La poudrière du Proche-Orient
Le Proche-Orient est
une véritable poudrière. Cette expression fait référence à celle de «
poudrière des Balkans » présentée comme une des causes de
la Première Guerre mondiale, bien que celle-ci ait été
provoquée par le jeu des alliances et les rivalités des grandes puissances européennes instrumentalisant
les nationalismes des petites nations balkaniques. Une autre expression
empruntée à cette époque est celle de « balkanisation » pour désigner le risque de fragmentation de l’Irak, de la Syrie, et peut-être
d’autres pays de la région. Même si le scenario d’une nouvelle guerre mondiale
est à écarter, il existe des analogies entre les deux contextes : mêmes
interventions déstabilisatrices des grandes puissances, même
instrumentalisation politique du religieux et existence d’Etats à la fois en conflits entre eux et en proie à des contradictions internes. Peu
de régions au monde représentent aujourd’hui autant d’enjeux géostratégiques et
suscitent autant d’ingérences de la part des puissances internationales que le Proche-Orient. Un exemple de cet intérêt disproportionné par rapport à son poids au niveau mondial a été
les navettes d’Henri Kissinger entre les trois belligérants de la guerre
israélo-arabe de 1973 et l’implication inlassable de Washington en faveur d’un règlement
du conflit israélo-arabe qui semble plus hors d’atteinte que jamais.
Si la création d’Israël et les ressources
pétrolières de la région suscitant toutes les convoitises figurent parmi les
causes principales de l’instabilité et des violences qu’elle n’a cessé de connaître, celles-ci sont également dues à des facteurs endogènes, tels que la faillite des régimes
autoritaires arabes, la crise générale de l’islam, ou l’hétérogénéité
religieuse ou ethnique de pays comme le l’Irak, le Liban ou la Syrie. Et aucune région n’a été et ne
reste potentiellement l’épicentre d’autant de conflits explosifs : occupation
de la Cisjordanie, ambitions hégémoniques de la République islamique iranienne suscitant
l’hostilités des Etats-Unis, d’Israël et des pays arabes sunnites, résurgence
de l’antagonisme millénaire entre sunnite et chiite, montée du fanatisme
islamiste, apparition d’organisations jihadistes telles que Daech, menace
terroriste débordant largement la région, guerres « civiles » en Irak
et en Syrie impliquant les puissances régionales
et internationales, risque d’éclatement d’une nouvelle guerre, destructrice
pour le Liban, entre Israël et le Hezbollah, répercussion sur la Turquie de
l’émergence d’entités kurdes en Irak et en Syrie.
S’agissant des pays formant ce
qu’on appelait le « croissant fertile », la fabrication de cette nouvelle
poudrière remonte aux accords Sykes-Picot et surtout à la déclaration Balfour Si
l’on peut critiquer la manière dont la France et la Grande Bretagne s’en sont partagé
la mainmise et le tracé de leurs frontières, celles-ci ne sont pas avérées
aussi artificielles que ne le prétendent les nationalistes arabes. Ainsi se sont
développés entre temps des nationalismes irakien, syrien, libanais et
jordanien, et la responsabilité de l’implosion de l’Irak et de la Syrie ne
saurait être imputée aux anciennes puissances coloniales. Il n’en est pas de
même de la création d’Israël qui a non seulement été à l’origine de quatre
guerres israélo-arabes majeures (1948, 1956, 1967 et 1973) et de trois invasions
du Liban (1982, 1996 et 2006) et reste sans doute la cause principale de la
déstabilisation de la région. Ces guerres ainsi que la guerre dite civile du
Liban (1975-1989) n’ont toutefois pas débordé de la région ni menacé la paix
mondiale malgré la rivalité entre l’URSS et les Etats-Unis. Elles n’ont pas non
plus eut autant de répercussions sur l’Europe à travers le terrorisme et l’afflux
de migrants que celles qui font rage en Syrie et en Irak. On aurait même pu
espérer que le processus d’Oslo débouche sur une paix israélo arabe, mais celui-ci
n’a été qu’un leurre qui a permis à
l’État d’Israël de gagner du temps pour étendre la colonisation en Palestine. Le
blocage de ce processus est toutefois loin d’être la seule cause de l’explosion
de la poudrière proche-orientale. L’étincelle qui y a le plus contribué a été
l’invasion de l’Irak en 2003 par une coalition menée par les Etats-Unis. Outre
la désintégration de l’Irak, celle-ci a eut pour effet d’ouvrir un boulevard à l’Iran,
d’exacerber l’antagonisme chiito-sunnite et d’entraîner la naissance de Daech. Il
y a eut ensuite l’intervention militaire
occidentale aux effets catastrophiques en Libye. Puis a éclaté en 2012 la guerre en Syrie, sans
doute un des conflits les plus complexes de l’histoire de par le nombre de ses
protagonistes locaux, régionaux et internationaux et la multiplicité de ses
enjeux géostratégiques, confessionnels et pétroliers ; le pays se trouvant
au débouché des hydrocarbures du Golfe vers la Méditerranée et le seul point
d’ancrage de la Russie dans la région.
Aujourd’hui l’avenir des pays
arabes n’incitent guère à l’optimisme. Vieux de 70
ans le conflit israélo-palestinien égalera probablement la durée de la guerre
de Cent ans. Et l’antagonisme millénaire entre chiites et sunnites rallumé par le
déclenchement de la révolution islamique iranienne en 1979 n’est pas prêt de
s’éteindre. L’on peut aussi faire un parallèle historique entre la guerre de
Trente ans en Europe au XVIIe siècle et la guerre qui fait actuellement rage en Syrie,
tant au niveau de sa dimension confessionnelle, du nombre de protagonistes
locaux régionaux et internationaux aux prises et de sa durée probable. La prise
inéluctable de Raqqa après celle de Mossoul risquent d’être des victoires a la
Pyrrhus qui n’élimineront pas le danger terroriste et aliéneront d’avantage les
sunnites. Le Liban fait face à la menace existentielle
que fait peser sur son équilibre communautaire la présence d’un million et demi
de réfugiés syriens. Le nombre de chrétiens d’Orient se réduit
comme peau de chagrin. Les problèmes démographiques, économiques et
sécuritaires de l’Egypte soumise à une dictature militaire sont inextricables.
L’unité des pays arabes du Golfe vient de voler en éclat. Et la stabilité de
l’Arabie Saoudite risque d’être ébranlée par la chute du prix du pétrole et par
l’interventionnisme du nouveau prince héritier tranchant avec la politique
étrangère prudente du royaume. Le grand gagnant de ces bouleversements,
auxquels il n’est sans doute pas étranger, est Israël et dans une moindre
mesure l’Iran. Au point que la question
posée par une revue militaire n’est pas si une guerre menée par Israël avec
l’appui américain contre le Hezbollah donc
l’Iran éclatera mais quand.
Ibrahim Tabet