Conférence sur la genèse de l’idée de Dieu
« Tout homme va à Dieu à travers ses propres
dieux »
Ghandi
C’est
mon ouvrage « Le Monothéisme le
pouvoir et la guerre » qui m’a
conduit à m’intéresser à la question
de la genèse de l’idée de Dieu.
De l’animisme au
polythéisme
Face aux mystères de l’univers, les hommes, ne pouvant
se livrer qu’à des conjectures sur ce qui est au delà de leur savoir, inventèrent les dieux. Seules instances à avoir répondu durant
des millénaires à la question
du sens et à l’angoisse de la mort, les religions exercent
une fonction à la fois
spirituelle (lien entre le sacré et le profane) et sociale (lien entre les
hommes). Faisant miroiter une promesse de vie éternelle dans l’au-delà, elles
sont aussi orientées vers l’ici-bas. Accomplir des rites conformes aux
commandements de la religion ayant pour fonction de produire des résultats
espérés en termes de santé, de prospérité, de bonheur ou de victoire. Non contente de vouloir régenter les consciences, la théologie a également prétendu
pendant des siècles se mêler de cosmologie avant de consentir à laisser ce domaine de compétence
à la science et à se limiter à la question du salut.
De l’animisme l’humanité est passée au polythéisme, puis, pour une partie d’entre
elle, au monothéisme. Au cours du paléolithique
est apparue une forme primitive de religiosité sacralisant la nature.
Les rituels pratiqués par les chamanes
avaient pour fonction de communiquer
avec ses forces invisibles.
Et les aliments et les armes
enterrés autour des corps des défunts témoignaient de l’idée qu’il existait une vie dans
l’au-delà. Un peu plus tard apparut le
culte des esprits ancêtres. Il ne
s’agissait cependant pas encore de spiritualité ou de religion mais
d’expérience du sacré. Les premières représentations de divinités apparurent il
y a seulement dix mille ans à l’aube du
néolithique avec la sédentarisation. Il
existe toutefois une théorie d’après laquelle les hommes auraient d’abord adoré
une divinité unique qui peu à peu se vit adjoindre d’autres dieux.
Aux rituels de la transe chamanique succédèrent
les prières des prêtres. Les esprits du ciel, du tonnerre des orages ou de la pluie furent convertis en divinités sexuées. Chaque dieu répondait à
des fonctions précises : dieu de la guerre, déesse de la fécondité etc.
Et la
croyance que l’âme ne peut
accéder à la vie éternelle sans son
enveloppe charnelle entraîna la
momification des corps des pharaons dans l’Égypte antique.
Les déesses mères, symboles de fécondité et de fertilité, précédèrent les dieux. Mais ces dernières
finirent par être
supplantées par les dieux avec la
constitution de sociétés patriarcales.
Les
rituels sacrificiels, qui avaient pour
fonction de bénéficier de leur protection et de
leurs bienfaits ou de conjurer leur courroux, firent l’objet d’une
surenchère débouchant parfois sur des sacrifices humains. Les divinités
égyptiennes primitives zoomorphes représentées par des humains à tête animale, comme Horus, le dieu Faucon, ont laissé la place aux dieux anthropomorphes
grecs, dotés des mêmes passions et des
mêmes travers que les humains. Toutes les religions de l’Antiquité pratiquaient le culte du soleil, source de
vie, dont le retour fixe entretient le
changement des saisons. Dans l’Egypte
antique Ré, le dieu soleil était le dieu
le plus important. Plus tard associé au dieu de Thèbes, Amon, il devint Amon-Ré.
Chaque cité, chaque État avait ses dieux que l’on invoquait en temps de paix ou de
guerre. La victoire d’une communauté était aussi la victoire de son propre dieu
sur le dieu étranger, du dieu le plus fort sur le dieu le plus
faible. Aucun État conquérant ne nourrissait
toutefois la prétention de convertir, de
gré ou de force, à ses dieux,
les peuples qu’il
subjuguait, préférant souvent intégrer
les dieux de ces derniers à leur propre
panthéon où ils occupaient toutefois un rang inférieur. Témoignant du syncrétisme de l’Antiquité,
Rome édifia même un Panthéon abritant tous les dieux des peuples conquis.
Avec
la constitution de grands États
succédant aux cités-États apparut une hiérarchisation des dieux, puis l’idée de l’existence d’une divinité suprême mais
non exclusive faisant l’objet d’un culte qualifié de monolâtrie, étape intermédiaire entre le polythéisme et
le monothéisme. C’est les cas de Zeus, trônant au sommet de l’Olympe,
d’Amon- Rê, ou d’El,
le dieu suprême des cananéens-phéniciens
qui deviendra l’Elohim des
Hébreux. La religion servait à légitimer le pouvoir
des rois, souvent eux-mêmes divinisés.
Les pharaons, à la fois souverains absolus et prêtres suprêmes de l’Égypte
antique, garants de l’ordre du monde s’identifiaient
à Rê. À Rome,
les empereurs étaient eux aussi divinisés et le culte impérial était mis au
service de l’intégration des peuples de l’Empire.
Parallèlement
à la théogonie (création des divinités)
les religions de l’Antiquité ont
développé des cosmogonies : systèmes mythiques d’explication de la naissance de l’univers. Celui-ci était censé être né du chaos (pour les
Grecs), ou avoir été crée par Brahma
(pour les Hindouistes) ou par Yahvé, comme dans le livre de la Genèse. Dans
l’univers mythologique égyptien deux cosmogonies rencontrent un succès national. Celle de Ptah à Memphis et celle de Rê, le dieu soleil, à
Héliopolis. Dieu tutélaire cosmique, Ptah, est l’élément structurant de
l’univers qu’il organise à l’aide de sa pensée et de sa voix
en nommant les êtres et les choses. Rê,
quant à lui émerge du « Noun », l’océan primordial
qui existait avant le monde créé.
Le récit
légendaire de la mort et la résurrection d’Osiris est le principal mythe
fondateur de la religion égyptienne. Ce mythe chargé de symboles (la vie de
l’âme après la mort, le cycle des
saisons et du renouvellement des
végétaux, l’espoir d’une renaissance) fut repris avec des variantes par
d’autres religions. Ce fut le cas
de la mort et de
la renaissance du dieu phénicien
Adon qui fut ramené à la vie par son
amante Ashtart. Puis le mythe atteignit
la civilisation grecque. .
Les
grandes religions de l’Antiquité avaient une conception trinitaire de la
divinité qui sera reprise par le christianisme. Pour la théosophie ou sagesse
des dieux, le microcosme est, par sa
composition ternaire, à l’image du macrocosme, monde divin, humain et naturel, qui est
lui-même l’organe ineffable de Dieu, lequel est Père, Mère et Fils, essence,
substance et vie. A Osiris, Isis et
Horus chez les Égyptiens, faisaient pendant
Zeus, Déméter et Apollon chez les Grecs, Baal, Ashtart et Adon à Byblos
et Brahma, Shiva et Vishnou chez
les Hindous.
Incarnation
de l’éternelle énergie cosmique, Shiva tient dans sa main gauche supérieure une langue de feu, et dans sa main droite supérieure le
tambourin, représentant la musique, symbole
de l’harmonie des lois de la nature. A l’origine est le règne absolu de
la flamme. Le feu s’abaisse. La matière s’éveille et s’organise. La flamme fait
place à la musique. Les gestes des autres mains traduisent l’équilibre de la
vie et de la mort dans le cycle des réincarnations à l’issue duquel les âmes sont destinées à fusionner avec le Brahma suprême
Au
Ve siècle avant notre ère le Bouddhisme a attaché une signification morale
à la croyance en la métempsychose. Les bons sont sensés se réincarner dans des
êtres supérieurs et les mauvais dans des êtres inférieur. A la même époque
où le
Bouddha fondait une nouvelle religion en Asie, les philosophes grecs
procédèrent à une critique raisonnée des
croyances de leurs
contemporains : Socrate qui sera condamné à mort pour impiété, Platon et Aristote qui ont forgé par la
raison la conception d’un Etre premier, absolu
et bon, qui ressemblait fort au
Dieu de la révélation biblique et coranique.
Comme tous les grands sages de l’Antiquité, ils considéraient le
polythéisme comme la religion du peuple. Pour eux, la multiplicité des dieux ne
faisait que symboliser les forces cosmiques émanant d’un Etre suprême dont ils
croyaient à l’unicité mais en réservaient l’enseignement à un cercle étroit d’initiés. Cet Etre suprême
était appelé « âme du monde » par
la théosophie et Brahma par l’Hindouisme. Et pour les stoïciens il existait une identité entre le
divin et l’univers. Doctrine panthéiste qui
sera reprise par Spinoza.
L’apparition du
monothéisme
D’après
la Bible Abraham, qui aurait vécu au XVIIIe avant notre ère,
aurait été le père du monothéisme juif. Mais adorer un seul Dieu n’excluait pas pour lui l’existence d’autres dieux. Et son Dieu
avait peu de ressemblance avec la
représentation de Dieu élaborée par les prophètes juifs à
partir du VIIe siècle avant notre ère. Il est même probable qu’Abraham identifiait son dieu au dieu suprême cananéen El, d’ou est dérivé Elohim, une
des deux appellations de Dieu,
avec Yahvé, dans l’Ancien
Testament. Représentée par le disque
solaire, source de vie, la première idée d’un Dieu unique et exclusif formulée par Akhenaton ne lui
survécu pas.
Le Dieu des Juifs
Freud soutient que le culte d'Aton serait à l'origine du
judaïsme qui lui emprunterait
beaucoup de ses concepts et aurait vu le
jour dans la population juive d'Égypte moins d'un siècle plus tard, ce qui est contesté par les historiens. Toujours
est-il que les Hébreux,
au bout d’une longue maturation,
se rallièrent à l’idée,
développée par une succession de prophètes inspirés, d’un
seul Dieu, à la fois transcendant,
omnipotent, omniscient, créateur
de toute chose et éthique. Ce
fut le cas ensuite des adeptes des deux autres religions du Livre : chrétiens et
musulmans.
A
l‘époque de l’exode, Yahvé ne nie pas
encore l’existence des autres dieux et se présente sous différentes manifestations. Les Hébreux retombèrent souvent dans le
polythéisme (culte de Baal). Fruit d’une
longue évolution, l’idée d’un Dieu exclusif
ne s’imposa définitivement qu’au VIe siècle avant notre ère, contrairement à l’assertion de la Bible qui la
fait remonter à Abraham. C’est à la même
époque qu’apparut en Perse un autre monothéisme, le Zoroastrisme, adorant
un Dieu unique et éthique, Ahura Mazda, qui, comme le Dieu de l’Ancien Testament, protège les fidèles et punit les pécheurs et
dont les Achéménides feront le dieu officiel de l’Empire perse.
Abraham
ainsi que Moïse sont probablement
des personnages légendaires dont l’historicité n’est pas prouvée. Aucun texte
égyptien ne mentionne d’ailleurs l’existence de ce dernier, ni la réalité du
récit de l’exode. La Bible est un
mélange de récits de portée symbolique,
comme celui d’Adam et Ève, d’événements historiques plus ou moins avérés, et de mythes empruntés notamment à la culture mésopotamienne, comme celui du déluge,
ou de Moïse
sauvé des eaux. Elle est également destinée à légitimer
les notions de peuple élu et de
terre promise, ce qui explique la lecture littérale qu’en font les juifs orthodoxes.
C’est le cas aussi des protestants fondamentalistes américains qui, rejetant toute critique rationnelle de la Bible, nient
la théorie évolutionniste de Darwin et défendent la thèse du créationnisme affirmant la
création directe de l’humanité par Dieu.
Le Dieu de l’Ancien testament était décrit en termes
psychologiques : coléreux, content, triste, déçu, ayant de la pitié,
aimant ou haïssant, un Dieu jaloux et guerrier. Dans la Torah, Yahvé donne
souvent à Israël l’ordre de partir en guerre contre les autres nations : «
Tu démoliras leurs autels, tu briseras leurs stèles, tu brûleras
leurs idoles, tu ne laisseras pas subsister aucun être vivant dans les villes
que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage » proclame le Deutéronome. Moïse et ses successeurs ne se privèrent pas d’ordonner des massacres au nom de Dieu. Ce n’est qu’après le retour de l’exil à
Babylone, que les prophètes tardifs développèrent
une littérature de sagesse traduisant un questionnement spirituel et
brossant dans les psaumes l’image d’un Dieu aimant et compatissant, proche du
cœur des fidèles. Et le livre
de Job tenta de concilier la coexistence du mal et de Dieu.
Le Dieu des
chrétiens
Contrairement
à l’attente des Hébreux, Jésus se présenta comme un Messie purement spirituel dont le
royaume n’est pas de ce monde. Il fera du Dieu national d’Israël un Dieu d’amour. Mais il n’a pas voulu abroger la loi juive. C’est
Paul, apôtre des gentils, qui a fondé une nouvelle religion de salut universel, distincte du judaïsme. A l’ancienne alliance
entre Dieu et le peuple élu succède une nouvelle alliance entre Dieu et l’ensemble de l’humanité, fondée sur la foi en la divinité du Christ mort et ressuscité pour le salut de
l’humanité et affirmée par les Évangiles.
A la différence des Évangiles
synoptiques de Luc, Mathieu, et
Marc où Jésus est désigné indifféremment sous les termes de Messie,
de Fils de l'homme et de Fils
de Dieu, celui plus
tardif et d’une portée mystique, de Saint Jean, est le seul où sa divinité est mise dans la bouche de Jésus. Alors que celui-ci était resté vague sur son identité et n’avait jamais affirmé
explicitement, qu’il était Dieu, il en
fait l’incarnation du logos divin, et affirme qu’il a préexisté aux côtés de
Dieu avant son ministère terrestre.
Pour l’exégèse moderne
le récit de la naissance merveilleuse et de la vie du Christ, tel que relaté dans les
évangiles canoniques, rédigés bien après sa mort, est en partie mythique. Et des miracles comme la
résurrection de Lazare ont peut être été inventés pour les besoins de la cause.
En outre, plusieurs événements de la vie de Jésus ont été inspirés de symboles astrologiques
et de
mythologies communes aux croyances et aux dieux de l’Antiquité, tels
que sa naissance le 25 décembre, jour du
solstice d’hiver, sa conception
miraculeuse d’une vierge, ses douze disciples, nombre symbolique représentant entre autres les douze tribus d’Israël. Mais cela n’enlève rien au fait qu’aucun prophète, y
compris Bouddha, n’ait enseigné des principes moraux et éthiques aussi élevés
et aussi ambitieux.
De
la croyance que Jésus est fils de Dieu on passa à la croyance qu’il est Dieu fait homme, puis
au mystère de la trinité. La conception
chrétienne de Dieu est une synthèse
entre la pensée biblique et le néoplatonisme.
Les dogmes fondateurs de la doctrine chrétienne n’ont été élaborés par les
quatre conciles œcuméniques (Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine) qu’à
la suite de longues controverses trinitaires et christologiques.
Il a fallu trois
siècles à l’Église pour proclamer
le dogme de la trinité et pour résoudre la question des relations entre
Jésus-Christ et Dieu le Père. Est-il Dieu comme lui et ayant la même substance
? Ou un être divin créé par lui et subordonné à lui, comme le professait
l’arianisme ? Dans la relation au Saint Esprit, la mention « filioque » a été,
et demeure toujours, un sujet de controverse entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. La question étant : de qui
procède le Saint Esprit, du Père seulement ou du Père et du Fils ? Quant aux
querelles christologiques elles portaient sur la coexistence en Jésus de
l’humain et du divin.
Au début du IIIe
siècle, l’arianisme considère le Fils,
engendré par le Père, comme une créature inférieure et subordonnée à Lui. Il sera tenu pour une hérésie par le premier concile œcuménique de Nicée (325) convoqué
et présidé par l’empereur Constantin afin que soit définie une
orthodoxie commune à tous les chrétiens de l’Empire. L’Eglise officielle
prononce l’anathème contre Arius et adopte
le concept d’homo ousios (unité de substance ou d’essence) entre le Père et le Fils. Ce que l’on appelle
le « symbole de Nicée »
affirme la pleine divinité du Fils, « vrai Dieu né du vrai
Dieu », et érige en dogme universel la Trinité qui prône
l’idée qu’en Dieu il n’y a qu’une seule substance en trois personnes.
Au Ve
siècle le nestorianisme veut distinguer en Jésus l’homme et le fils de Dieu. Il affirme que le Fils étant engendré par le Père, il n’est pas
son égal et réfute l’appellation « Marie mère de Dieu. En opposition au
nestorianisme le monophysisme récuse la
nature humaine du Christ. L’Église d’Alexandrie qui prendra le nom d’Église copte adopte le monophysisme pour qui le Messie a une
seule nature, divine. Elle sera suivie par d’autres Églises orientales, telles les Églises orthodoxes syrienne et arménienne.
L’hérésie nestorienne,
ainsi que le monophysisme feront
l’objet d’une double condamnation par le concile de Chalcedoine en 451.
Celui-ci réaffirme la doctrine de Nicée de
la coexistence en Jésus de l’humain et du divin : « en une seule et même personne en deux natures engendrée pour nous et pour notre salut par la Vierge Marie mère de Dieu ».
Derrière les controverses entre
chalcédoniens, monophysites et nestoriens se profilaient des oppositions
politiques et culturelles entre Constantinople et Alexandrie, Grecs et Sémites
orientaux. Elles consacrent la rupture entre l’Eglise de Rome, et les Eglises
orientales qui ne reconnaissent que les
trois premiers conciles, ce qui exclut
Chalcédoine
Apparaissent aussi à
la même époque, deux autres doctrines, le manichéisme et la gnose qui seront condamnées par l’Eglise
catholique. Fondé sur la lutte dualiste
entre le bien et le mal, le manichéisme
divise le monde en deux entités : d’un côté
les Ténèbres gouvernés par Satan auxquels est
associé le mal ; de l’autre la Lumière gouvernée par Dieu et auquel est
associé le bien. Cette religion donnera
naissance au XVIIIe siècle à l’hérésie cathare condamnée par
l’Eglise et qui fut à l’origine de la création
de l’inquisition.
Une autre croyance
condamnée pour « hérésie » est
la gnose pour laquelle le salut passe par la connaissance et non la foi et qui
propose d’offrir l’accès à la Lumière à travers les « paroles secrètes du
Christ ». Pour la pensée gnostique le monde est l’œuvre d’un dieu
inférieur, le démiurge. L’homme doit libérer son âme et se détacher de son
corps et d’un monde marqué par le mal
pour accéder au royaume du vrai Dieu que
les gnostiques nomment « l’Inconnu »
tant il est ineffable.
Le christianisme institutionnalisé
L’idée
d’un Dieu unique ne pouvait qu’entrer en collision avec le polythéisme antique
et le syncrétisme de la société romano-hellénique. Ce fut surtout le cas du
Dieu universel des chrétiens qui, contrairement au Dieu national juif, est
porteur d’un projet eschatologique qui doit sauver l’humanité entière. La conversion de Constantin, puis la
proclamation du christianisme comme religion d’État par
Théodose marquent le début de ce qu’Arnold Toynbee a qualifié de « plus grand désastre qui soit arrivée à la
chrétienté : l’immixtion de César dans les affaires de Dieu, et de l’Église
de Dieu dans les affaires de César ». A
partir de ce moment, toute atteinte à l’Église
devient une trahison envers l’État. Bien que le Christ ait prêché une
religion d’amour, le christianisme institutionnalisé, contribua à
légitimer la violence la plus brutale. De
persécutée au nom du Christ l’Eglise devint persécutrice en son nom. Contrairement
à l’enseignement du Christ, elle a prétendu imposer la primauté du pouvoir
spirituel sur le pouvoir temporel. Et, en contradiction avec le message
évangélique de pauvreté, les papes de La
Renaissance furent aussi des chefs
politiques et de guerre, avides de
pouvoir et de richesses matérielles.
Ces
abus furent à l’origine de la Réforme
protestante qui prône une émancipation du pouvoir des clercs et de la papauté
pour revenir aux principes de l’Evangile. Pour Luther c’est la grâce de Dieu et
non les œuvres qui sauvent. Il s’oppose à
une Eglise dispensatrice de salut via les sacrements et les indulgences.
Pour Calvin. Dieu est si grand qu’il ne saurait se manifester que par la parole
Il ne croit pas aux miracles. Fustige ceux qui ont une vision magique et
enchantée du monde. Prince des humanistes, Érasme
proclame sa foi dans la raison humaine et cherche à réconcilier la parole divine des Évangiles avec les
écrits profanes de l’Antiquité et la sagesse païenne, Socrate et le
Christ : « Saint Socrate priez pour nous ». De son côté l’Église catholique entreprit une Contre-réforme
qui enclencha un processus la conduisant à se concentrer finalement, sous la pression des pouvoirs
séculiers, et non sans résistance, à sa mission spirituelle, morale et sociale ;
et, depuis le concile Vatican II, à se prononcer pour un dialogue avec les autres religions, au
grand dam des catholiques intégristes, disciples de Mgr. Lefebvre.
Le Dieu de Mahomet
Dernière
née des religions monothéiste l’islam est revenu à l’unicité de Dieu proclamée par le judaïsme. Un Dieu transcendantal,
invisible et ineffable qu’il est interdit de représenter
et auquel le Coran donne 99 attributs différents. Clément et miséricordieux,
maître des mondes et
des destinées, juge du Jugement dernier,
il n'engendre pas, il n'est pas engendré, et nul n'est égal à Lui ni doit lui être associé.
D’où le rejet par le Coran de la Trinite chrétienne
assimilée à un polythéisme
et ses critiques à l’encontre des chrétiens qui associent
d’autres dieux à Dieu et auraient déformé le message de Jésus
en le divinisant. Ces critiques n’épargnent pas davantage les juifs, à qui il est
reproché de n’avoir pas su reconnaître
Jésus comme un prophète.
Mahomet
fut à la fois un prophète, un législateur, un fondateur d’État et un chef
militaire. Se présentant comme envoyé de Dieu, il ne voulait pas d’abord créer une religion nouvelle mais
revenir à la foi originelle
d’Abraham. Se proclamant comme le sceau des prophètes, il ne prônait pas au début une rupture avec le judaïsme et le
christianisme, dont il respectait les livres saints, mais déclarait vouloir
leur accomplissement et leur dépassement. Celui du monothéisme bancal du
christianisme qui scinde Dieu en trois
entités, et celui de la notion judaïque
de peuple élu, remplacée par une religion universelle. Mais les réticences des chrétiens et l’opposition des
juifs poussèrent le Prophète à prendre ses distances avec eux. Pour marquer
cette rupture, il invite ses fidèles à ne plus prier vers Jérusalem mais
désormais vers La Mecque.
Alors
qu’à La Mecque sa prédication revêtait un caractère religieux et liturgique, et
donnait en exemple aux croyants la
miséricorde divine, à partir de l’hégire les sourates médinoises prirent
une orientation nettement politique,
sociétale et législative. Le Coran compte plusieurs versets qui exaltent la guerre sainte,
le jihad, même si certains d’entre eux ont été interprétés comme des
incitations à l’effort sur soi-même. Et
l’islam se propagea par la conquête tout en ne cherchant pas à convertir de
force les peuples soumis à sa domination, conformément à un verset qui
déclare : « pas de contrainte en religion ».
A la différence du catholicisme
confronté au défi du protestantisme et qui a accompli son aggiornamento, l’islam sunnite, n’est pas parvenu à se réformer. La croyance que le
Coran est la parole incréée de Dieu constitue un obstacle à son
exégèse, malgré les efforts d’interprétation (ijtihad) du Hanafisme, la plus libérale
et la plus souple des quatre écoles juridiques
sunnites.
Faisant preuve d’un plus grand esprit d’ouverture, les
clercs chiites élaborèrent tout un corpus doctrinal destiné à
donner une réponse aux défis du monde moderne. Bien
que la division entre le sunnisme et le chiisme ne soit pas née à l’ origine de
divergences doctrinales mais politiques, les théologiens chiites firent de la sainteté d’Ali et du martyr
d’Hussein la source de leur credo. Ils élaborèrent une vision eschatologique de
l’histoire fondée sur la croyance en le retour sur terre, avant la fin des
temps, du douzième et dernier imam, le Mahdi ou l’imam caché qui rétablirait la
justice en ce monde.
Les druzes quant à eux professent une religion syncrétique et ésotérique qui vénère sept incarnations de leur divinité, parmi
lesquelles figurent Pythagore, Moïse, le Christ, Mahomet et le calife fatimide Al Hakim, inspirateur de leur croyance
au Xe siècle.
Religion
et tolérance
Les religions peuvent inspirer le meilleur comme le pire :
des saints et des soufis mystiques, comme des soldats autoproclamés
de Dieu perpétrant des atrocités en son nom. La croyance en un Dieu unique et
universel engendre la croyance en une vérité unique et universelle et, de là à
vouloir l’imposer au monde entier, le pas est vite franchi. L’histoire des
religions monothéistes est entachée de multiples exemples d’intolérance et de fanatisme.
Alors que l’Empire romain païen avait réussi à intégrer les peuples
conquis en admettant tous leurs dieux dans son panthéon, le monothéisme des
chrétiens, des musulmans et des juifs est devenu une source d’exclusion et «
d’identités meurtrières ». Censées
favoriser la paix, les religions sont
pourtant devenues l’un des leviers de guerre les plus puissants. De ce point de
vue les musulmans sont d’avantage en accord avec l’enseignement et l’exemple de
Mahomet qui fut aussi un chef politique
et de guerre que les chrétiens avec celui du Christ qui se fit l’apôtre de la
non-violence. Cela dit l’évolution de la chrétienté et de l’islam en matière de tolérance
s’est faite en sens inverse. Et alors qu’aujourd’hui ce dernier est le théâtre
d’une recrudescence d’intolérance, cela a été longtemps davantage le cas de la
chrétienté
En raison de l’absence de dogmes, les croyances
indiennes, chinoises et japonaises ne sont pas exclusives comme les religions
monothéistes. Elles admettent la pluralité des voies pour atteindre la
libération. En Chine, une même personne peut être à la fois bouddhiste, taôiste
et confucéenne, et au Japon se marier selon le rite shintoïste et avoir des
funérailles bouddhistes. En outre l’idée d’un Dieu personnel est absente des
sagesses asiatiques. Pour Bouddha c’est perdre son temps que de spéculer
vainement sur les questions métaphysiques, l’existence ou non d’un être suprême
étant inaccessible à la raison et à l’expérience.
Dieu, la
philosophie et la science
La position de la pensée occidentale est différente. Qui a
créé l’univers ? Y-a-t-il une cause première et une fin dernière ?
Un dessein cosmique qui aurait une fin éthique ? Ce sont les questions
auxquelles tendent de répondre, la gnose (tentative raisonnée de démontrer
l’existence de Dieu en se passant des religions révélées), la philosophie, la métaphysique et l’ontologie (science de
l’Etre). Nombre de philosophes et de scientifiques, même athées ou agnostiques,
estiment qu’il existe probablement une intelligence suprême derrière la création. Pour eux l’évolution de l’univers, ainsi que la montée
de la complexité qui a finalement accouché de la conscience, ne saurait être uniquement
le fruit du hasard. C’était déjà l’opinion de Voltaire qui, critiquant le théisme « inventé par les prêtres »,
prônait un déisme postulant l’existence d’un
Grand-Horloger s’apparentant au Grand-Architecte de l’univers des Francs-maçons. Quant à Hegel, le plus
grand représentant de l’idéalisme, il ne croyait pas à l’existence d’un Dieu personnel, mais
affirmait celle d’un Esprit Absolu connaissable « la raison étant la
réalité primordiale de l’univers.
La
science, elle, ne s’occupe pas du « pourquoi ? » et n’a rien à
dire sur ces questions qui ne relèvent pas de sa compétence mais de la
philosophie et de la foi. Ce qui n’a pas
empêché des scientifiques chrétiens, comme le père Teilhard de Chardin, de tenter
de démontrer la compatibilité entre les
théories modernes de l’évolution du cosmos et la foi. La physique quantique a montré qu’au niveau
subatomique, l’univers ressemblait plus à une vaste pensée qu’à une immense machine. Sa réalité fondamentale
sous-jacente est celle d’un champ
immatériel doté d’intelligence et d’une
certaine « liberté ».
Plus
la science progresse, plus se confirme
qu’il y a une limite physique au-delà de laquelle notre seule raison est
impuissante à expliquer la réalité. Cet effondrement d’un modèle réducteur
purement matérialiste et déterministe est une réhabilitation des thèses
idéalistes et spiritualistes par la physique moderne et peut laisser entrevoir une probable
convergence entre la religion et la science.
Les particules élémentaires auraient de ce point de vue une certaine
analogie avec les intuitions de la tradition ésotérique, la notion d’âme du monde de la théosophie et
l’Esprit absolu de Hegel.
Après la phase d’opposition entre la
science et la théologie, assistera-t-on
à une certaine réconciliation
entre ces deux formes de quêtes de la
vérité ultime ? Entre la foi et la
raison ? Pour Stephen Hawkins qui n’exclut pas l’existence de plusieurs
univers, le pacte qui voulait que les
sciences répondent au «comment», laissant les religions régler le problème du
«pourquoi», n'aurait plus de raison d'être, tant la recherche se frotte
aujourd'hui à l'essence même de notre monde. La frontière longtemps respectée
est en train de céder. Dans son
Discours sur l'origine de l'Univers, le physicien Etienne Klein rappelle que « les
perspectives que nous offre la cosmologie contemporaine sont plus vertigineuses
que ce que nous avons imaginé ». Dieu n'est dorénavant plus tabou chez les
scientifiques, qu'il s'agisse de l'effacer des possibles ou de prouver son
existence. Et pour Jean Staune, directeur de la collection «Science et
religion» des Presses de la Renaissance, «Dieu revient très fort!» Loin de tuer
l'idée d'un dieu, les sciences modernes et les questions qu'elles soulèvent se
confrontent de plus en plus à l'hypothèse d'un grand créateur, affirme-t-il.
Outre
la question de l’existence ou non de
Dieu la découverte par la science qu’il n’existe pas de distinction nette entre matière et esprit pose
aussi celle de l’immortalité de l’âme.
Après la mort nos atomes s’éparpillent dans l’univers, pour se
réincarner à l’infini, dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou
moins solides, plus ou moins éthérés.
La théorie hindouiste de la métempsychose serait-elle pour autant moins invraisemblable que la vision
judéo-chrétienne de l’au de-là ? Les atomes sont éternels, mais cela veut-il dire que notre identité survive
indéfiniment aux multiples
recompositions subies par les particules
qui furent notre moi ? Se
peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref
passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule de
matière disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines
vieilles demeures ?
Conclusion
Dans
sa lutte pour instaurer une « religion de la raison », la philosophie
des Lumières, considérait la religion
comme une superstition dépassée, du moins en Europe, qui aurait atteint «
l’âge adulte de l’humanité » selon l’expression de Kant. C’est aussi la
thèse d’Auguste Comte auteur de la
loi des trois états selon laquelle l'esprit humain passe successivement par
« l'âge théologique », et par « l'âge métaphysique », pour
aboutir enfin à « l'âge positif ». Et Max Weber
a fait de l’histoire de l’Occident moderne celle du « désenchantement du
monde », de la sortie du monde magique de la religion. Il souligne l’importance du
processus de rationalisation caractérisé par l’effacement de la croyance
irrationnelle dans l’action de Dieu dans le monde.
Il n’y a
que dans une Europe occidentale largement déchristianisée où la
religion ne fonde plus le lien collectif et où le sens du sacré
s’est perdu. Depuis le dernier quart du XXe
siècle, le monde est le théâtre d’un « retour du
religieux », aussi soudain que généralisé. Phénomène qui semble donner
raison à Malraux qui prophétisait :
le « Le XXIe siècle
sera religieux ou ne sera pas », contre Nietzche qui avait prononcé la
mort de Dieu. Sauf que cette « revanche de Dieu » selon
l’expression de Gilles Kepel, reflète moins un regain de foi qu’une quête
d’identité en réaction au « désenchantement
du monde » et un recours à la religion à des fins politiques. Et,
s’il touche toutes les religions et tous
les continents, c’est surtout au sein de l’islam qu’il se manifeste de la
manière la plus radicale et la plus
violente. Avec le risque que ne se rallume
l’antagonisme millénaire entre l’islam et la chrétienté et se réalise
une autre prophétie : celle du choc des civilisations.
Ibrahim
Tabet
Conférence
du 24/11/2015 à NINAR