Wednesday, November 8, 2017


Saad Hariri : une démission surprise qui ouvre une grave crise. 

La démission surprise du Premier ministre libanais Saad Hariri à partir de Riyad ouvre une grave crise locale et fait suite aux importants bouleversements survenus récemment sur la scène   régionale. En lui forçant  sans doute la main,  l’Arabie saoudite  vient de sonner, abruptement, le glas de la formule du gouvernement de compromis sur lequel reposait le sexennat du président Michel Aoun. Elle met le Liban face à un choix impossible : soit la confrontation avec le Hezbollah,  soit la confrontation avec  l'Arabie saoudite et ses alliés. Dans l’ensemble c’est donc plutôt l’inquiétude qui prévaut parmi la classe politique et l’opinion publique libanaise. Le pays risque de rester sans gouvernement pendant une période indéterminée  comme ça a été le cas par le passé. Aucun leader sunnite ne pourra en effet ignorer la position saoudienne en  acceptant  de présider  un gouvernement  dont ferait partie  le Hezbollah. Et ce dernier risque de son côté  de se raidir face aux multiples pressions dont il est la cible, parmi lesquelles figurent les sanctions américaines. Un autre motif d’inquiétude est l’attitude israélienne de plus en plus menaçante envers le Hezbollah, illustrée par les déclarations de ses dirigeants selon lesquelles son arsenal constituerait  un  « casus belli ». Certains analystes n’écartant pas le scénario  d’une guerre préventive menée  contre  la milice chiite  par l’Etat hébreu qui serait dévastatrice pour le Liban. La question pour ces « experts » n’étant pas si elle aura lieu,  mais quand !  D’autres Libanais se félicitent au contraire des dénonciations virulentes mises dans la bouche de Hariri  envers l’Iran et le Hezbollah,  qualifié de « Parti du diable »  et de « tumeur cancéreuse » par ses mentors saoudiens, et  veulent y voir le signe d’un réveil du  sunnisme libanais et la fin de sa  soumission à leur hégémonie. Ils estiment que le compromis consenti par les Partis du « 14 mars » ayant conduit à l’élection de Michel Aoun à  la présidence de la République  et à la formation du gouvernement Hariri a été un marché de dupes. Et que le camp souverainiste   a été contraint de faire trop de concession au camp du « 8 mars » enhardi par la   tournure favorable à  l’Iran et à  ses alliés prise par les guerres en Syrie et en Irak. La  goute d’eau qui a fait déborder  le vase a  été la déclaration du président iranien Rohani selon laquelle aucune décision  importante concernant la région, y compris le Liban, ne peut être prise en ne tenant pas compte des intérêts de  l’Iran.  Si Saad Hariri a eu tort de faire sa déclaration à  partir de Ryad, il a eu raison  estiment-ils, de dénoncer la mainmise de l’Iran et du Hezbollah sur le Liban. Et ils font remarquer que si l’ingérence de  Riyad dans la politique intérieure libanaise est aussi flagrante que celle de Téhéran, cette dernière s’emploie à soutenir une milice illégale qui mine  l’autorité de l’Etat, exerce un chantage armé contre ses opposants, et expose le pays à  des représailles israéliennes.  Ils ne sont pas dupes du discours apaisant et fort habile par ailleurs de Hassan Nasrallah  feignant de compatir au sort de Hariri « otage des Saoudiens ».  Ils n’oublient pas  les  assassinats politiques imputés à son Parti, et le fait qu’il ait  bloqué pendant des mois l’élection d'un président pour finir par imposer son candidat. Sans compter l’intérêt économique vital du Liban  à  ne pas compromettre ses relations avec l’Arabie saoudite et les pays du Golfe  travaillent des dizaines milliers  de Libanais.  S’il est trop tôt pour prévoir les répercussions de la démission de Saad Hariri, les  choses ne seront plus en tout cas jamais comme avant. Les alliances politiques  qui avaient débouché sur la formation du  gouvernement de coalition sortant se déliteront et on assistera  probablement à  un retour à  la polarisation 14 mars-8 mars, et à  un durcissement de l’attitude du Courant du Futur et des Forces libanaises envers le Hezbollah qui compromettra le rapprochement entre ces dernières et le Courant patriotique libre. S’il est peu probable, en tout cas il faut l’espérer,  que l’antagonisme chiito-sunnite débouche sur  nouvelles violences sur la scène intérieure, le Liban se retrouve de nouveau dans la tourmente. Sa culture du compromis, pour ne pas dire des compromissions, ainsi que ses   tentatives pour ne  pas se laisser entraîner dans la confrontation entre l’axe américano-israélo-saoudien et l’Iran ont finalement été vaines face à  la  détermination du trio Trump-Netanyahou-Mohamed ben Salman à en découdre avec ce dernier.  Le coup de tonnerre qui vient d’éclater marque un tournant capital dans la crise libanaise, s’inscrit en effet dans le sillage de plusieurs changements sur l’échiquier politico-religieux régional : la décision  de l’administration Trump  de contrer l’expansionnisme de l’Iran dont la volonté de puissance n’a en rien été modérée par l’accord sur le nucléaire, comme l’escomptait  Barak Obama. Les  victoires  du régime  syrien, allié de  l’Iran,  qui constituent un sérieux revers pour l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, lesquels, ayant  tout fait pour le renverser,  cherchent  à   compenser leur  défaite sur la scène libanaise. La jonction entre les armées irakiennes et syriennes à  la frontière entre les deux pays qui ouvre les portes du corridor iranien reliant l’Iran au Liban via l’Irak et la Syrie, au grand dam des Américains qui ont tenté en vain de l’empêcher. Enfin l’accession au pouvoir du jeune prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salman.  Celui-ci  s’est démarqué de la politique étrangère traditionnellement prudente du royaume en intervenant militairement au Yémen  pour contrer le soutien iranien aux Houttis et en isolant le Qatar.  En arrêtant une trentaine de princes et d’hommes d’affaires saoudiens,  il a marqué sa volonté d’exercer un pouvoir sans partage. Incarnant  le réveil du sunnisme arabe face au triomphalisme de la Perse chiite, il s’est fixé deux objectifs prioritaires : endiguer l’impérialisme iranien et réformer le royaume notamment en prônant un islam plus ouvert en phase avec les aspirations des nouvelles générations. Si ce changement souhaitable devait se concrétiser, on ne pourra plus renvoyer dos à dos l’obscurantisme wahhabite et la dictature théocratique des mollahs. Combiné avec la déroute de Daech,  il pourrait signifier le crépuscule de l’extrémisme sunnite et jouer en faveur du sunnisme modéré qui représente  un contrepoids  plus acceptable et plus efficace  à  l’influence iranienne. A moins  que l’enlisement de l’Arabie au Yemen et l’échec de sa politique d’isolement du Qatar ne compromette ses ambitions de jouer le rôle d’Etat phare du monde musulman. 
Ibrahim Tabet
Le 8/11/2017