Friday, December 30, 2016

Le début de la fin ou la fin du début ?

 Après la victoire d’El Alamein, qui a marquée  le début du retournement  de la  fortune des armes lors de la Deuxième guerre  mondiale, Winston Churchill  a déclaré : "Now this is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of the beginning." La même remarque pourrait être faite à propos de la libération d’Alep. Malgré cette victoire contre les jihadistes, le conflit  en Syrie, qui s’est rapidement transformé en guerre par procuration,  risque   de durer encore longtemps. En effet le cessez-le feu  décidé par la Russie la Turquie et l’Iran  et accepté par le régime et les rebelles modérés à  l’issue de cette victoire   ne concerne pas les groupes jihadistes. Et ces derniers sont également exclus des négociations en vue de trouver une solution politique devant s’ouvrir à   Astana sous l’égide de ces trois puissances.  Bien que ses protagonistes locaux, y compris le régime,  soient tributaires de leurs soutiens étrangers,   il est douteux que Bachar el Assad ne veuille pas en finir avec la région d’Idlib  et  reconquérir Palmyre.  Et l’Etat islamique reste aussi menaçant.  Même si les  différents groupes terroristes, y compris Daech,  venaient à être définitivement vaincus militairement, cela ne signera pas  pour autant la fin de l’idéologie islamiste radicale.  Leur  défaite sur le terrain pourrait au contraire mener à une recrudescence du terrorisme transnational comme le montrent les attentats en Jordanie et à  Berlin.  Il en est de même du clivage séculaire sunnito-chiite et sunnito-alaouite  que la rancœur des sunnites à  la suite de ce nouveau revers ne peut qu’approfondir.  Le sort de la Syrie est incertain.  Restera –t’elle divisée ?  Sera-t-elle réunifiée,  ou  transformée  en  lâche fédération de zones d’influence,  avec un gouvernement central ne contrôlant, tant bien que mal, que la « Syrie utile » ?  Quelle sera la composition  de ce gouvernement  et son pouvoir,  l’opposition  modérée  censée en faire partie n’ayant que peu d’influence sur le terrain et n’étant pas capable de faire accepter un compromis aux milices  combattant le régime ?  Combien de temps  Bachar el  Assad restera-t-il   au pouvoir ? Et tant qu’il  s’y maintiendra sera-t-il reconnu par l’Occident et les monarchies pétrolières, malgré les crimes de guerre commis par le régime ?  Accepteront-ils  de financer la reconstruction de la Syrie sans un   changement assurant une transition politique effective ? Autre question importante : quelles seront les  conséquences démographiques de la guerre ? D’une part en Syrie, avec  les déplacements de population prenant  parfois le caractère d’épuration ethnico-confessionnelle ; et d’autre part au Liban avec  la présence d’un million et demi de réfugiés syriens majoritairement sunnites sur son sol,  dont la plupart ne retourneront probablement jamais dans leur pays. Non seulement car ils n’en n’ont nul envie,  mais par ce qu’il est douteux que les conditions matérielles et politiques ne le permettent.  Tant qu’Assad restera au pouvoir il ne sera en effet pas enclin à favoriser leur retour et risque de les utiliser comme carte de pression sur le gouvernement libanais.  
Sur un autre plan, l’Occident  tirera t-il  la leçon  de son échec à  renverser le régime syrien  en finançant et en armant les islamistes,  malgré les conséquences désastreuses de ses  interventions  en Iraq et en Libye ? Mettra-t-il  fin à  sa politique d’ostracisme de la Russie et à  la diabolisation de Vladimir Poutine comme le préconise François Fillon ? Assistera-t-on à  un package deal américano-russe après  la prise de fonction de Donald Trump, comme le laissent entendre les propos  de ce dernier ? Cela, malgré les récentes déclarations d’intention de Washington et de Moscou de renforcer leurs arsenaux nucléaires respectifs. Ce qui est certain en tout cas,  c’est que  le déséquilibre  de puissance entre la Russie et les Etats-Unis en faveur de ces deniers n’a pas empêché  Vladimir Poutine  de rétablir l’influence de son pays au Moyen-Orient  au détriment de celle de l’Occident. Celle-ci  s’exerce  presque sans partage sur la Syrie, où  Moscou doit quant même composer avec  les intérêts  de la Turquie et de l’Iran, deux puissances  sans lesquelles un règlement du conflit est impossible.   Y disposant  de bases militaires,  elle en contrôle  la façade méditerranéenne, potentiellement riche en hydrocarbures ;  situation dont le Qatar a  pris acte   en signant un important accord avec Moscou pouvant déboucher à terme  sur l’acheminement de son gaz  à  travers un gazoduc débouchant sur la côte  syrienne (alors que cette question était l’une des raisons du déclenchement de la guerre !).  Mais la manifestation la plus spectaculaire de l’influence  grandissante de la Russie  et la volte face d’une Turquie, affaiblie par ses difficultés  internes et le spectre de la création d’une entité kurde en Syrie, et  qui  s’est engagée dans une coopération militaire implicite et surtout économique accrue avec la Russie. L’autre gagnant de la guerre en Syrie, qui en fait un allié de circonstance de la Russie,  est l’Iran.  Mais  cela ne peut que renforcer l’hostilité  des pays du Golfe, particulièrement l’Arabie Saoudite enlisée au Yemen,  envers la République islamique dont les coreligionnaires  chiites sont en passe de reconquérir la ville sunnite de Mossoul.  Surtout,  l’intention déclarée de Donald Trump  de remettre en question l’accord sur le nucléaire signé avec Téhéran risque à  nouveau de brouiller les cartes, non seulement en Syrie, mais dans toute la région,  y compris au Liban  du fait de l’influence qu’y exerce l’Iran à   travers le Hezbollah.
Ibrahim Tabet