Le début de la fin ou la fin du début ?
Après la victoire d’El Alamein, qui a marquée le début du retournement de la fortune des armes lors de la Deuxième guerre mondiale, Winston Churchill a déclaré : "Now
this is not the end. It is not even the beginning of the end. But it is, perhaps, the end of
the beginning." La même remarque
pourrait être faite à propos de
la
libération d’Alep. Malgré cette
victoire contre les jihadistes, le conflit en Syrie, qui s’est rapidement transformé en
guerre par procuration, risque de durer encore longtemps. En effet le
cessez-le feu décidé par la Russie la
Turquie et l’Iran et accepté par le
régime et les rebelles modérés à l’issue
de cette victoire ne concerne pas les
groupes jihadistes. Et ces derniers sont également exclus des négociations en
vue de trouver une solution politique devant s’ouvrir à Astana sous
l’égide de ces trois puissances. Bien
que ses protagonistes locaux, y compris le régime, soient tributaires de leurs soutiens étrangers,
il est douteux que Bachar el Assad ne veuille
pas en finir avec la région d’Idlib
et reconquérir Palmyre. Et l’Etat islamique reste aussi
menaçant. Même si les différents groupes terroristes, y compris
Daech, venaient à être définitivement
vaincus militairement, cela ne signera pas pour autant la fin de l’idéologie islamiste radicale.
Leur défaite sur le terrain pourrait au contraire
mener à une recrudescence du terrorisme transnational comme le montrent les
attentats en Jordanie et à Berlin. Il en est de même du clivage séculaire sunnito-chiite
et sunnito-alaouite que la rancœur des
sunnites à la suite de ce nouveau revers
ne peut qu’approfondir. Le sort de la
Syrie est incertain. Restera –t’elle
divisée ? Sera-t-elle réunifiée, ou transformée en lâche fédération de zones d’influence, avec un gouvernement central ne contrôlant, tant
bien que mal, que la « Syrie utile » ? Quelle sera la composition de ce gouvernement et son pouvoir, l’opposition
modérée censée en faire partie n’ayant que peu d’influence sur le
terrain et n’étant pas capable de faire accepter un compromis aux milices combattant le régime ? Combien de temps Bachar el
Assad restera-t-il au
pouvoir ? Et tant qu’il s’y
maintiendra sera-t-il reconnu par l’Occident et les monarchies pétrolières, malgré
les crimes de guerre commis par le régime ? Accepteront-ils de financer la reconstruction de la Syrie sans
un changement assurant une transition
politique effective ? Autre question importante : quelles seront les conséquences démographiques de la
guerre ? D’une part en Syrie, avec les déplacements de population prenant parfois le caractère d’épuration
ethnico-confessionnelle ; et d’autre part au Liban avec la présence d’un million et demi de réfugiés
syriens majoritairement sunnites sur son sol, dont la plupart ne retourneront probablement
jamais dans leur pays. Non seulement car ils n’en n’ont nul envie, mais par ce qu’il est douteux que les
conditions matérielles et politiques ne le permettent. Tant qu’Assad restera au pouvoir il ne sera en
effet pas enclin à favoriser leur retour et risque de les utiliser comme carte
de pression sur le gouvernement libanais.
Sur un autre plan, l’Occident tirera t-il
la leçon de son échec à renverser le régime syrien en finançant et en armant les
islamistes, malgré les conséquences
désastreuses de ses interventions en Iraq et en Libye ? Mettra-t-il fin à sa
politique d’ostracisme de la Russie et à la diabolisation de Vladimir Poutine comme
le préconise François Fillon ? Assistera-t-on à
un package deal américano-russe après
la prise de fonction de Donald Trump, comme le laissent entendre les propos
de ce dernier ? Cela, malgré les
récentes déclarations d’intention de Washington et de Moscou de renforcer leurs
arsenaux nucléaires respectifs. Ce qui est certain en tout cas, c’est que le déséquilibre de puissance entre la Russie et les
Etats-Unis en faveur de ces deniers n’a pas empêché Vladimir Poutine de rétablir l’influence de son pays au
Moyen-Orient au détriment de celle de
l’Occident. Celle-ci s’exerce presque sans partage sur la Syrie, où Moscou doit quant même composer avec les intérêts de la Turquie et de l’Iran, deux puissances sans lesquelles un règlement du conflit est
impossible. Y disposant de bases militaires, elle en contrôle la façade méditerranéenne, potentiellement
riche en hydrocarbures ; situation
dont le Qatar a pris acte en signant un important accord avec Moscou
pouvant déboucher à terme sur
l’acheminement de son gaz à travers un gazoduc débouchant sur la côte syrienne (alors que cette question était l’une
des raisons du déclenchement de la guerre !). Mais la manifestation la plus spectaculaire
de l’influence grandissante de la
Russie et la volte face d’une Turquie,
affaiblie par ses difficultés internes
et le spectre de la création d’une entité kurde en Syrie, et qui
s’est engagée dans une coopération militaire implicite et surtout
économique accrue avec la Russie. L’autre gagnant de la guerre en Syrie, qui en
fait un allié de circonstance de la Russie,
est l’Iran. Mais cela ne peut que renforcer l’hostilité des pays du Golfe, particulièrement l’Arabie
Saoudite enlisée au Yemen, envers la
République islamique dont les coreligionnaires
chiites sont en passe de reconquérir la ville sunnite de Mossoul. Surtout,
l’intention déclarée de Donald Trump
de remettre en question l’accord sur le nucléaire signé avec Téhéran
risque à nouveau de brouiller les cartes,
non seulement en Syrie, mais dans toute la région, y compris au Liban du fait de l’influence qu’y exerce l’Iran à travers le Hezbollah.
Ibrahim
Tabet