant,  le monde arabe est soumis à  l’hégémonie américaine et   marginalisé par les héritiers  des deux anciens grands empires historiques de la région   : l’Iran et la Turquie. Enfin,  même  s’il ne s’agit nullement d’exonérer l’Etat d’apartheid d’Israël, on dirait que l’histoire a  donné raison à  la légende biblique  selon laquelle Yahvé  aurait favorisé Isaac, fils de l’épouse légitime d’Abraham, Sara, par rapport à Ismaël fils de l’esclave, Agar, et ancêtre mythique des Arabes. Jamais ces derniers n’étaient en effet tombés aussi bas que maintenant, tandis qu’alors que les Hébreux avaient été réduits en esclavage par les Égyptiens et vaincus et occupés par les Assyriens, les Babyloniens et les Perses, Israël est aujourd’hui la première puissance militaire du Moyen- Orient. Et  les quinze millions de juifs comptent 137 prix Nobel alors que un milliard cinq cent millions de musulmans n’en ont décroché que sept.  Si l’ensemble du  monde arabo-musulman  est affecté par la régression culturelle causée  par la montée de l’islamisme qui menace également tous les régimes arabes, ce sont  cependant ( en plus de  la Lybie et le Yémen qui n’en font pas partie)   les pays du Levant dont le sort est le plus dramatique : la Palestine du fait de l’occupation et de l’oppression israélienne , l’Iraq depuis l’invasion américaine qui a enfanté Daech, et dont  80% de la  population chrétienne a pris  le  chemin  de l’exil, la Syrie en proie à une guerre dévastatrice  alimentée par des interventions étrangères ayant fait près  de quatre cent mille morts,   et le Liban dont l’effondrement  économique et financier actuel  a été aussi soudain que catastrophique   par la faute de ses propres dirigeants corrompus et du fait de l’action corrosive du Hezbollah. En revanche, alors que l’horizon des héritiers des Sumériens, des Phéniciens et des Omeyades n’a jamais paru aussi sombre, les fils des bédouins de la péninsule arabique connaissent une prospérité insolente. Mohammed Ben Salman est entrain de réformer les structures sociales moyenâgeuses de l’Arabie Saoudite. Et c’est aux Émirats et non à Beyrouth, autrefois pôle culturel de la région que le Louvre a établi une antenne. Mais la responsabilité du  naufrage du Liban  ne saurait être imputée à l’immense majorité des Libanais,  en particulier de sa jeunesse dont le soulèvement est porteur d’espoir. Et le développement des pays du Golfe est en partie redevable au dynamisme de la diaspora libanaise.
Ibrahim Tabet