Wednesday, July 19, 2017

Liban – Syrie : « un seul peuple dans deux États »  ou deux frères ennemis ?

La question des relations libano-syriennes est revenue sur le devant de la scène avec le débat sur le retour dans des zones sécurisées en Syrie des réfugiés syriens  présents en masse au Liban. Une partie des Libanais prône  un dialogue concernant  ce problème  avec le gouvernement syrien et l’autre y est catégoriquement opposée. Ce clivage  recoupe  d’une part  celui  entre  pragmatistes  et  idéologues ( ou idéalistes),  et d’autre part  celui entre partisans  ou  adversaires du pouvoir syrien. Les premiers   estiment qu’il est irréaliste d’espérer  leur retour sans entamer des négociations avec Damas,  même  s’ils dénoncent les   exactions  du régime et  n’oublient pas son  rôle lors de l’occupation du Liban. Certains d’entre eux doutant  même de la capacité de l’ONU à l’assurer et des intentions de la soi-disant communauté internationale dont la priorité est d’endiguer l’afflux des migrants en Europe. Tandis que les seconds fondent leur opposition  sur des considérations morales  (dénonciation d’un « régime criminel »)  ou politiques.  C’est le cas du  camp  souverainiste qui redoute  que cela n’ouvre de nouveau la porte à  ses ingérences dans les affaires intérieures libanaises. Tandis que le «  8 mars »,  mené par le Hezbollah,  est  naturellement pour un dialogue, voire un rapprochement  avec Damas. L’ambassadeur de Syrie au Liban a d’ailleurs précisé   que la question du retour des réfugiés  devra être directement négociée avec le gouvernement syrien. La méfiance  de ses adversaires envers les visées hégémoniques de la  Syrie a été ravivée par la déclaration menaçante d’un  porte-parole de l’opposition syrienne selon laquelle le Liban est « une erreur géographique » et les  Libanais ne devraient pas oublier qu’il suffit que 10% des réfugiés syriens prennent les armes pour mettre leur pays à  feu et à  sang.  
L’âpreté de la controverse s’explique aussi par le facteur confessionnel. Bien qu’ils ne l’expriment pas ouvertement au nom du politiquement correct, les chrétiens qui considèrent la présence des réfugiés  syriens comme une menace existentielle,  et dans une moindre mesure  les chiites,  y sont le plus opposés tandis que les sunnites le sont beaucoup moins. Cela dit,  ils sont tous  conscients que ce retour n’est pas pour demain et qu’il dépend de facteurs  sur lesquels ils n’ont pas d’influence, comme le rythme de la reconstruction de la Syrie après l’arrêt  éventuel de la guerre et  l’instauration  hypothétique  d’un gouvernement  de transition ;  la volonté de retour des réfugiés  et celle de Bachar el  Assad  qui semble devoir rester  en place  à les y  encourager. En dépit de ses déclarations,  il est en effet permis d’en douter d’autant plus qu’il  a pratiqué des échanges de population et qu’il ne verra  sans doute pas d’un bon œil  l’arrivée de déplacés  ayant fuit la brutalité de sa répression et animés de rancune envers lui.       
Cette controverse et l’intervention militaire du Hezbollah aux côtés   du régime syrien montrent à   quel point le destin du Liban est étroitement lié  à  la Syrie.  Ce n’est pas nier  la spécificité  culturelle libanaise  par rapport à  sa voisine  que de reconnaître  que Hafez el Assad a eu en  partie raison de déclarer -   certes non sans arrières pensées d’Anschluss -   que  «  Libanais et Syrien  forment  un même peuple dans deuz États » . Si l’Histoire et l’aspiration libanaise à l’indépendance   a séparé les deux peuples, cette séparation est   largement fictive depuis  l’afflux d’un million et demi de réfugiés syriens au Liban dont  un nombre important s’est fondu dans la population locale.  Le tracé  des frontières entre les deux pays date des années 1920. Auparavant seul le Mont-Liban jouissait d’un statut autonome  reconnu internationalement, alors que les autres  régions  qui allaient former   le « Grand-Liban », y compris Beyrouth,   ainsi  que les vilayets syriens étaient directement gouvernées  par la Porte.  Trois développements importants ont eu lieux depuis lors : un renforcement  du  nationalisme libanais auquel s’est  ralliée  la frange irrédentiste de la population, notamment  sunnite ;  l’admission par la majorité des Maronites  de « l’arabité » du Liban,  concept  cependant maintenant pratiquement vidé  de son sens avec la  division du monde arabe et la montée des deux islamismes antagonistes, chiite et sunnite ; enfin la mise  au placard, du moins officiellement, par les autorités syriennes du  rêve de Grande-Syrie . Cela n’a pas empêché les relations entre les deux pays d’être la plupart du temps conflictuelles depuis leur accès à l’indépendance en 1944  et de constituer une pomme de discorde entre Libanais. Ce fut surtout le cas durant la guerre de quinze ans (1975-1989) suivie de l’occupation du Liban par la Syrie jusqu’en 2005. Les Libanais n’ont pas oublié  les atrocités commises par la soldatesque et les services de renseignement syriens,  y compris les   bombardements et les campagnes  terroristes  visant surtout les quartiers chrétiens,  ainsi que  l’assassinat des opposants  à leur tutelle, dont celui de Rafic Hariri. Mais  ils n’ont jamais fait d’amalgame entre le régime  et le peuple syrien, n’y éprouvé de haine envers ce dernier,  comparable à  celle des peuples soumis au joug de  l’occupation nazie. Et alors que les pays européens sont obsédés par l’afflux d’un nombre minime de  migrants au regard de  leurs populations et  de leurs ressources, le Liban a accueilli avec générosité  la proportion  la plus élevée au monde de réfugiés syriens   par rapport à  sa population et sa superficie.  Cependant le fardeau  sur l’économie  et la concurrence sur l’emploi qu’ils représentent, ainsi que  la menace sécuritaire qu’ils font  planer,  suscitent l’émergence d’une sourde hostilité, voire  de relents de  racisme à leur encontre. Il ne faudrait pas que ces sentiments ternissent l’amitié entre les deux peuples au delà  des  différents  entre les deux États.
  Ibrahim Tabet