Quel effet au Moyen-Orient de la visite d’Emmanuel Macron aux
Etats-Unis ?
La visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis marque de façon éclatante le renforcement
des relations franco-américaines qui n’ont probablement jamais été aussi étroites.
Au-delà des embrassades et des manifestations ostentatoires d’amitié entre les
deux présidents, c’est un succès personnel pour le locataire de l’Elysée qui a
renfoncé son statut d’allié privilégié de Washington au sein de l’Union Européenne
post-Brexit. Enfin, survenant juste après la participation française à la
frappe militaire contre le régime syrien, elle avait pour but de réaffirmer le rôle
de la France dans le jeu de puissances au Moyen-Orient qui a figuré en bonne
place au menu des discussions. Mais si
M. Macron a partiellement réussi à influencer son interlocuteur au sujet du
dossier syrien, il a échoué à le faire sur la question du nucléaire iranien.
En Syrie, il est clair que
l’Occident paye aujourd’hui le prix de ses
contradictions et de ses mésalliances, et a perdu la partie dans la
guerre par procuration dont ce malheureux pays est le théâtre. La frappe soigneusement
calibrée des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni sur des sites supposés
de production d’armes chimiques fait figure de baroud d’honneur qui n’aura
aucun effet sur l’issue du conflit, ce qui n’était d’ailleurs pas le but. Sans
compter que sa légalité et les preuves de l’utilisation de l’arme chimique par
le régime son contestables. Bachar el- Assad
restera au pouvoir, malgré les tentatives de ses adversaires de changement du régime
syrien, faisant suite aux désastreuses interventions militaires occidentales en
Irak et en Libye. La Russie, qui a toujours été cohérente dans sa stratégie, a
effectué un retour fracassant au Moyen-Orient où son influence est
désormais incontournable. Et, malgré les tentatives américaines de l’en
empêcher, l’Iran a réussi à ouvrir le fameux corridor terrestre le reliant à la
Méditerranée et au Hezbollah, via l’Irak et la Syrie, menaçant de créer un
second front face à Israël, en plus du Sud-Liban. Dans ce contexte, vouloir « ramener les
troupes américaine à la maison le plus tôt possible » comme l’a annoncé
Donald Trump reviendrait à offrir un cadeau au régime des mollahs, bête noire
de Washington. Qu’elle soit conforme à sa promesse de
campagne de placer « l’Amérique d’abord », ou qu’elle serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage
de moyens destinés à financer le
maintien des forces américaines sur place, ne diminue en rien l’impression de
confusion du signal qu’elle envoie, après que le Département d’Etat et le
Pentagone aient affirmé le contraire. Elle ne peut
que réjouir les adversaires russe, iranien et syrien de Washington et inquiéter
ses alliés : les monarchies arabes du
Golfe et surtout les Kurdes qui risquent d’être abandonnés à la merci de la
Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre l’État islamique. Et elle compromettrait les chances des Etats-Unis et
de ses alliés occidentaux de peser sur la solution du conflit syrien. D’où le fait que le président
Trump, dans un des énièmes revirements dont il est coutumier, ait apparemment prêté
une oreille favorable aux arguments d’Emmanuel Macron de sursoir à sa décision
de retrait précipité ; d’autant plus qu’ils sont partagés par ses
conseillers.
Que Paris apparaisse plus
royaliste que le roi américain lui permette de recouvrer un rôle politique dans
la résolution du conflit syrien dont il est complètement exclu depuis le
quinquennat de François Hollande est une autre question. En fait, depuis la
présidence de Jacques Chirac, l’influence française n’a pas cessé de reculer au
Moyen-Orient. Chirac a été le dernier représentant de la « politique
arabe » de la France initiée par le Général de Gaulle. Celle-ci était
caractérisée par une politique indépendante par rapport au Etats-Unis et à une
position plus équilibrée sur le conflit israélo-palestinien. Elle a permis à la France d’apparaître comme la
seule puissance occidentale représentant un semblant de recours vis-à-vis de l’hégémonie
des Etats-Unis. Un des principaux leviers d’influence de la France et de
l’Europe est le volet financier, la Russie étant incapable d’assurer la
reconstruction du pays. Une autre carte à jouer est la rivalité potentielle
entre Moscou et Téhéran qui constitue un obstacle à la consolidation du
protectorat russe en Syrie, ce qui implique de mettre un bémol à l’ostracisme
dont le Kremlin est l’objet de la part de l’Occident.
Sur la question
de l’accord entre les 5+1 et Téhéran sur le nucléaire iranien, il est clair que
celui-ci n’a eu aucun effet modérateur sur la politique étrangère et intérieure
du régime des mollahs. Paris et Washington sont d’accord pour dénoncer ses
visées expansionnistes et leur effet
déstabilisateur au Moyen-Orient. Mais alors que Donald Trump considère l’accord
comme le pire qui soit, Emmanuel Macon estime que c’est la moins mauvaise des
solutions. Un retrait unilatéral éventuel américain le 12 mai
prochain n’impliquerait certes pas celui des autres signataires,
mais ses conséquences sont imprévisibles. D’une part parce qu’il n’est pas
clair qu’il puisse être complété par un nouvel accord sur les missiles
balistiques iraniens ou sur sa politique régionale. Et d’autre part car Téhéran
n’a nullement l’intention d’ouvrir des négociations sur ces sujets. Quant à
l’imposition de nouvelle sanction, elle n’aurait aucun effet sur la politique étrangère de la République
islamique, malgré le délabrement de son économie dont témoignent la chute
vertigineuse de sa devise et la grogne populaire. Seule une intervention
militaire israélienne contre les bases iraniennes en Syrie pourrait changer la
donne, mais ses conséquences seraient encore plus imprévisibles.
Ibrahim Tabet