Friday, August 5, 2016

Trois religions éclairées nées en Iran.
Peu de gens savent que l’Iran, soumis aujourd’hui au joug d’une théocratie totalitaire, a été le berceau, de trois religions remarquables par leur esprit d’ouverture. Au VIIe  siècle Av. J.C., peut-être avant, naquit le Zoroastrisme, suivi, un millénaire après, au  IIIe troisième siècle de notre ère, par le Manichéisme. Enfin, 1500 ans plus tard, au milieu du XIXe siècle, l’Iran, devenu musulman, voit l’apparition d’une troisième religion  tout aussi tolérante : le Bahaïsme. Le Zoroastrisme a eu une influence indéniable sur le Judaïsme. Et saint Augustin lui-même était l’un des adeptes du Manichéisme avant de le combattre vigoureusement. Inspiré de l’Islam, mais très critique à l’égard des trois religions monothéistes, le Bahaïsme fut férocement persécuté par les autorités religieuses et politiques iraniennes.
Fondée par Zoroastre (Zarathoustra), le zoroastrisme est une religion monothéiste qui adore un Dieu éthique et bon, Ahura Mazda, (littéralement le Seigneur sage). C’est la première religion éthique de l’humanité, mettant en avant un idéal du Bien. Sa  sagesse vise l’harmonie en trois mots : « bonnes pensées, bonnes paroles, bonnes actions ». C’est aussi, la première religion à établir une relation personnelle et aimante avec Dieu et à développer une théorie du salut universel et la notion d’enfer, de paradis et de jugement dernier. Quant à la résurrection des morts, elle intervient à la fin des temps, après la lutte  entre les forces du Bien et celles du Mal. Cette  eschatologie optimiste, proclamant le triomphe définitif du Bien et l’instauration par le Sauveur céleste, Ahura Mazda, d’un nouveau règne de justice préfigure celles du judaïsme tardif, du christianisme et de l’islam. Zoroastre met en avant   la notion de liberté individuelle : chacun, affirme t-il peut et doit choisir entre le Bien et le Mal. Cette notion de libre arbitre est révolutionnaire à une époque   l’individu n’a pas de valeur en tant que tel. Après l’incorporation de l’Iran à  l’empire musulman,  la majorité des zoroastriens se convertiront à l’islam.  De nos jours cette religion ne survit de chez deux petites minorités : les Guèbres d’Iran et les Parsis en Inde.  
Fondée par le prophète iranien Mani, le manichéisme est une religion universaliste qui repose, comme le zoroastrisme, sur l’affrontement entre le Bien et le Mal. Persécutée dans l’Empire sassanide, la nouvelle religion va se répandre dans l’Empire romain et atteindre la Chine. Professant un syncrétisme tolérant, elle prend en compte les religions antérieures des pays   elle tente de s’implanter : le christianisme, le zoroastrisme et le bouddhisme. Dans Les Jardins de Lumière Amin Maalouf cite plusieurs des paroles de Mani, telles que : «  Je me réclame de toutes les religions et d’aucune. » Ou : «  Je respecte toutes les  croyances, et c’est bien cela mon crime aux yeux de tous. Les chrétiens n’écoutent pas le bien que je dis de Jésus, ils me reprochent de ne pas dire du mal des juifs et de Zoroastre. Les mages de Zoroastre ne m’entendent pas lorsque je fais l’éloge de leur prophète, ils veulent m’entendre maudire le Christ et Bouddha. 2 » 
Essentiellement dualiste, cette doctrine vise à dépasser la contradiction entre l’existence d’un Dieu tout-puissant et infiniment bon et celle du Mal. Selon elledeux principes existaient à l’origine dans l’univers, le monde de la Lumière gouverné par Dieu et le monde des Ténèbres gouverné par Satan. Les Ténèbres doivent être surmonté par la douceur, l'amour ; non pas en s'opposant au mal ou en le combattant, mais en se mêlant à lui ; afin de rédimer le mal en tant que tel. Pour que l'esprit d'un homme puisse, une fois mort, rejoindre le royaume de la lumière il faut qu'il se détache de tout ce qui est matériel de son vivant. Face au succès réel que connaît  cette religion, elle subira de nombreuses persécutions. Et elle inspirera plusieurs sectes dont les Cathares qui seront férocement combattus par l’Église catholique.
Le Bahaïsme est un mouvement progressiste et libéral qui surgit paradoxalement d’un  milieu chiite intégriste et professe des enseignements révolutionnaires pour l’époque : il  appelle à l’égalité des sexes, à la compatibilité de la science et de la religion, à  la relativité de la vérité (y compris la vérité religieuse) et à l’unicité absolue du genre humain. Le premier à avoir  mené cette révolution issue de l’islam est Ali-Muhammad Shirazi (1819-1850) surnommé, le « Bab » (la Porte). À l’origine son enseignement est perçu comme une réforme de l’islam. Mais en 1848, une de ses adeptes, la princesse Tahirih, ôte solennellement son voile en public, et proclame à la fois le principe de l’égalité des sexes et l’aube d’un jour nouveau pour l’humanité tout entière. Ce geste spectaculaire marque un tournant dans l’histoire du mouvement. « En faisant du statut de la femme un des axes principaux de sa religion, le « Bab » a signalé sans ambigüité sa volonté de briser à tout jamais le cadre traditionnel de l’intégrisme islamique 3 ». Lui-même  et ses disciples sont massacrés par les autorités religieuses et politiques du pays. Mais le mouvement renaît sous l’égide de Baha’ullah dont il tirera son nom de foi bahaïe. Exilé en Palestine, ce dernier établit le centre spirituel de la nouvelle religion sur le mont Carmel où il est toujours installé aujourd’hui. Critiquant dans ses écrits toutes les religions établies, il affirme que le fanatisme et l’intégrisme religieux constituent les pires maux dont souffre l’humanité. Pour lui la religion ne doit être comprise ni comme une croyance, ni comme une idéologie, mais comme une relation authentique entre Dieu et l’homme, d’une part, entre tous les êtres humains, d’autre part. Opposant un humanisme à toute forme d’idéologie, la communauté internationale bahaïe compte aujourd’hui environ sept millions d’adeptes à travers le monde mais continue d’être l’objet de persécution  en Iran.
Ibrahim Tabet

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1, Frédéric Lenoir, Petit traité d’histoire des religions, Plon, Essais, 2008,
2, Amine Malouf, Les jardins de Lumière, J. C. Lattès, 1991
3, William S. Hatcher, article paru dans le numéro 145 du  Monde diplomatique,
   

      

Tuesday, August 2, 2016

La politique française  a-t-elle tout faux au Proche - Orient ?

Qui se souvient du  discours prémonitoire de Dominique de Villepin à  l’ONU, le 7 mars 2003,  , s’élevant contre la détermination affichée des Etats-Unis d’envahir l’Irak, il mettait  en garde contre les conséquences désastreuses qu’entraînerait  cette agression ? « La France, déclarait-il,   pense que l’usage de la force risque d’attiser les rancœurs et les haines, d’alimenter un choc des identités, un affrontement des cultures. […] S’agit-il de changer le régime de Bagdad ? Personne ne méconnait la cruauté de cette dictature […] Mais  la force ne constitue certainement pas le meilleur moyen d’apporter la démocratie.  S’agit-il de lutter contre le terrorisme ? La guerre ne ferait que l’accroitre, et nous pourrions faire face à une nouvelle vague de violence. […] S’agit-il enfin de remodeler le paysage politique au Moyen-Orient ? Alors nous prenons le risque d’accroitre les tensions dans une région déjà marquée par une grande instabilité. D’autant qu’en Irak même,  la multiplicité des communautés et des religions est une source de divisions.  […] Le monde sera t-il plus en sécurité après une intervention militaire en Irak ? Je veux vous dire la conviction de mon pays : non 1 ».
Si l’on remonte plus loin dans le temps,  que reste-t-il de la posture gaullienne d’indépendance par rapport à  Washington, de son rêve d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural,  et de la «  politique arabe » de la France qu’il a initiée, et dont Jacques Chirac a été le dernier héritier ?   Depuis la présidence de Nicolas  Sarkozy,  et surtout celle de François Hollande, la politique étrangère de la France a eu tout faux au Proche-Orient.  En politique étrangère, Nicolas Sarkozy, mettant fin  à  la politique d’indépendance vis-à - vis de Washington,  a procédé a un réalignement de la politique française sur les Etats-Unis et en faveur d’Israël, les deux objectifs étant probablement liés dans son esprit.  En 2009, la France réintègre  le commandement  de l’OTAN. Elle apparaît  également comme l’un des pays les plus en pointe contre le régime iranien sur le dossier du nucléaire. La décision la plus lourde de conséquence de sa présidence a  toutefois été l’intervention militaire française en Libye en 2011, promue par le sulfureux Bernard Henri Levy, sioniste notoire.  Outrepassant le mandat de l’ONU, et sous prétexte de protéger   les populations civiles,   elle  a  aboutit à  ce qui était probablement son véritable objectif : Le  renversement du  régime de Mouammar Kadhafi. Ses répercussions    se font toujours sentir aujourd’hui : Chaos  tribal et désintégration de la Lybie. Plus grave,  au regard des intérêts français et européens : apparition  d’un   repaire de  terroristes islamistes menaçant l’Europe et l’Afrique Sub-saharienne. Enfin  afflux de réfugiés en Europe  que le dictateur libyen  avait  au  moins l’avantage  d’endiguer.
Comme si les leçons des répercussions   catastrophique de la politique de changement de régime  en Irak et en Libye n’avait pas été retenues, la politique française vis-à-vis de la Syrie  a commis les mêmes erreurs.  Plus royaliste que le roi américain,  Roland Fabius  a déclaré au début du déclenchement du soulèvement contre  Bachar el Assad  que celui-ci «  ne méritait tout simplement pas de vivre sur terre !  » Son  parti-pris flagrant en faveur d’Israël l’a amené à  surenchérir  en matière d’intransigeance sur les Américains dans les négociations ayant abouti  à  l’accord sur le nucléaire iranien. Choix sans doute également dicté par le souci du gouvernement français de complaire aux riches  pétromonarchies  du Golfe,  alors que l’Arabie Saoudite et le Qatar wahhabites  financent généreusement  les mouvements islamistes.  N’eut-été  la sage décision de Barak Obama de s’abstenir de bombarder les  forces fidèles  au régime syrien, François Hollande était prêt à  le faire,  ce qui aurait ouvert  les portes de Damas aux islamistes  radicaux et vidé la Syrie de la majorité de ses habitants  chrétiens comme c’est déjà le cas en Irak.
Aujourd’hui,  il apparaît de plus en plus clairement  que,  grâce à l’intervention russe,  le régime syrien n’est pas prêt de tomber  et qu’il constitue, que cela plaise ou non, un rempart contre le terrorisme islamiste.  Washington en a d’ailleurs implicitement pris acte et considère désormais que l’ennemi principal n’est pas Bachar el Assad,  qui n’a jamais  constitué une menace terroriste contre l’Occident,    mais Daech  qui voue  une haine inexpiable contre les  «croisés et les juifs »  et dont l’objectif déclaré  est de porter la guerre contre l’Occident considéré comme « dar el harb ».   Il est temps que le gouvernement français  admette qu’il s’est trompé d’ennemi et qu’il procède   à une révision  radicale de sa politique au Moyen-Orient. D’autant plus que la vague d’attentats terroristes dont la France  est victime montre qu’elle est davantage visée par Daech et les autres organisations  jihadistes que la lointaine Amérique.  Cela dit,  ce n’est pas en intensifiant les bombardements aériens contre Daech en Syrie et en Iraq que la vague d’attentats terroristes sur le sol français pourra être enrayée. C’est surtout sur le front intérieur que se situe l’enjeu de la lutte contre ce fléau.  Malheureusement, quel que soient les mesures sécuritaires supplémentaires que pourra  prendre le gouvernement, il n’existe pas de risque zéro en la matière et les Français devront apprendre à vivre jusqu'à nouvel ordre avec le terrorisme. Enfin le  renforcement des moyens de lutte antiterroriste n’éliminerait pas pour autant l’idéologie qui a enfanté les kamikazes. Autrement plus efficace seraient  un certain nombre de  mesures visant à l’émergence d’un islam européen, telles que par exemple la formation des imams et l’interdiction du financement des lieux de cultes musulmans par des institutions ou gouvernements étrangers. Sur un autre plan, il est temps que  le gouvernement français  se rapproche de la Russie qui est un allié naturel dans la lutte contre le terrorisme islamiste.  N’est-ce pas  d’ailleurs ce que font les Américains sur le dossier syrien,  alors qu’ils instrumentalisent  la prétendue menace de l’ours russe  pour justifier le  maintien de  l’OTAN dont la principale  raison d’être depuis la chute de l’URSS est de garder les pays européens sous leur coupe. Mais le gouvernement actuel a perdu toute crédibilité sur tous ces dossiers,  et il faudra sans doute attendre les prochaines élections présidentielles pour que la France ait une chance de recouvrer une quelconque influence au Proche-Orient.
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Cité  par Henri Laurens dans L’Orient arabe à l’heure américaine, Hachette 2008, p. 223,  et dans mon livre  La France au Liban et au Proche-Orient, Editions de la Revue Phénicienne, 2012, p. 271.