Friday, April 27, 2018


Quel effet au Moyen-Orient de la visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis   ?   

La visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis marque de façon éclatante le renforcement des relations franco-américaines qui n’ont probablement jamais été aussi étroites. Au-delà des embrassades et des manifestations ostentatoires d’amitié entre les deux présidents, c’est un succès personnel pour le locataire de l’Elysée qui a renfoncé son statut d’allié privilégié de Washington au sein de l’Union Européenne post-Brexit. Enfin, survenant juste après la participation française à la frappe militaire contre le régime syrien, elle avait pour but de réaffirmer le rôle de la France dans le jeu de puissances au Moyen-Orient qui a figuré en bonne place au menu des  discussions. Mais si M. Macron a partiellement réussi à influencer son interlocuteur au sujet du dossier syrien, il a échoué à le faire sur la question du nucléaire iranien.
   En Syrie, il est clair que l’Occident paye aujourd’hui le prix de ses  contradictions et de ses mésalliances, et a perdu la partie dans  la guerre par procuration dont ce malheureux pays  est le théâtre. La frappe soigneusement calibrée des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni sur des sites supposés de production d’armes chimiques fait figure de baroud d’honneur qui n’aura aucun effet sur l’issue du conflit, ce qui n’était d’ailleurs pas le but. Sans compter que sa légalité et les preuves de l’utilisation de l’arme chimique par le régime son contestables.  Bachar el- Assad restera au pouvoir, malgré les tentatives de ses adversaires de changement du régime syrien, faisant suite aux désastreuses interventions militaires occidentales en Irak et en Libye. La Russie, qui a toujours été cohérente dans sa stratégie, a effectué un retour fracassant au Moyen-Orient son influence est désormais incontournable. Et, malgré les tentatives américaines de l’en empêcher, l’Iran a réussi à ouvrir le fameux corridor terrestre le reliant à la Méditerranée et au Hezbollah, via l’Irak et la Syrie, menaçant de créer un second front face à  Israël, en plus du Sud-Liban. Dans ce contexte, vouloir « ramener les troupes américaine à la maison le plus tôt possible » comme l’a annoncé Donald Trump reviendrait à offrir un cadeau au régime des mollahs, bête noire de Washington. Qu’elle soit conforme à sa promesse de campagne de placer « l’Amérique d’abord », ou qu’elle serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage de moyens destinés à financer le maintien des forces américaines sur place, ne diminue en rien l’impression de confusion du signal qu’elle envoie, après que le Département d’Etat et le Pentagone aient affirmé le contraire. Elle ne peut que réjouir les adversaires russe, iranien et syrien de Washington et inquiéter ses alliés : les monarchies arabes du Golfe et surtout les Kurdes qui risquent d’être abandonnés à la merci de la Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre l’État islamique. Et elle compromettrait les chances des Etats-Unis et de ses alliés occidentaux de peser sur la solution du conflit syrien. D’où le fait que le président Trump, dans un des énièmes revirements dont il est coutumier, ait apparemment prêté une oreille favorable aux arguments d’Emmanuel Macron de sursoir à sa décision de retrait précipité ; d’autant plus qu’ils sont partagés par ses conseillers.
   Que Paris apparaisse plus royaliste que le roi américain lui permette de recouvrer un rôle politique dans la résolution du conflit syrien dont il est complètement exclu depuis le quinquennat de François Hollande est une autre question. En fait, depuis la présidence de Jacques Chirac, l’influence française n’a pas cessé de reculer au Moyen-Orient. Chirac a été le dernier représentant de la « politique arabe » de la France initiée par le Général de Gaulle. Celle-ci était caractérisée par une politique indépendante par rapport au Etats-Unis et à une position plus équilibrée sur le conflit israélo-palestinien. Elle a permis à  la France d’apparaître comme la seule puissance occidentale représentant un semblant de recours vis-à-vis de l’hégémonie des Etats-Unis. Un des principaux leviers d’influence de la France et de l’Europe est le volet financier, la Russie étant incapable d’assurer la reconstruction du pays. Une autre carte à jouer est la rivalité potentielle entre Moscou et Téhéran qui constitue un obstacle à la consolidation du protectorat russe en Syrie, ce qui implique de mettre un bémol à l’ostracisme dont le Kremlin est l’objet de la part de l’Occident.
    Sur la question de l’accord entre les 5+1 et Téhéran sur le nucléaire iranien, il est clair que celui-ci n’a eu aucun effet modérateur sur la politique étrangère et intérieure du régime des mollahs. Paris et Washington sont d’accord pour dénoncer ses visées expansionnistes et  leur effet déstabilisateur au Moyen-Orient. Mais alors que Donald Trump considère l’accord comme le pire qui soit, Emmanuel Macon estime que c’est la moins mauvaise des solutions. Un retrait unilatéral éventuel américain le 12 mai prochain n’impliquerait certes pas celui des autres signataires, mais ses conséquences sont imprévisibles. D’une part parce qu’il n’est pas clair qu’il puisse être complété par un nouvel accord sur les missiles balistiques iraniens ou sur sa politique régionale. Et d’autre part car Téhéran n’a nullement l’intention d’ouvrir des négociations sur ces sujets. Quant à l’imposition de nouvelle sanction, elle n’aurait aucun effet  sur la politique étrangère de la République islamique, malgré le délabrement de son économie dont témoignent la chute vertigineuse de sa devise et la grogne populaire. Seule une intervention militaire israélienne contre les bases iraniennes en Syrie pourrait changer la donne, mais ses conséquences seraient encore plus imprévisibles.
Ibrahim Tabet  

Sunday, April 8, 2018


US go home ? 

La déclaration  surprenante de Donald Trump selon laquelle les troupes américaines présentes en Syrie devraient bientôt « rentrer à la maison » correspond  ironiquement au  slogan brandi par les  manifestants  hostiles aux  Etats-Unis dans le monde arabe.  Qu’elle soit conforme à la promesse de campagne du candidat Trump de placer « l’Amérique d’abord »,  ou serve de moyen de pression sur Riyad pour lui extorquer d’avantage de moyens destinés à financer le maintien des forces  américaines  sur place ne diminue  en rien  les effets négatifs et l’impression de confusion  du signal  qu’elle envoie. Prenant en quelque sorte acte de la défaite américaine et occidentale en Syrie, elle ne peut que réjouir les adversaires russe, iranien et syrien  de Washington, dont elle fait le jeu,  et  inquiéter ses alliés : les monarchies arabes du Golfe qui redoutent la montée en puissance de l’Iran à qui un éventuel retrait américain offrirait  un cadeau inespéré. Et surtout les  Kurdes  qui risquent d’être abandonnés  à la merci de la Turquie après avoir servi de troupes supplétives contre  l’Etat islamique. Appui aux Kurdes  qui, autre effet pervers de la politique américaine,   avait d’ailleurs
jeté la Turquie, membre de l’OTAN, dans les bras de Moscou. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que les Etats-Unis lâchent leurs alliés,  ni la première volte-face  américaine concernant  la guerre en  Syrie.  Barak Obama avait donné le ton  en s’abstenant de mettre à exécution sa menace de bombarder le régime syrien après l’utilisation d’armes chimiques par ce denier.  Survenant  quelques jours après que l’ex  secrétaire d’Etat Rex Tillerson et le général commandant du théâtre régional des opérations militaires (CENTCOM) aient affirmé la détermination des Etats-Unis  à maintenir une présence militaire en Syrie,  la déclaration intempestive  du locataire de la Maison Blanche illustre son  inconstance et les contradictions de la politique étrangère de l’administration Trump. La déplorable cacophonie qu’elle donne en spectacle souligne l’absence actuelle  de doctrine américaine concernant la région qui  fait presque regretter la grande époque d’un Kissinger, malgré le mauvais souvenir qu’il a laissé au Liban.  Elle contraste cruellement avec la vision   claire et  la  maîtrise  du jeu d’un  Vladimir Poutine ou d’un Xi Jin Ping sur l’échiquier géopolitique mondial. Donald Trump aurait pu  faire le poids face à  eux s’il écoutait les conseils  mais il n’en fait qu’à  sa tête  comme en témoignent la valse de ses conseillers  et ses nombreux revirements. Celui par exemple  , après avoir qualifié l’OTAN « d’organisation obsolète », il est revenu sur ses propos. Ou  sa proposition de rencontrer le dictateur coréen Kim Jong-Un,  après l’avoir traité de tous les noms d’oiseaux et avoir menacé d’atomiser son pays. Cette proposition  constitue un cadeau à  ce dernier comparable à celui qu’il ferait à  l’Iran en cas de retrait des troupes américaines de Syrie ; alors même qu’il  menace Téhéran de dénoncer l’accord sur le nucléaire : « le pire qui soit » selon ses dires. S’il a raison  d’affirmer que cet accord n’a en rien diminué les visées expansionnistes de l’Iran, son hostilité viscérale à  son égard vise à  la fois à complaire à  Israël et à  monnayer sa protection des pétromonarchies du Golfe ce qui, en bon businessman,  constitue une de ses priorités. « Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge. » Ce dicton pourrait s’appliquer aux alliés des Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas de  ceux de  Moscou qui est  autrement plus fiable à  leur égard.  Profitant des errements de la politique américaine, la Russie  a effectué un retour fracassant au Moyen-Orient.  Depuis son intervention militaire en Syrie, elle  s’est imposée comme un acteur incontournable au Moyen-Orient et a réaffirmé son statut de grande puissance de premier plan.   Avec le  retour de la Russie   et  surtout la montée en puissance de la Chine, c’est l’ordre du monde nouveau qui s’ébauche.    Ce qui ne serait pas une mauvaise chose, au vu  du chaos  que les Etats-Unis ont provoqué, notamment avec l’invasion  de l’Irak,  depuis que la chute de l’URSS  les a propulsés au rang d’unique superpuissance.
Ibrahim Tabet