De l’immortalité de l’âme. .
Face
aux mystères de l’univers les hommes n’ont pu que se livrer à des conjectures
sur ce qui est au delà de leur savoir. Seules instances à avoir répondu durant des millénaires à la question du sens, les religions ont également pour fonction de conjurer l’angoisse de la mort faisant miroiter
une promesse de vie éternelle ici-bas ou dans l’au-delà. Les premiers indices
de la tentative de nos ancêtre de conjurer le spectre de la mort furent la découverte de cadavres enterrés en
position fœtale par l’homo sapiens il y a environ cent mille ans. Les objets
trouvés autour des corps des défunts attestent de l’idée qu’il existait une
nouvelle vie après la mort. Inspirée de
textes sumériens, l’épopée de Gilgamesh raconte la vaine quête d’immortalité de
ce roi légendaire. Elle est une illustration de la condition humaine définie
par l’inéluctabilité de la mort. La religion égyptienne avait pour enjeu
fondamentale la question de la survie après la mort. Cette préoccupation
explique pourquoi les anciens Égyptiens pratiquaient la momification et ont accordé autant d’importance aux demeures des morts
qu’à celles des dieux. Dans le védisme antique le soma était une
boisson d’immortalité. En Grèce Pythagore est le premier philosophe à formuler l’idée d’une séparation entre le
corps et l’âme, d’où découle la croyance en
l’immortalité de l’âme.
Les premières religions étaient à l’ origine principalement orientées vers l’ici-bas. Accomplir
des rites conformes aux commandements de la religion ayant pour fonction d’éviter
le courroux des dieux ou de s’attirer
leurs faveurs ; de produire des
résultats espérés en termes de santé, de prospérité, de bonheur ou de victoire.
Puis, au bout d’une longue maturation, se produisit, autour
du Vie siècle avant notre ère, un tournant moral dans l’histoire des
croyances avec l’apparition concomitantes, en Grèce, au Proche-Orient et en
Asie. de philosophies et de religions
introduisant la notion de salut individuel. Pour les Hébreux récompenses et châtiments étaient des choses
d’ici-bas. Le bonheur était promis par Dieu à ses fidèles dès la vie
terrestre et non dans un lointain au-delà. Celui-ci était un vague séjour des
morts, le shéol, où cesse de vivre l’être de chair et où les bons et les
méchants sont mélangés. Ce n’est que
dans le judaïsme tardif après l’exil a Babylone où il entra en contact avec le
mazdéisme, qu’apparaissent l’idée que l’homme n’est pas puni ou récompensé sur
terre mais dans l’au-delà et les notions d’une existence post mortem et de la résurrection
des morts. Juifs, chrétiens et musulmans adhérent à la foi en un
seul Dieu, transcendant,
omnipotent, créateur de toute chose et éthique et à l’idée de
l’immortalité de l’âme. Croyant à
l’existence de l’enfer et du paradis elles font dépendre de la conduite ici-bas le salut dans l’au-delà. De son coté
le bouddhisme a attaché une
signification morale à l’antique religion brahmanique dont la spiritualité se situait
au-delà du bien et du mal. Il maintien la croyance en la métempsychose et au
cycle des réincarnations. Les bons sont sensés se réincarner dans des êtres
supérieurs et les mauvais dans des êtres inférieurs. Et il indique la voie qui permet d’échapper à la
loi du cycle infernal de naissances et de renaissances et d’accéder au nirvana. Si tant est que
l’enfer existe est-il
vraisemblable que l’on soit éternellement damné pour des actions menées au cours
d’une vie aussi éphémère sur terre ? Pour nuancer l’inéluctabilité d’un
tel sort, l’Eglise catholique a inventé
la notion de purgatoire. Dans l’idée de réincarnation il y a au moins la consolation d’avoir une seconde chance. Et
je préfère de loin à l’enterrement la pratique de la crémation où les
cendres se dissipent dans l’atmosphère.
Pour la gnose
et la philosophie
néoplatonicienne les âmes
individuelles qui émanent de l’Ame universelle et procèdent du Tout sont prisonnières du corps qui est une dégradation
matérielle de la Lumière primordiale.
Ce n’est qu’en abandonnant notre corps que nous pouvons faire un avec
l’Etre suprême. Ces conceptions sont
proches de celles des grandes religions. Parmi les voies spirituelles pour atteindre cette libération figurent le renoncement hindouiste au monde, l’extinction des désirs ouvrant l’accès au
nirvâna
bouddhiste ou l’ascèse pratiquée par les mystiques soufis et
chrétiens. Pour les religions monothéistes les
justes rejoindront Dieu dans
l’au-delà après leur mort. Mais
selon le credo chrétien de
la résurrection des corps (ou de la chair) à la
fin des temps, c’est avec leur enveloppe charnelle qu’ils jouiront
de la vie éternelle. Outre son invraisemblance qui a donné lieu
à de nombreuses exégèses (ressusciterons –nous dans nos corps
d’adolescents, dans nos corps
décatis de vieillards si le sort nous a
prêté longue vie, ou dans nos corps
spirituels ?) cette croyance n’est-elle pas contraire
à la conception de l’âme, dotée
seule de l’immortalité et d’une
étincelle divine ? Et que dire de la description coranique d’un paradis idyllique où les
combattants pour la foi seront
accueillis par des houris vierges et lascives ? Il faut sans doute situer ces deux visions dans le contexte des époques crédules où elles
ont été formulées. C’est le cas
particulièrement de celle du Coran qui
est typique des sociétés patriarcales où la femme est
tenue pour une créature inférieure.
A
quel moment l’espèce homo a-t-elle été pourvue d’une âme immortelle dont ses
ancêtres singes étaient privés ? Nous savons aujourd’hui, que la forme supérieure de conscience dont l’homme est doté est l’aboutissement
d’une longue évolution qui a pour origine les particules élémentaire
issues du « big bang ». Cela pose la question fondamentale de la
relation entre le corps humain, en particulier le cerveau, et l’esprit au sujet de laquelle s’opposent
d’une part le dualisme et le monisme et
d’autre part l’idéalisme et le
matérialisme philosophiques. Pour les
philosophes matérialistes l’esprit n’est autre qu’un processus physique. Tandis
que dans Matière et esprit, Henri
Bergson soutient une conception dualiste
de l’être : l’esprit existe par lui-même. Ce n’est pas un produit de
l’activité biologique du cerveau. Théorie qui sera démentie par la neuroscience
selon laquelle la distinction entre matière et esprit est moins nette qu’on ne
pensait.
Après
la mort nos atomes s’éparpillent dans l’univers, pour se réincarner à l’infini,
dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou moins solides, plus ou
moins éthérés. La théorie
hindouiste de la métempsychose serait-elle
pour autant moins invraisemblable que la
vision judéo-chrétienne de l’au de-là ? Les atomes sont éternels, mais cela veut-il dire que notre identité survive
indéfiniment aux multiples
recompositions subies par les particules
qui furent notre moi ? Se
peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref
passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule de
matière disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines
vieilles demeures ?
Mai
2005