Trois religions éclairées nées en
Iran.
Peu de gens savent que l’Iran, soumis aujourd’hui au
joug d’une théocratie totalitaire, a été le berceau, de trois religions remarquables
par leur esprit d’ouverture. Au VIIe siècle Av. J.C., peut-être avant, naquit le Zoroastrisme,
suivi, un millénaire après, au IIIe
troisième siècle de notre ère, par le Manichéisme. Enfin, 1500 ans plus tard,
au milieu du XIXe siècle, l’Iran, devenu musulman, voit l’apparition
d’une troisième religion tout aussi tolérante : le Bahaïsme. Le
Zoroastrisme a eu une influence indéniable sur le Judaïsme. Et saint Augustin
lui-même était l’un des adeptes du Manichéisme avant de le combattre
vigoureusement. Inspiré de l’Islam, mais très critique à l’égard des trois
religions monothéistes, le Bahaïsme fut férocement persécuté par les autorités
religieuses et politiques iraniennes.
Fondée par Zoroastre (Zarathoustra),
le
zoroastrisme est une religion monothéiste qui adore un Dieu éthique et
bon, Ahura Mazda, (littéralement le Seigneur sage). C’est la première religion
éthique de l’humanité, mettant en avant un idéal du Bien. Sa sagesse vise l’harmonie en trois mots :
« bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions ». C’est aussi, la première
religion à établir une relation
personnelle et aimante avec Dieu et à développer une
théorie du salut universel et la notion d’enfer, de paradis et de jugement dernier. Quant à
la résurrection des morts, elle intervient à la fin des temps, après la
lutte entre les forces du Bien et celles
du Mal. Cette eschatologie optimiste, proclamant le
triomphe définitif du Bien et l’instauration par le Sauveur céleste, Ahura Mazda, d’un nouveau règne de justice préfigure
celles du judaïsme tardif, du christianisme et de l’islam. Zoroastre met en avant la notion de liberté individuelle :
chacun, affirme t-il peut et doit choisir entre le Bien et le Mal. Cette notion
de libre arbitre est révolutionnaire à une époque où
l’individu n’a pas de valeur en tant que tel. Après l’incorporation de l’Iran à l’empire musulman, la majorité des zoroastriens se convertiront
à l’islam. De nos jours
cette religion ne survit de chez deux petites minorités : les Guèbres d’Iran
et les Parsis en Inde.
Fondée par le prophète iranien Mani, le manichéisme
est une religion universaliste qui repose, comme le zoroastrisme, sur
l’affrontement entre le Bien et le Mal. Persécutée dans l’Empire sassanide, la
nouvelle religion va se répandre dans l’Empire romain et atteindre la Chine. Professant un syncrétisme tolérant, elle prend en compte les religions
antérieures des pays où elle tente de
s’implanter : le christianisme, le zoroastrisme et le bouddhisme. Dans Les Jardins de Lumière Amin Maalouf cite
plusieurs des paroles de Mani, telles que : « Je me réclame de
toutes les religions et d’aucune. » Ou : « Je respecte toutes
les croyances, et c’est bien cela mon
crime aux yeux de tous. Les chrétiens n’écoutent pas le bien que je dis de
Jésus, ils me reprochent de ne pas dire du mal des juifs et de Zoroastre. Les
mages de Zoroastre ne m’entendent pas lorsque je fais l’éloge de leur prophète,
ils veulent m’entendre maudire le Christ et Bouddha. 2 »
Essentiellement dualiste, cette doctrine vise à dépasser la contradiction
entre l’existence d’un Dieu tout-puissant et infiniment bon et celle du Mal. Selon elle, deux principes existaient à l’origine dans l’univers, le
monde de la Lumière gouverné par Dieu et le monde des Ténèbres gouverné par
Satan. Les Ténèbres doivent être surmonté par la douceur, l'amour ; non pas
en s'opposant au mal ou en le combattant, mais en se mêlant à lui ; afin
de rédimer le mal en tant que tel. Pour que l'esprit d'un homme puisse, une fois mort,
rejoindre le royaume de la lumière il faut qu'il se détache de tout ce qui est
matériel de son vivant. Face au succès réel que connaît
cette religion, elle subira de nombreuses persécutions. Et elle inspirera plusieurs sectes dont les Cathares qui
seront férocement combattus par l’Église catholique.
Le
Bahaïsme est un mouvement progressiste et libéral qui surgit paradoxalement d’un milieu chiite intégriste et professe des
enseignements révolutionnaires pour l’époque : il appelle à l’égalité des sexes, à la compatibilité
de la science et de la religion, à la
relativité de la vérité (y compris la vérité religieuse) et à l’unicité absolue
du genre humain. Le premier à avoir mené
cette révolution issue de l’islam est Ali-Muhammad Shirazi (1819-1850)
surnommé, le « Bab » (la Porte). À l’origine son enseignement est perçu comme une réforme de
l’islam. Mais en 1848, une de ses adeptes, la princesse Tahirih, ôte
solennellement son voile en public, et proclame à la fois le principe de
l’égalité des sexes et l’aube d’un jour nouveau pour l’humanité tout entière.
Ce geste spectaculaire marque un tournant dans l’histoire du mouvement.
« En faisant du statut de la femme un des axes principaux de sa religion,
le « Bab » a signalé
sans ambigüité sa volonté de briser à tout jamais le cadre traditionnel de
l’intégrisme islamique 3 ». Lui-même et ses disciples sont massacrés par les
autorités religieuses et politiques du pays. Mais le mouvement renaît sous
l’égide de Baha’ullah dont il tirera son nom de foi bahaïe. Exilé en Palestine,
ce dernier établit le centre spirituel de la nouvelle religion sur le mont
Carmel où il est toujours installé aujourd’hui. Critiquant dans ses écrits
toutes les religions établies, il affirme que le fanatisme et l’intégrisme
religieux constituent les pires maux dont souffre l’humanité. Pour lui la
religion ne doit être comprise ni comme une croyance, ni comme une idéologie,
mais comme une relation authentique entre Dieu et l’homme, d’une part, entre
tous les êtres humains, d’autre part. Opposant un humanisme à toute forme
d’idéologie, la communauté internationale bahaïe compte aujourd’hui environ
sept millions d’adeptes à travers le monde mais continue d’être l’objet de persécution en Iran.
Ibrahim
Tabet
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1, Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions,
Plon, Essais, 2008,
2, Amine
Malouf, Les jardins de Lumière, J. C.
Lattès,
1991
3,
William S. Hatcher, article paru dans le numéro 145 du Monde diplomatique,