Tuesday, December 22, 2015

Se faire sa propre religion

Ayant reçu une éducation chrétienne   j’ai longtemps gardé la foi,  et  il ne  me serait   jamais  venu à l’esprit de douter  de l’existence  de Dieu,  même après  n’avoir plus entretenu avec l’église qu’un commerce épisodique.   Comme la plupart des croyants, je ne me posais pas trop de questions sur les fondements du dogme chrétien  et   ma méconnaissance de l’islam et des autres religions était presque totale. Puis, les circonstances de la vie et mes lectures m’ont amené   à  devenir  agnostique ; posture intellectuelle  différente du   matérialisme athée et   fondée sur le questionnement.  Eclectisme  ou méfiance à  l’égard de tous les dogmatismes ? Je  préférais  me laisser dire qu’il  vaut mieux  à  tout prendre se faire sa propre religion qu’avoir une religion toute faite. Que  spiritualité, morale  et  croyance en Dieu ne sont pas nécessairement liées. Idées qui rejoignent  celles des sagesses  asiatiques   qui ne sont pas exclusives et qu’exprime la phrase de  Gandhi : « chaque homme va à Dieu  à  travers ses propres dieux ». Sans compter que les religions monothéistes peuvent  être la matrice  « d’identités meurtrières », titre d’un livre d’Amin Maalouf.   Alors que l’Empire romain païen admettait tous les dieux dans son Panthéon,  le  peuple juif fut celui qui s’opposa le plus farouchement à cette intégration, suscitant l’incompréhension d’Hadrien dont les mémoires imaginaires décrivent le fanatisme sous la plume de Margueritte Yourcenar.
Il se peut que le syncrétisme propre à  l’Antiquité et le   brassage des religions propre à l’Extrême-Orient    préfigure les croyances de demain. L’Orient a emprunté à l’Occident  ses techniques et il est naturel que l’Occident reconnaisse la supériorité de l’Orient en matière spirituelle. Plus l’humanité évoluera, moins elle  se satisfera de prêt-à-porter  en matière religieuse.   Et plus, selon les mots de Sartre,   « chaque homme devra inventer son chemin »  dans la voie tracée par Nietzche  dans  Ainsi parlait Zarathoustra, ou par « Al Mostapha », Le Prophète de Khalil Gibran.
De même qu’un paysage peut être peint selon une infinité  de styles et de sensibilités. Que certaines églises réutilisent parfois les  colonnes éparses de temples écroulés,  je me disais  qu’il faut construire  sa propre vision du monde, sa propre « weltanschauung ».  Gravir sa propre échelle de valeurs. Ecrire ses propres lois. En recueillir les préceptes aux sources de toutes les sagesses, comme on rédigerait amoureusement sa propre anthologie poétique personnelle. Démarche davantage éthique qu’esthétique.
  La liberté de choisir sa propre voie ne peut qu’amener à découvrir la parenté existant entre toutes les religions. Pour la Kabbale, les mots de tous les Livres sacrés seraient des permutations différentes d’un seul et même verbe divin. Rien n’illustre mieux cette parenté  entre les religions que les ressemblances et les correspondances existant  entre leurs  mythes, leurs  symboles et leurs  rituels à toutes les époques et en tout lieu. 
Il existe une troublante parenté  entre la Trinité chrétienne et la pensée ésotérique de Pythagore pour qui le « Un » et le « Trois » formant le tétragramme sacré  sont les deux premiers « nombres d’or », la clef de voute de l’univers.   Voici ce qu’en disait la théosophie ou sagesse des dieux : «  le microcosme homme est par sa composition ternaire : esprit, âme et corps à  l’image du macrocosme, monde divin, humain et naturel qui est lui-même l’émanation de Dieu, lequel est essence, substance et vie, Père, Mère et Fils. Une Mère devenue le Saint Esprit des chrétiens, la colombe symbolisant  à la fois la femme et l’esprit dans  les religions sémitiques.
Même en faisant la part du  symbolisme, il faut  vraiment avoir la foi du charbonnier  pour croire au récit biblique  de la création spontanée de l’univers et de l’homme considérés comme immuables. Aujourd’hui, à la différence des fondamentalistes protestants attachés à  la thèse  créationniste, presque personne n’en fait une lecture littérale. Par contre étonnamment proche  de la théorie scientifique actuelle est, d’après Hubert Reeves,  un des plus éminents astrophysiciens contemporains, la vision hindoue de la genèse de l’univers  symbolisée par  le dieu Shiva.  Incarnation de l’éternelle énergie cosmique, Shiva tient dans  sa main gauche supérieure  une langue de feu,  et dans sa main droite supérieure le tambourin, représentant la musique, symbole  de l’harmonie des lois de la nature. Les gestes des autres mains traduisent l’équilibre de la vie et de la mort dans le cycle  des réincarnations à l’issue duquel les  âmes sont destinées à  fusionner avec le Brahma  suprême. Cette légende écrit   Reeves dans  Patience dans l’azur rejoint la cosmologie moderne. Flamme  et musique  sont les deux pôles du Cosmos, à l’ origine est le règne absolu de la flamme. Le feu s’abaisse. La matière s’éveille et s’organise. La flamme fait place à la musique. Ainsi poursuit-il, en enchainant depuis le « Big Bang » les évolutions, nucléaire, chimique, biologique et anthropologique, on reconstitue l’odyssée de l’univers qui a finalement accouché de la conscience.     
Si  le mythe  d’Adam et d’Eve est considéré comme tel,  d’autres  croyances  font  toujours  partie intégrante  de la foi chrétienne,  comme celles de l’immortalité de l’âme,  du péché originel,  de l’existence  de l’enfer et du paradis et de la résurrection des corps à  la fin des temps. Mais est-il  vraisemblable que l’on soit éternellement damné ou récompensé pour des actes  mené au cours de notre bref passage sur terre   ?  Alors   que la science  découvre  que la distinction entre matière et esprit est moins nette qu’on ne pensait, la théorie hindouiste de la métempsychose me  semble être moins invraisemblable  que la vision judéo-chrétienne de l’au de-là. Après la mort nos atomes s’éparpillent  dans l’univers, pour se réincarner à l’infini,   dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou moins solides, plus ou moins éthérés. On sait que les atomes sont éternels, mais cela veut-il dire que notre identité survive indéfiniment aux  multiples recompositions subies par les particules de matière et d’esprit qui furent notre moi ?  Se peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines vieilles demeures ?  Ou bien nos « âmes » sont elles destinées à  fusionner avec « l’âme  du monde » ou le Brahma suprême ?  Où se situent  le paradis  et l’enfer ?   Les hominidés à moitié singes étaient-ils dotés comme nous d’une âme immortelle ?   Et comment croire à  la résurrection des corps  et  à d’autres « mystères » insondables,  nom donné à  certains  mythes  par la religion ? 
Pour la science,  lumière, énergie, matière et « esprit » ne sont, pour employer des termes philosophico-religieux,  que plusieurs manifestations d’un même principe universel, plusieurs substances d’une même essence.  Cette découverte dément  le dualisme judéo-chrétien affirmant la séparation entre l’esprit et la matière et donne raison au monisme  philosophique qui a une  parenté avec le panthéisme de l’Antiquité. Bien que la science ne s’occupe pas du « pourquoi  »  qui ne relève pas de sa compétence, mais uniquement du « comment »,  arrivera-t-on un jour à concilier la foi et la science ? C’est ce qu’a tenté de faire le père Teilhard de Chardin. Pour lui le Cosmos tend naturellement vers la vie, la vie vers l’homme et l’homme vers l’ultra-humain dont la capacité de conscience sera de loin supérieure a la notre. Le « point Omega » vers lequel tend cette  évolution n’est autre que Dieu.  Mais sa  thèse a  été rejetée par l’Eglise.  Par contre les progrès de la physique quantique pour qui  la danse aveugle des  atomes n’est pas née du hasard  pourraient  laisser entrevoir une convergence entre la religion et la science.  Les particules élémentaires  auraient de ce point de vue une certaine analogie avec la notion d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit Absolu de Hegel.
Cet Esprit Absolu  que nous appelons Dieu ne parle pas uniquement du haut des minarets. Il ne se trouve pas  non plus seulement au fond des  églises derrière les vapeurs de l’encens et à  la lumière vacillante des cierges allumés par la dévotion populaire. Il est partout, en nous, autour de nous,  sur notre minuscule planète et dans les étoiles qui parsèment la voute grandiose de la basilique de l’univers. Là    je me sens  le plus proche de Lui,  c’est  quand,  après une journée  dans le désert,   je contemple le ciel dans le silence religieux de la nuit. Nulle part ailleurs la pureté de l’air et l’horizon infini ne permettent  de voir scintiller autant d’étoiles.  «  Au commencement était la lumière ! »  Remontant par la pensée au « big bang » primordial, je me dis que bien avant d’être à moitié singe, l’homme descend des étoiles.  Que  poussière galactique, nous retournerons à  nos  origines.  A notre  mort les atomes de  notre âme  seront happés par un quelconque trou noir    ils rejoindront ceux des autres âmes pour  se fondre dans l’âme du monde.  Et cela m’aidait à oublier nos querelles futiles de clocher et de minaret.
 Un jour  j’ai regardé une émission sur le cosmos sur Arte. Il y avait des images magnifiques de notre galaxie. Celle-ci comprendrait deux-cent milliards d’étoiles et la distance entre la terre et son centre serait de vingt-cinq mille années-lumière. Les autres galaxies se comptent par milliards. Un des scientifiques interrogés déclara qu’il était peu probable que nous soyons seuls dans l’univers et qu’il existe peut-être, rien que dans notre galaxie, des centaines de civilisations dont certaines sont sans doute plus avancées que la nôtre. Pourquoi dans ces conditions me suis-je dis, Dieu, s’il existe, aurait-il dépêché le Christ et les prophètes pour assurer le salut des  seuls habitants de notre grain de sable appelé terre ?  Les habitants des autres planètes ont-ils d’autres dieux, d’autres prophètes, d’autres Livres sacrés ? 
Malgré ces questionnements mes connaissances religieuses  restaient  cependant superficielles jusqu’aux  recherches que j’ai été amené à faire à  l’occasion de la rédaction de mon livre : Le Monothéisme le pouvoir et la guerre.   Bien que traitant  essentiellement des rapports entre la religion et l’Etat,  il  ne pouvait pas ne pas  aborder  l’histoire proprement dite des religions. Thème que mon prochain  ouvrage se propose de développer  en  se focalisant plus particulièrement  sur la genèse de  l’idée de Dieu


Ibrahim Tabet 

Sunday, December 6, 2015

Questions pour le troisième millénaire.  
A l’aube du troisième millénaire l’accélération du progrès scientifique a profondément changé notre vision du monde. La génétique est entrain de décrypter les codes du vivant. La neurobiologie : les lois physico-chimiques gouvernant l’interaction entre le cerveau et la pensée. La cosmologie est en voie de savoir comment est né notre univers. (Mais pas ce qu’il y avait « avant », s’il retournera au néant après « la brève histoire du temps » et s’il n’y a pas d’autres univers). Elle est en mesure de reconstituer son évolution depuis le big bang jusqu'à l’homme à travers les lois du hasard et de la nécessité. Nous savons maintenant comment l’enchainement des évolutions nucléaire, chimique, biologique et enfin anthropologique, ainsi que la montée de la complexité ont, pour employer les mots d’Hubert Reeves, « accouché de la conscience ». La question du rapport entre l’esprit et la matière est entrain d’être élucidée. Ainsi le monisme avait raison contre le dualisme cartésien puisqu’il s’avère que  fondamentalement, espace et temps, matière, énergie et esprit ne font qu’un : l’esprit étant une propriété de la matière qui elle-même est née de l’esprit.
Quel ou « qui » est cet esprit ? Cette cause première et cette fin dernière, à la foi immanente et transcendant l’espace et le temps  que l’antique théosophie appelait « L’Ame du monde » et les Francs-maçons  le « Grand Architecte » de l’univers ? Pour les religions, il ne peut s’agir que de Dieu. Le Dieu personnel des juifs, des chrétiens et des musulmans, ou le Brahman suprême des hindouistes. Existe-t-il ? Pourquoi et comment aurait-il créé le monde ? Enfin y a t-il un dessein cosmique qui aurait une fin éthique ?
Ce sont ces questions auxquelles essayent de répondre la philosophie, la gnose, tentative raisonnée de démontrer l’existence de Dieu, et l’ontologie, science de l’Etre. Pour Kant cependant un être relatif ne pourra jamais, à travers sa « raison pure » connaître l’absolu et nous ne le saurons jamais. Pour le matérialisme athée, Dieu n’existe pas. Quant à Hegel, le plus grand représentant de l’idéalisme, il ne croit pas à l’existence d’un Dieu personnel, mais affirme celle d’un Esprit Absolu connaissable, «  la raison étant la réalité primordiale de l’univers ». La science, elle, ne s’occupe que du « comment » et n’a rien à dire sur le « pourquoi  » qui ne relève pas de sa compétence mais de la philosophie et de la foi. 
Une foi cependant de plus en plus battue en brèche par les progrès de la science et ce que Max Weber a appelé « le désenchantement du monde »,   c’est à dire la « sortie du monde magique de la religion ». L’idée que l’homme n’est qu’une étape de l’évolution vers un être supérieur émise par des penseurs aussi opposés que Nietzche et Teilhard de Chardin est en passe de devenir réalité. Cet être supérieur ne sera cependant pas le produit d’une sélection naturelle. Pour, «  devenir ce qu’il est », selon les termes de Nietzche, l’homme prendra le relai de la création de la main de « Dieu ». La convergence de la biotechnologie et de l’informatique laisse en effet prévoir la « fin de l’homme » et la naissance d’une post-humanité probablement constituée de cyborgs (c’est à dire d’organismes cybernétiques) asexués et presque immortels. Ces êtres avancés seront des hommes transgéniques dans lesquels on aura implanté un ordinateur connecté à la fois à leur cerveau et à un réseau infiniment plus performant que celui d’aujourd’hui.  Parallèlement, les hommes entreront sans doute en contact avec des êtres intelligents habitant d’autres planètes et ayant sans doute leurs propres dieux.
On peut se demander dans ces conditions quel sera le sort de nos religions révélées actuelles et quelle place occupera la foi dans un monde de plus en plus « désenchanté ». Il est probable que la post-humanité qui apparaîtra au cours du troisième millénaire aura pour les  religions du Livre  le même regard que celui que nous jetons aujourd’hui sur les divinités de l’Egypte antique et ses hiéroglyphes sacrés.
La mort des religions révélées ne signifiera cependant sans doute pas la mort d’une forme de  théisme et de la morale naturelle. La science et la philosophie ne répondent en effet qu’au besoin de la raison. Il est donc probable que la quête de sens et d’éthique et d’une forme de religiosité auront  toujours leur place dans le monde de demain. A moins que le nouvel homme cloné, cybernétique et asexué décrit par Houellebecq dans  Les particules élémentaires ne soit également dépourvu de cœur, ce qui signifierait également la mort de l’amour et de l’art.
De quel type de religion s’agira t-il ? La tendance actuelle au syncrétisme signifierait-elle qu’une nouvelle religion universelle voit le jour ? A moins que ne l’emporte le courant individualiste et éclectique conduisant au refus des vérités toutes faites, et qu’à la limite chacun se fasse sa propre religion ? La fascination de l’Occident pour le Bouddhisme, religion ou plutôt sagesse sans dieu, et l’abandon par le christianisme de beaucoup de croyances autrefois inébranlables, laisse prévoir que la sphère de compétence de la, ou des, religions de demain sera plus étroite. Se focalisant davantage sur les questions morales, elles feront définitivement l’impasse sur les visions naïves, comme celles encore héritées de la Bible, et sur les assertions que la science peut réfuter. C’est le cas par exemple de la croyance en l’existence d’une âme immortelle séparée du corps vouée à un paradis ou un enfer eternel ou à la fusion ultime dans le Brahman suprême. 
De son côté la science deviendra moins matérialiste. La physique quantique a montré qu’au niveau subatomique, l’univers ressemblait plus à une vaste pensée qu’à une immense machine. Sa réalité fondamentale sous-jacente est celle d’un champ immatériel doté d’intelligence et d’une certaine « liberté ». Plus la science progresse, plus se confirme qu’il y a une limite physique au-delà de laquelle notre seule raison est impuissante à expliquer la réalité. Cet effondrement d’un modèle réducteur purement matérialiste et déterministe est une réhabilitation des thèses idéalistes et spiritualistes par la physique moderne et pourrait  laisser entrevoir une convergence entre la religion et la science. Les particules élémentaires auraient de ce point de vue une certaine analogie avec les intuitions de la tradition ésotérique, la notion d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit absolu de Hegel. Cette convergence peut mener à une nouvelle étape du savoir, une « métascience » qui succédera à la métaphysique. Ce « métasavoir » métalogique et holistique intégrera, dans des états supérieurs de conscience, rationalisme et mysticisme en dépassant les catégories du langage et nos schémas de pensée dualistes. Il sera peut-être fondé, non seulement sur l’héritage intellectuel et moral de l’humanité mais sur celui d’habitants d’autres planètes. Il n’est même pas impossible qu’ils inventent ensemble une nouvelle divinité moins humano centrique et se rapprochant plus de l’Etre qui Est.

Ibrahim Tabet    

Monday, November 30, 2015

Conférence sur  la genèse de l’idée de Dieu

 « Tout homme va à  Dieu à  travers ses propres dieux »
Ghandi






C’est mon  ouvrage « Le Monothéisme le pouvoir et la guerre »  qui m’a conduit à m’intéresser  à  la question  de la genèse de  l’idée de  Dieu. 
De l’animisme au polythéisme       
Face aux mystères de l’univers, les hommes,  ne pouvant  se livrer qu’à des conjectures sur ce qui est au delà de leur savoir, inventèrent les dieux.  Seules instances à avoir répondu durant des millénaires à la question du sens et à  l’angoisse de la mort, les religions exercent une fonction à la fois spirituelle (lien entre le sacré et le profane) et sociale (lien entre les hommes). Faisant miroiter une promesse de vie éternelle dans l’au-delà, elles sont aussi orientées vers l’ici-bas. Accomplir des rites conformes aux commandements de la religion ayant pour fonction de produire des résultats espérés en termes de santé, de prospérité, de bonheur ou de victoire. Non contente  de  vouloir régenter les consciences,  la théologie a également prétendu pendant  des siècles  se mêler de cosmologie avant de  consentir à laisser ce domaine de compétence à la science et à se limiter à la question du salut.
De l’animisme l’humanité est passée  au polythéisme, puis, pour une partie d’entre elle, au monothéisme.  Au cours du paléolithique  est apparue une forme primitive de religiosité sacralisant la nature. Les  rituels pratiqués par les chamanes avaient pour fonction  de communiquer avec ses  forces   invisibles.  Et les aliments et les armes  enterrés autour des corps des défunts témoignaient  de l’idée qu’il existait une vie dans l’au-delà. Un peu plus tard apparut le  culte des  esprits ancêtres. Il ne s’agissait cependant pas encore de spiritualité ou de religion mais d’expérience du sacré. Les premières représentations de divinités apparurent il y a seulement dix mille ans à  l’aube du néolithique  avec la sédentarisation. Il existe toutefois une théorie d’après laquelle les hommes auraient d’abord adoré une divinité unique qui peu à peu se vit adjoindre d’autres dieux.
 Aux rituels de la transe chamanique  succédèrent  les prières des prêtres. Les esprits du ciel, du  tonnerre des orages ou  de la pluie furent convertis  en divinités sexuées. Chaque dieu répondait à des fonctions précises : dieu de la guerre, déesse de la fécondité etc. Et  la   croyance  que l’âme ne peut accéder à la vie éternelle sans son  enveloppe charnelle entraîna  la momification des corps des pharaons dans l’Égypte antique. Les déesses mères, symboles de fécondité et de fertilité,  précédèrent les dieux. Mais ces dernières finirent  par  être  supplantées par les dieux  avec la constitution de sociétés patriarcales.  
Les rituels sacrificiels,  qui avaient pour fonction de bénéficier  de  leur protection  et de  leurs bienfaits ou de conjurer leur courroux, firent l’objet d’une surenchère débouchant parfois sur des sacrifices humains. Les divinités égyptiennes primitives zoomorphes représentées par des humains à  tête animale,   comme Horus, le dieu Faucon,  ont laissé la place aux dieux anthropomorphes grecs, dotés des mêmes passions  et des mêmes travers que les humains. Toutes les religions de l’Antiquité  pratiquaient le culte du soleil, source de vie,  dont le retour fixe entretient le changement des saisons.  Dans l’Egypte antique Ré, le dieu soleil  était le dieu le plus important. Plus tard associé au dieu de Thèbes, Amon, il devint Amon-Ré. 
Chaque cité, chaque État avait ses dieux que l’on invoquait en temps de paix ou de guerre. La victoire d’une communauté était aussi la victoire de son propre dieu sur le dieu étranger, du dieu le plus fort sur le dieu le plus faible. Aucun  État conquérant ne nourrissait  toutefois la prétention de convertir, de gré ou de force,  à ses dieux,  les peuples  qu’il subjuguait, préférant  souvent intégrer les dieux de ces derniers à  leur propre panthéon où ils occupaient toutefois un rang inférieur.  Témoignant du syncrétisme de l’Antiquité, Rome édifia même un Panthéon abritant tous les dieux des peuples conquis. 
Avec la constitution de grands États succédant aux cités-États apparut une hiérarchisation des dieux, puis l’idée  de l’existence d’une divinité suprême mais non exclusive faisant l’objet d’un culte qualifié de monolâtrie,  étape intermédiaire entre le polythéisme et le monothéisme.  C’est les cas  dZeus, trônant au sommet de l’Olympe, d’Amon-, ou d’El, le dieu suprême des cananéens-phéniciens  qui deviendra l’Elohim  des Hébreux.  La religion servait à légitimer le pouvoir des   rois, souvent eux-mêmes divinisés. Les pharaons, à la fois souverains absolus  et prêtres suprêmes de l’Égypte antique, garants de l’ordre du monde s’identifiaient à . À Rome, les empereurs étaient  eux aussi  divinisés et le culte impérial était mis au service de l’intégration des peuples de l’Empire.
Parallèlement à la théogonie (création des divinités)  les religions de l’Antiquité  ont développé des cosmogonies : systèmes mythiques d’explication de la naissance  de l’univers. Celui-ci était  censé être né  du chaos (pour les Grecs),  ou avoir été crée par Brahma (pour les Hindouistes) ou par Yahvé, comme dans le livre de la Genèse. Dans l’univers mythologique égyptien deux cosmogonies rencontrent  un succès national. Celle de Ptah à  Memphis et celle de Rê, le dieu soleil,  à  Héliopolis. Dieu tutélaire cosmique, Ptah, est l’élément structurant de l’univers  qu’il  organise à l’aide de sa pensée et de sa voix en nommant les êtres et les choses.  Rê, quant à lui  émerge du  « Noun », l’océan primordial qui  existait avant le monde créé.   
Le récit légendaire de la mort et la résurrection d’Osiris est le principal mythe fondateur  de la religion  égyptienne.  Ce mythe chargé de symboles (la vie de l’âme après la mort, le cycle  des saisons et du renouvellement des  végétaux, l’espoir d’une renaissance) fut repris avec des variantes par d’autres religions. Ce fut le cas  de la mort et de la renaissance  du dieu phénicien Adon  qui fut ramené à la vie par son amante Ashtart.  Puis le mythe atteignit la civilisation grecque. .
Les grandes religions de l’Antiquité avaient une conception trinitaire de la divinité qui sera reprise par le christianisme. Pour la théosophie ou sagesse des dieux,  le microcosme est, par sa composition ternaire,  à  l’image du macrocosme,  monde divin, humain et naturel, qui est lui-même l’organe ineffable de Dieu, lequel est Père, Mère et Fils, essence, substance et vie. A  Osiris, Isis et Horus chez les Égyptiens, faisaient pendant  Zeus, Déméter et Apollon chez les Grecs, Baal, Ashtart et Adon  à Byblos  et   Brahma, Shiva et Vishnou chez les Hindous. 
Incarnation de l’éternelle énergie cosmique, Shiva tient dans  sa main gauche supérieure  une langue de feu,  et dans sa main droite supérieure le tambourin, représentant la musique, symbole  de l’harmonie des lois de la nature. A l’origine est le règne absolu de la flamme. Le feu s’abaisse. La matière s’éveille et s’organise. La flamme fait place à la musique. Les gestes des autres mains traduisent l’équilibre de la vie et de la mort dans le cycle des réincarnations à l’issue duquel les  âmes sont destinées à  fusionner avec le Brahma  suprême
Au Ve siècle avant notre ère  le  Bouddhisme a attaché une signification morale à la croyance en la métempsychose. Les bons sont sensés se réincarner dans des êtres supérieurs et les mauvais dans des êtres inférieur. A la même époque où  le  Bouddha fondait une nouvelle religion en Asie, les philosophes grecs procédèrent à une critique raisonnée des  croyances   de leurs contemporains : Socrate qui sera condamné à  mort pour impiété,  Platon et Aristote qui ont forgé par la raison la conception d’un Etre premier, absolu  et bon, qui ressemblait  fort au Dieu de la révélation biblique et coranique.  Comme tous les grands sages de l’Antiquité, ils considéraient le polythéisme comme la religion du peuple. Pour eux, la multiplicité des dieux ne faisait que symboliser les forces cosmiques émanant d’un Etre suprême dont ils croyaient à l’unicité mais en réservaient l’enseignement à  un cercle étroit d’initiés. Cet Etre suprême était appelé « âme du monde » par  la théosophie et Brahma par l’Hindouisme. Et pour les  stoïciens il existait une identité entre le divin et l’univers. Doctrine panthéiste qui   sera reprise par Spinoza.    

L’apparition du monothéisme
D’après la Bible  Abraham, qui aurait  vécu au XVIIIe avant notre ère, aurait été le père du monothéisme juif. Mais adorer   un seul Dieu n’excluait pas  pour lui l’existence  d’autres dieux.  Et son Dieu  avait peu de ressemblance avec  la représentation de Dieu élaborée par les prophètes juifs à  partir du VIIe siècle avant notre ère.  Il est même probable qu’Abraham identifiait  son dieu au dieu suprême cananéen El,  d’ou est dérivé Elohim,  une  des deux appellations de Dieu,  avec Yahvé,  dans l’Ancien Testament.  Représentée par le disque solaire, source de vie, la première idée d’un Dieu unique  et exclusif formulée par Akhenaton ne lui survécu pas.
Le Dieu des Juifs
Freud soutient que le culte d'Aton serait à l'origine du judaïsme  qui lui emprunterait beaucoup de ses concepts et  aurait vu le jour dans la population juive d'Égypte moins d'un siècle plus tard, ce  qui est contesté par les historiens. Toujours est-il que les Hébreux,  au bout d’une longue maturation,  se rallièrent à  l’idée, développée par une succession de prophètes inspirés,  d’un  seul Dieu, à la fois transcendant,  omnipotent,  omniscient,  créateur  de toute chose  et éthique. Ce fut   le cas  ensuite des adeptes des deux autres  religions du Livre : chrétiens et musulmans. 
A l‘époque de l’exode,  Yahvé ne nie pas encore l’existence des autres dieux et se présente sous  différentes manifestations.  Les Hébreux retombèrent souvent dans le polythéisme (culte de Baal).  Fruit d’une longue évolution, l’idée d’un Dieu exclusif  ne s’imposa définitivement qu’au VIe siècle avant notre ère,  contrairement à l’assertion de la Bible qui la fait remonter à Abraham. C’est à  la même époque qu’apparut en Perse un autre monothéisme, le Zoroastrisme, adorant un Dieu  unique et éthique, Ahura Mazda,  qui, comme le Dieu de l’Ancien Testament,  protège les fidèles et punit les pécheurs et dont les Achéménides feront le dieu officiel de l’Empire perse.
Abraham  ainsi que Moïse  sont probablement des personnages légendaires dont l’historicité n’est pas prouvée. Aucun texte égyptien ne mentionne d’ailleurs l’existence de ce dernier, ni la réalité du récit de l’exode.  La Bible est un mélange de  récits de portée symbolique, comme celui d’Adam et Ève, d’événements historiques plus ou moins avérés, et  de mythes empruntés notamment à la  culture mésopotamienne, comme celui du déluge, ou de  Moïse  sauvé des eaux.  Elle est également destinée  à légitimer  les notions de  peuple élu  et  de terre promise,   ce qui explique la   lecture littérale qu’en font les juifs orthodoxes.  C’est le cas aussi des  protestants fondamentalistes américains  qui,  rejetant  toute critique rationnelle de la Bible, nient la théorie évolutionniste de Darwin et défendent la thèse du créationnisme affirmant la création directe de l’humanité par Dieu 
Le Dieu de l’Ancien testament était décrit en termes psychologiques : coléreux, content, triste, déçu, ayant de la pitié, aimant ou haïssant, un  Dieu jaloux et guerrier. Dans la Torah, Yahvé donne souvent à Israël l’ordre de partir en guerre contre les autres nations : «  Tu démoliras leurs autels, tu briseras leurs stèles, tu brûleras leurs idoles, tu ne laisseras pas subsister aucun être vivant dans les villes que le Seigneur ton Dieu te donne en héritage » proclame le Deutéronome. Moïse  et ses successeurs  ne se privèrent  pas d’ordonner des massacres au nom de Dieu.  Ce n’est qu’après le retour de l’exil à Babylone, que les   prophètes tardifs  développèrent  une littérature de sagesse traduisant un questionnement spirituel et brossant   dans les psaumes l’image  d’un Dieu aimant et compatissant, proche du cœur des fidèles. Et le livre de Job tenta de concilier la coexistence du mal et de Dieu.
Le Dieu des chrétiens
Contrairement à l’attente des Hébreux, Jésus se  présenta  comme un Messie purement  spirituel  dont   le royaume n’est pas de ce monde. Il fera du Dieu  national d’Israël un Dieu d’amour.  Mais il n’a pas voulu abroger la loi juive. C’est  Paul, apôtre  des gentils, qui a fondé   une nouvelle religion de salut universel,  distincte du judaïsme. A l’ancienne alliance entre Dieu  et le peuple élu succède  une nouvelle alliance entre Dieu et  l’ensemble de l’humanité,  fondée  sur la foi en la divinité  du Christ mort et ressuscité pour le salut de l’humanité et  affirmée par les Évangiles.
A la différence des Évangiles  synoptiques  de Luc, Mathieu, et Marc   Jésus est   désigné indifféremment sous les termes de Messie, de Fils de l'homme et de Fils de Dieu, celui  plus tardif et d’une portée mystique, de Saint Jean,  est le seul où sa divinité est  mise dans la bouche de  Jésus. Alors  que celui-ci  était resté vague sur son identité et n’avait  jamais affirmé explicitement, qu’il était Dieu, il  en fait l’incarnation du logos divin, et affirme qu’il a préexisté aux côtés de Dieu avant son ministère terrestre.  
Pour l’exégèse moderne  le récit de la naissance merveilleuse et de la  vie du Christ, tel que relaté dans les évangiles canoniques, rédigés bien après sa mort, est  en partie mythique. Et des miracles comme la résurrection de Lazare ont peut être été inventés pour les besoins de la cause. En outre, plusieurs  événements de la vie de Jésus  ont été inspirés de symboles astrologiques et  de  mythologies communes aux croyances et aux dieux de l’Antiquité, tels que  sa naissance le 25 décembre, jour du solstice d’hiver,  sa conception miraculeuse d’une vierge, ses douze disciples, nombre  symbolique représentant  entre autres les douze tribus d’Israël. Mais cela n’enlève rien au fait qu’aucun prophète, y compris Bouddha, n’ait enseigné des principes moraux et éthiques aussi élevés et aussi ambitieux.
De la croyance que Jésus est fils de Dieu on passa à  la croyance qu’il est Dieu fait  homme, puis  au mystère de la trinité. La conception chrétienne de Dieu est une  synthèse entre la pensée biblique et le néoplatonisme. Les dogmes fondateurs de la doctrine chrétienne n’ont été élaborés par les quatre conciles œcuméniques (Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine) qu’à la suite de longues controverses trinitaires et christologiques.
Il a fallu trois siècles à l’Église pour proclamer le dogme de la trinité et pour résoudre la question des relations entre Jésus-Christ et Dieu le Père. Est-il Dieu comme lui et ayant la même substance ? Ou un être divin créé par lui et subordonné à lui, comme le professait l’arianisme ? Dans la relation au Saint Esprit, la mention « filioque » a été, et demeure toujours, un sujet de controverse entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. La question étant : de qui procède le Saint Esprit, du Père seulement ou du Père et du Fils ? Quant aux querelles christologiques elles portaient sur la coexistence en Jésus de l’humain et du divin.
Au début du IIIe siècle, l’arianisme  considère le Fils, engendré par le Père, comme une créature inférieure et subordonnée à  Lui. Il sera tenu pour une hérésie  par le premier concile œcuménique  de Nicée (325)  convoqué  et présidé par l’empereur Constantin afin que soit définie une orthodoxie commune à tous les chrétiens de l’Empire. L’Eglise officielle prononce l’anathème contre Arius et adopte  le concept  d’homo ousios (unité de substance ou d’essence)  entre le Père et le Fils. Ce que l’on appelle le « symbole de Nicée »  affirme la pleine divinité du Fils, « vrai Dieu né du vrai Dieu », et  érige  en dogme universel la Trinité qui prône l’idée qu’en Dieu il n’y a qu’une seule substance en trois personnes.
Au Ve siècle le nestorianisme veut distinguer en Jésus l’homme et le fils de Dieu. Il affirme que le Fils étant engendré par le Père, il n’est pas son égal et réfute l’appellation « Marie mère de Dieu. En opposition au nestorianisme  le monophysisme récuse la nature  humaine du Christ. L’Église d’Alexandrie qui prendra  le nom d’Église copte adopte le monophysisme pour qui le Messie a une seule nature, divine.  Elle  sera suivie par d’autres Églises orientales, telles les Églises orthodoxes syrienne et arménienne. 
 L’hérésie   nestorienne,  ainsi que le monophysisme feront  l’objet d’une double condamnation par le concile de Chalcedoine en 451. Celui-ci   réaffirme la doctrine de  Nicée de  la coexistence en Jésus de l’humain et du divin :   « en une seule  et même personne en deux natures  engendrée pour nous et pour notre salut  par la Vierge Marie mère de Dieu ». Derrière les controverses  entre chalcédoniens, monophysites et nestoriens se profilaient des oppositions politiques et culturelles entre Constantinople et Alexandrie, Grecs et Sémites orientaux. Elles consacrent la rupture entre l’Eglise de Rome, et les Eglises orientales qui  ne reconnaissent que les trois premiers  conciles, ce qui exclut Chalcédoine
Apparaissent aussi à la même époque, deux autres doctrines, le manichéisme et la gnose  qui seront condamnées par l’Eglise catholique. Fondé  sur la lutte dualiste entre le bien et le mal,   le manichéisme divise le monde en deux entités : d’un côté  les Ténèbres gouvernés par Satan auxquels est associé le mal ; de l’autre la Lumière gouvernée par Dieu et auquel est associé le bien. Cette religion  donnera naissance au XVIIIe siècle à l’hérésie cathare condamnée par l’Eglise et qui fut à  l’origine de la création de  l’inquisition.
Une autre croyance condamnée pour « hérésie »  est la gnose pour laquelle le salut passe par la connaissance et non la foi et qui propose d’offrir l’accès à  la Lumière à  travers les « paroles secrètes du Christ ». Pour la pensée gnostique le monde est l’œuvre d’un dieu inférieur, le démiurge. L’homme doit libérer son âme et se détacher de son corps et  d’un monde marqué par le mal pour accéder  au royaume du vrai Dieu que les gnostiques nomment « l’Inconnu »  tant il est ineffable.
 Le christianisme institutionnalisé
L’idée d’un Dieu unique ne pouvait qu’entrer en collision avec le polythéisme antique et le syncrétisme de la société romano-hellénique. Ce fut surtout le cas du Dieu universel des chrétiens qui, contrairement au Dieu national juif, est porteur d’un projet eschatologique qui doit sauver l’humanité entière. La  conversion de Constantin, puis la proclamation du christianisme comme religion d’État par Théodose   marquent  le début  de ce qu’Arnold Toynbee  a qualifié de « plus grand désastre qui soit arrivée à la chrétienté : l’immixtion de César dans les affaires de Dieu, et de l’Église de Dieu dans les affaires de César ». A partir de ce moment, toute atteinte à l’Église devient une trahison envers l’État. Bien que le Christ ait prêché une religion d’amour,  le christianisme institutionnalisé, contribua à légitimer la violence la plus brutale. De persécutée au nom du Christ l’Eglise devint persécutrice en son nom. Contrairement à l’enseignement du Christ, elle a prétendu imposer la primauté du pouvoir spirituel  sur le pouvoir temporel.  Et, en contradiction avec le message évangélique de pauvreté,  les papes de La Renaissance furent  aussi des chefs politiques et de guerre, avides  de pouvoir et de richesses matérielles.
Ces abus  furent à l’origine de la Réforme protestante qui prône une émancipation du pouvoir des clercs et de la papauté pour revenir aux principes de l’Evangile. Pour Luther c’est la grâce de Dieu et non les œuvres qui sauvent.  Il  s’oppose à  une Eglise dispensatrice de salut via les sacrements et les indulgences. Pour Calvin. Dieu est si grand qu’il ne saurait se manifester que par la parole Il ne croit pas aux miracles. Fustige ceux qui ont une vision magique et enchantée du monde. Prince des humanistes, Érasme  proclame sa foi dans la raison humaine et cherche à réconcilier  la parole divine des Évangiles avec les écrits profanes de l’Antiquité et la sagesse païenne,  Socrate et le Christ : «  Saint Socrate priez pour nous ».  De son côté  l’Église catholique  entreprit  une  Contre-réforme qui  enclencha un processus  la conduisant à se concentrer  finalement, sous la pression des pouvoirs séculiers, et non sans résistance, à sa mission spirituelle, morale et sociale ; et, depuis le concile Vatican II, à se prononcer  pour un dialogue avec les autres religions, au grand dam des catholiques intégristes, disciples de Mgr. Lefebvre.
Le Dieu de Mahomet  
Dernière née des religions monothéiste l’islam est revenu à  l’unicité de Dieu proclamée par le judaïsme. Un Dieu transcendantal,  invisible  et ineffable qu’il est interdit de représenter et  auquel  le Coran donne 99 attributs différents. Clément et miséricordieux, maître des mondes et des destinées, juge du Jugement dernier, il n'engendre pas, il n'est pas engendré, et nul n'est égal à Lui ni  doit lui être associé. D’  le   rejet par le Coran de la Trinite chrétienne assimilée à  un polythéisme  et ses critiques à  l’encontre des chrétiens qui associent d’autres dieux à  Dieu et auraient déformé le message de Jésus en le divinisant. Ces critiques n’épargnent pas davantage les juifs, à qui il est  reproché de n’avoir pas su reconnaître  Jésus comme un prophète.   
Mahomet fut à la fois un prophète, un législateur, un fondateur d’État et un chef militaire. Se présentant comme envoyé de Dieu, il ne voulait pas d’abord créer une religion nouvelle mais revenir à la foi originelle d’Abraham. Se proclamant comme le sceau des prophètes, il ne prônait pas  au début une rupture avec le judaïsme et le christianisme, dont il respectait les livres saints, mais déclarait vouloir leur accomplissement et leur dépassement. Celui du monothéisme bancal du christianisme  qui scinde Dieu en trois entités, et  celui de la notion judaïque de peuple élu, remplacée par une religion universelle. Mais les réticences des chrétiens et l’opposition des juifs poussèrent le Prophète à prendre ses distances avec eux. Pour marquer cette rupture, il invite ses fidèles à ne plus prier vers Jérusalem mais désormais vers La Mecque.
Alors qu’à La Mecque sa prédication revêtait un caractère religieux et liturgique, et donnait en exemple aux croyants la miséricorde divine, à partir de l’hégire les sourates médinoises prirent  une orientation nettement politique, sociétale et législative. Le Coran compte plusieurs versets qui exaltent la guerre sainte, le jihad, même si certains d’entre eux ont été interprétés comme des incitations à l’effort sur soi-même. Et l’islam se propagea par la conquête tout en ne cherchant pas à convertir de force les peuples soumis à sa domination, conformément à un verset qui déclare : « pas de contrainte en religion ».
A la différence du catholicisme confronté au défi du protestantisme et qui a  accompli  son aggiornamento,  l’islam sunnite, n’est pas  parvenu à se réformer. La croyance que le Coran est la parole incréée de Dieu constitue un obstacle à son exégèse, malgré les efforts d’interprétation (ijtihad) du Hanafisme, la  plus libérale et la plus souple des quatre écoles juridiques sunnites.
Faisant  preuve d’un plus grand esprit d’ouverture, les clercs chiites  élaborèrent tout un corpus doctrinal destiné à donner une réponse aux défis du monde moderne. Bien que la division entre le sunnisme et le chiisme ne soit pas née à l’ origine de divergences doctrinales mais politiques, les théologiens chiites  firent de la sainteté d’Ali et du martyr d’Hussein la source de leur credo. Ils élaborèrent une vision eschatologique de l’histoire fondée sur la croyance en le retour sur terre, avant la fin des temps, du douzième et dernier imam, le Mahdi ou l’imam caché qui rétablirait la justice en ce monde.
 Les druzes quant à eux professent une religion syncrétique  et ésotérique qui vénère  sept incarnations de leur divinité, parmi lesquelles figurent Pythagore, Moïse, le Christ, Mahomet et  le  calife fatimide Al Hakim, inspirateur de leur croyance au  Xe siècle. 
Religion et tolérance
Les religions peuvent inspirer le meilleur comme le pire : des  saints  et des soufis mystiques, comme des soldats autoproclamés de Dieu perpétrant des atrocités en son nom. La croyance en un Dieu unique et universel engendre la croyance en une vérité unique et universelle et, de là à vouloir l’imposer au monde entier, le pas est vite franchi. L’histoire des religions monothéistes est entachée de multiples exemples d’intolérance et de fanatisme. Alors que l’Empire romain païen avait réussi à intégrer les peuples conquis en admettant tous leurs dieux dans son panthéon, le monothéisme des chrétiens, des musulmans et des juifs est devenu une source d’exclusion et « d’identités meurtrières ». Censées favoriser la paix, les religions  sont pourtant devenues l’un des leviers de guerre les plus puissants. De ce point de vue les musulmans sont d’avantage en accord avec l’enseignement et l’exemple de Mahomet  qui fut aussi un chef politique et de guerre que les chrétiens avec celui du Christ qui se fit l’apôtre de la non-violence. Cela dit l’évolution de la chrétienté et de l’islam en matière de tolérance s’est faite en sens inverse. Et alors qu’aujourd’hui ce dernier est le théâtre d’une recrudescence d’intolérance, cela a été longtemps davantage le cas de la chrétienté   
 En raison de l’absence de dogmes, les croyances indiennes, chinoises et japonaises ne sont pas exclusives comme les religions monothéistes. Elles admettent la pluralité des voies pour atteindre la libération. En Chine, une même personne peut être à la fois bouddhiste, taôiste et confucéenne, et au Japon se marier selon le rite shintoïste et avoir des funérailles bouddhistes. En outre l’idée d’un Dieu personnel est absente des sagesses asiatiques. Pour Bouddha c’est perdre son temps que de spéculer vainement sur les questions métaphysiques, l’existence ou non d’un être suprême étant inaccessible à la raison et à l’expérience. 
Dieu, la philosophie et la science
La  position  de la pensée occidentale est différente. Qui a créé  l’univers ?   Y-a-t-il  une cause première et une fin dernière ? Un dessein cosmique qui aurait une fin éthique ? Ce sont les questions auxquelles tendent de répondre, la gnose (tentative raisonnée de démontrer l’existence de Dieu en se passant des religions révélées), la philosophie,  la métaphysique et l’ontologie (science de l’Etre). Nombre de philosophes et de scientifiques, même athées ou agnostiques, estiment qu’il existe probablement une intelligence suprême  derrière la création.  Pour eux  l’évolution de l’univers, ainsi que la montée de la complexité  qui a finalement  accouché de la conscience, ne saurait être uniquement le fruit du hasard.  C’était déjà l’opinion de Voltaire qui, critiquant  le  théisme « inventé par les prêtres »,  prônait un déisme postulant l’existence d’un Grand-Horloger s’apparentant au Grand-Architecte de l’univers  des Francs-maçons. Quant à Hegel, le plus grand représentant de l’idéalisme, il ne croyait  pas à l’existence d’un Dieu personnel, mais affirmait celle d’un Esprit Absolu connaissable « la raison étant la réalité primordiale de l’univers.

La science, elle, ne s’occupe pas du « pourquoi ? » et n’a rien à dire sur ces questions qui ne relèvent pas de sa compétence mais de la philosophie et de la foi.  Ce qui n’a pas empêché  des  scientifiques chrétiens,  comme le père Teilhard de Chardin, de tenter de  démontrer la compatibilité entre les théories modernes de l’évolution du cosmos et la foi.  La physique quantique a montré qu’au niveau subatomique, l’univers ressemblait plus à une vaste pensée qu’à  une immense machine. Sa réalité fondamentale sous-jacente est  celle d’un champ immatériel doté d’intelligence  et d’une certaine « liberté ».
Plus la science progresse,  plus se confirme qu’il y a une limite physique au-delà de laquelle notre seule raison est impuissante à expliquer la réalité. Cet effondrement d’un modèle réducteur purement matérialiste et déterministe est une réhabilitation des thèses idéalistes et spiritualistes par la physique moderne  et peut laisser entrevoir une probable convergence entre la religion et la science.  Les particules élémentaires auraient de ce point de vue une certaine analogie avec les intuitions de la tradition ésotérique,  la notion d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit absolu de Hegel.

Après la phase d’opposition entre la science et la théologie, assistera-t-on  à une   certaine réconciliation entre ces deux  formes de quêtes de la vérité ultime ?  Entre la foi et la raison ? Pour Stephen Hawkins qui n’exclut pas l’existence de plusieurs univers,  le pacte qui voulait que les sciences répondent au «comment», laissant les religions régler le problème du «pourquoi», n'aurait plus de raison d'être, tant la recherche se frotte aujourd'hui à l'essence même de notre monde. La frontière longtemps respectée est en train de céder.  Dans son Discours sur l'origine de l'Univers,  le physicien Etienne Klein rappelle que « les perspectives que nous offre la cosmologie contemporaine sont plus vertigineuses que ce que nous avons imaginé ». Dieu n'est dorénavant plus tabou chez les scientifiques, qu'il s'agisse de l'effacer des possibles ou de prouver son existence.  Et pour Jean Staune,  directeur de la collection «Science et religion» des Presses de la Renaissance, «Dieu revient très fort!» Loin de tuer l'idée d'un dieu, les sciences modernes et les questions qu'elles soulèvent se confrontent de plus en plus à l'hypothèse d'un grand créateur, affirme-t-il.

Outre la question de l’existence ou non  de Dieu la découverte par la science qu’il n’existe pas  de distinction nette entre matière et esprit pose aussi celle de l’immortalité de l’âme.  Après la mort nos atomes s’éparpillent dans l’univers, pour se réincarner à l’infini, dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou moins solides, plus ou moins éthérés.  La  théorie  hindouiste de la métempsychose  serait-elle pour autant  moins invraisemblable que la vision judéo-chrétienne de l’au de-là ? Les atomes sont éternels, mais  cela veut-il dire que notre identité survive indéfiniment aux  multiples recompositions subies par les particules  qui furent notre moi ?  Se peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule de matière disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines vieilles demeures ?      
Conclusion
Dans sa lutte pour instaurer une « religion de la raison », la philosophie des Lumières,  considérait la religion comme une superstition dépassée, du moins en Europe, qui aurait atteint «  l’âge adulte de l’humanité  » selon l’expression de Kant. C’est aussi la thèse d’Auguste Comte auteur de la loi des trois états selon laquelle l'esprit humain passe successivement par « l'âge théologique », et par « l'âge métaphysique », pour aboutir enfin à « l'âge positif ». Et Max Weber a fait de l’histoire de l’Occident moderne celle du « désenchantement du monde », de la sortie du monde magique de la religion. Il souligne l’importance du processus de rationalisation caractérisé par l’effacement de la croyance irrationnelle dans l’action de Dieu dans le monde.
 Il n’y a que dans une Europe occidentale largement déchristianisée   la religion ne fonde plus le lien collectif et    le sens du sacré s’est  perdu.  Depuis le dernier quart du XXe siècle,  le monde  est le théâtre d’un « retour du religieux », aussi soudain que généralisé. Phénomène qui semble donner raison à  Malraux qui prophétisait : le « Le XXIe  siècle sera religieux ou ne sera pas », contre Nietzche qui avait prononcé la mort de Dieu. Sauf que cette « revanche de Dieu  » selon l’expression de Gilles Kepel, reflète moins un regain de foi qu’une quête d’identité en réaction au  « désenchantement du monde » et un recours à la religion à des fins politiques. Et, s’il  touche toutes les religions et tous les continents, c’est surtout au sein de l’islam qu’il se manifeste de la manière la plus  radicale et la plus violente. Avec le risque  que ne se rallume l’antagonisme millénaire entre l’islam et la chrétienté  et  se réalise une autre prophétie : celle du choc des civilisations.   
Ibrahim Tabet  

Conférence du 24/11/2015 à  NINAR  

Wednesday, November 18, 2015

Réflexions sur les attentats de Paris (du 12 septembre 2015 )
 Les attentats terroristes visant à quelques  jours d’intervalles  un avion de ligne russe,  la banlieue sud chiite de Beyrouth et Paris  marquent une escalade dans le conflit avec Daech. Outre le fait qu’ils  ne peuvent que se situer dans le cadre d’un plan  minutieusement préparé visant à semer la terreur parmi ses ennemis, ils reflètent une capacité de nuisance inquiétante  de la part de cette organisation. Ce, au moment même ou elle subit des revers sur le terrain comme par exemple à  Sinjar qui vient d’être reprise par les Kurdes.  Je partage la douleur des proches des victimes innocente qui sont tombées  au dessus du Sinaï,  à Beyrouth et à Paris. Mais éprouver de la compassion pour elles, s’indigner et condamner ces attentats barbares ne suffit pas. Il faut admettre que nous sommes en guerre. Une guerre d’un nouveau genre qui ne se déroule pas uniquement sur les champs de bataille mais sur le front intérieur. Même si Daech venait à être vaincu militairement cela n’éliminerait pas pourtant l’idéologie pernicieuse dont il se réclame ni le terrorisme islamiste qui risque au contraire d’être encouragé. Malheureusement la France est le pays occidental le plus vulnérable face au terrorisme islamiste. D’une part du fait qu’elle est le pays européen le plus engagé contre Daech et contre les organisations jihadistes en Afrique. Et d’autre part du fait de l’existence d’une cinquième colonne au sein de sa population musulmane même si celle-ci n’est constituée que d’une poignée d’individus stigmatisés par l’immense majorité des musulmans de France qui ne peuvent que pâtir de leurs agissement.
Indépendamment du nombre effrayant de victimes  qu’ils ont causé, les derniers attentats de   Paris sont d’une autre nature que ceux perpétrés contre Charlie Hebdo et un hypermarché casher. Alors que ces deniers visaient des cibles spécifiques -  des journalistes ayant caricaturé le Prophète et les Juifs - ceux de Vendredi dernier visent l’ensemble du  peuple de France.  Au-delà  des causes politiques qui l’ont motivé,  ils traduisent  aussi de la part des milieux islamistes,   une  haine  viscérale envers les Français  et les Occidentaux en général qui ne peut  qu’alimenter en retour une recrudescence de l’islamophobie. Cela dit il faut reconnaitre que l’Occident porte une part de responsabilité dans l’instrumentalisation de la radicalisation de la rancœur antioccidentale, voire antichrétienne et antijuive  du fait notamment de sa  démission sur la question palestinienne
Face à cette véritable déclaration  de guerre   de Daech contre la France,  aucun responsable politique ne prône une intervention  militaire au sol en Irak ou en Syrie.  Indépendamment de l’incapacité de l’armée française à l’entreprendre, même dans le cadre d’une  coalition, la responsabilité de combattre Daech incombe  en effet d’abord aux sunnites,   et toute  autre troupe qu’elle soit  formée d’infidèles occidentaux ou d’hérétiques chiites honnis   serait considérée par les populations locales comme une force d’invasion.   Par contre des voix s’élèvent pour réclamer des changements,   aussi bien au niveau de la politique intérieure que de la politique étrangère française.   Il est probable qu’on assiste à  un  durcissement  de la politique intérieure allant dans le sens des thèses du Font National. C’est aussi  de plus en plus  le cas de celles des « Républicains », quoi que ses dirigeants insistent  d’avantage sur le nécessaire équilibre entre sécurité et respect des libertés publiques. Le fait que parmi les kamikazes des attentats de vendredi dernier figurent un Français de confession musulmane et un Syrien faisant partie de l’afflux de réfugiés que connait l’Europe peut donner  raison à  ceux qui soulignent les dangers que fait peser l’immigration musulmane en Europe, non seulement sur ses valeurs mais  sur sa sécurité. Sur le plan de la politique étrangère, la priorité ne doit pas être d’écarter  Bachar el-Assad  mais de combattre Daech qui est l’ennemi public numéro un. Reste à savoir si ce changement peut être initié par Laurent Fabius qui s’est montré plus royaliste que le roi (j’entends les Américains) sur les dossiers  du départ du président syrien  et du nucléaire iranien.  Il est temps également que  le gouvernement français  reconnaisse son erreur dans l’affaire des Mistral  et se rapproche de  la Russie qui est d’avantage un allié naturel  que l’Arabie Saoudite et le Qatar qui soutiennent le fondamentalisme sunnite et les groupes jihadistes.  Enfin  les   medias français  devraient cesser  de diaboliser Vladimir Poutine.

Ibrahim Tabet