Considérations
sur le mouvement des Gilets jaunes
Elu par défaut, Emmanuel Macron s’est positionné comme étant « en même
temps » de gauche et de droite mais a en réalité adopté une politique de droite. Il lui est également reproché sa suffisance et le fait de ne pas être à l’écoute des Français. Malgré son
impopularité record, il faut cependant reconnaître que c’est un des rares présidents depuis trente ans à avoir tenté, sans doute malhabilement et trop
rapidement, de faire passer des réformes indispensables au
redressement de la France. Acquis au libéralisme économique et européaniste convaincu , il a
choisi de privilégier une politique de l’offre favorable aux entreprises
et aux capitaux, supposée encourager les investissements, contribuer à résorber le chômage et améliorer la compétitivité de l’économie française. D’où des mesures comme la réforme du droit du travail,
la suppression de l’ISF (impôt sur la fortune) destinée à enrayer la fuite des
capitaux et l’adoption d’une flat taxe
pour les entreprises. Alors que, parallèlement,
les retraités et les classes moyennes et
populaires ont vu une dégradation de leur pouvoir d’achat et de certains services
publics. Ne pouvant encore augmenter le poids déjà insupportable des impôts et
taxes, le gouvernement a été
contraint de diminuer le nombre de
fonctionnaire et de rogner sur le niveau
insoutenable des prestations sociales. Des mesures aussi impopulaires l’une que
l’autre.
Le projet d’augmentation de la taxe sur les carburants, motivé par des
considérations écologiques (encourager la transition énergétique) a été
la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Exacerbant le
sentiment d’injustice d’une
majorité de la population et leur ressentiment envers un président soupçonné de
favoriser les plus riches et de
vouloir remettre en question le modèle social français, il est à l’origine du mouvement des Gilets jaunes. Malgré la tournure violente qu’il a prise, il continue de bénéficier
de l’approbation d’une majorité de Français. Mais
cela ne justifie nullement les
scènes de pillage et de destruction des
biens publics qui ont marqué les
manifestations et ne sont pas le seul fait des casseurs et des militants d’extrême
droite et d’extrême gauche. Particulièrement choquante a été la profanation, le 1er décembre
2018, du symbole national que représente l’Arc de
triomphe dont l’image a fait le tour du monde et a
gravement terni celle de la France à l’étranger. Tandis qu’une semaine après ce
samedi noir, Paris offrait l’aspect
désolant d’une ville en état de siège et de blindés stationnés sur les
Champs-Elysées.
Par delà le choc et l’incompréhension que suscite
cette quasi insurrection, il y a
deux choses plus
préoccupantes : le fait que, parmi
les peuples jouissant d’un niveau
et d’une qualité de vie comparable, les Français apparaissent comme les plus frondeurs, les plus insatisfaits de leur sort, les plus attachés à leurs droits acquis, les plus prompt à
manifester et les plus rétifs au
changement. Et le fait que la poursuite des réformes apparaisse comme définitivement compromise. Nul ne conteste le creusement des inégalités
lié à la globalisation financière qui n’est d’ailleurs pas le propre de la France. La
mondialisation et la
libéralisation des échanges ont également
favorisé la croissance économique de
l’Asie au détriment de l’Occident, entrainant la révolte des classes moyennes
et populaires occidentales contre les classes supérieures globalisées.
Confronté aux revendications aussi excessives et disparates soient elles des Gilets jaunes dont l’aile la plus dure a été jusqu'à réclamer la démission du président et
la dissolution de l’Assemblée, et alors
qu’il est l’objet d’une
haine viscérale et irrationnelle, M.
Macron a fait face à des choix politiques et économiques qui s’apparentent
à la quadrature du cercle. Malgré
sa volonté affichée de « tenir le cap », il a été contraint d’annuler l’application du décret sur l’augmentation de
la taxe sur les carburants et de décider
certaines mesures en faveur du pouvoir
d’achat. Trop tard et trop peu clame l’opposition et la majorité du mouvement des
Gilets jaunes qui ne dispose par ailleurs pas de représentants attitrés avec qui il est possible de
dialoguer. Outre qu’elles contreviennent à la règle européenne de plafonnement du
déficit public à 3% du PIB, ces mesures reviennent à renoncer à lutter contre la crise de la
dette et du déficit public, alors que la
France est le pays dont le taux des dépenses publiques,
y compris et surtout les dépenses sociales, par rapport
au PIB est le plus élevé du monde. A
cela s’ajoute les pertes subies par l’économie françaises et le fait que l’autorité du président de la
République au niveau local et
international ait été sérieusement entamée.
Davantage que la plus grave crise du
quinquennat et que celle du modèle
français, cette crise reflète celle que traversent tous
les gouvernements européens. Confrontés
à la
montée des mouvements populistes
tentés par le protectionnisme, leur marge
de manœuvre est réduite face à la globalisation des
marchés des capitaux des biens et des services et aux contraintes d’austérité posées par Bruxelles et la monnaie unique. Si les revendications des Gilets
jaunes peuvent paraître légitimes,
leur application ne pourra se faire sans une remise en cause du fonctionnement
de l'Union européenne. Or en l'état actuel des traités, les États membres ne
peuvent plus mener de politiques économiques et commerciales souveraines. On assiste peut-être aujourd'hui à la fin d’un
mythe d’un rêve et d’une ère. Le mythe des vertus de l’ultralibéralisme. Le
rêve entretenu par Emmanuel Macon d’une
Europe unie allant vers une intégration plus poussée. Et l’ère de la domination
économique et technologique de l’Occident rattrapé et bientôt dépassé par l’Asie. Quoi qu’il en soit son autorité au niveau local et international
a été sérieusement ébréchée et les pertes
subies par l’économie française et à venir
sont considérables.
Ibrahim Tabet