Sunday, January 27, 2019


Considérations sur le mouvement des Gilets jaunes  
   Elu par défaut,  Emmanuel  Macron  s’est positionné comme étant « en même temps » de gauche et de droite mais a en réalité  adopté une politique  de droite.   Il lui est également  reproché sa suffisance et le  fait de ne pas être à l’écoute   des Français. Malgré   son impopularité record,  il faut   cependant reconnaître que c’est un des rares   présidents  depuis trente ans à avoir   tenté, sans doute malhabilement et trop rapidement,   de  faire passer des réformes indispensables au redressement de la France.  Acquis  au libéralisme économique et européaniste   convaincu ,   il a choisi de privilégier une politique  de  l’offre favorable  aux  entreprises et aux capitaux,   supposée  encourager les investissements,  contribuer  à résorber le chômage et   améliorer   la compétitivité de l’économie française. D’   des  mesures comme la réforme du droit du travail, la suppression de l’ISF (impôt sur la fortune) destinée à enrayer la fuite des capitaux  et l’adoption d’une flat taxe pour les entreprises.  Alors que, parallèlement, les retraités et  les classes moyennes et populaires ont  vu  une dégradation de leur  pouvoir d’achat et de certains services publics. Ne pouvant   encore augmenter  le poids déjà insupportable des impôts et taxes,  le gouvernement   a   été contraint   de diminuer le nombre de fonctionnaire  et de rogner sur le niveau  insoutenable  des prestations sociales.  Des mesures aussi impopulaires l’une que l’autre.
   Le projet d’augmentation de la taxe  sur les carburants, motivé par des considérations écologiques   (encourager la transition énergétique)   a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Exacerbant  le  sentiment d’injustice  d’une majorité de la population et leur ressentiment envers un  président  soupçonné de  favoriser les plus riches et  de vouloir remettre en question le modèle social français,  il est à  l’origine du  mouvement des Gilets jaunes.   Malgré  la tournure violente  qu’il a prise, il continue de bénéficier de    l’approbation d’une majorité de Français. Mais  cela ne justifie nullement   les scènes de   pillage et de destruction des biens publics  qui ont marqué les manifestations et   ne sont pas le seul  fait des casseurs et des militants d’extrême droite et d’extrême gauche. Particulièrement choquante a été  la profanation, le 1er décembre 2018,   du symbole national que représente l’Arc de triomphe dont l’image a fait le tour du monde  et  a gravement terni celle de la France à l’étranger. Tandis qu’une semaine après ce samedi noir,  Paris offrait l’aspect désolant d’une ville en état de siège et de blindés stationnés sur les Champs-Elysées.
   Par delà le choc et l’incompréhension que suscite  cette quasi insurrection,  il y a   deux  choses  plus préoccupantes  :   le  fait que,  parmi  les peuples  jouissant d’un niveau et d’une qualité de vie comparable, les Français apparaissent comme les  plus frondeurs,  les plus insatisfaits de leur sort,  les plus attachés à  leurs droits acquis, les plus prompt à manifester  et les plus rétifs au changement.   Et le fait que  la poursuite des réformes  apparaisse  comme  définitivement compromise.  Nul ne conteste le creusement des  inégalités  lié à la globalisation financière qui n’est  d’ailleurs pas le propre de   la France. La  mondialisation et  la libéralisation des échanges  ont également favorisé la croissance  économique de l’Asie au détriment de l’Occident, entrainant la révolte des classes moyennes et populaires occidentales contre les classes supérieures globalisées.
   Confronté aux revendications  aussi excessives et disparates soient elles  des Gilets jaunes   dont l’aile la plus dure a été  jusqu'à réclamer la démission du président et la dissolution de l’Assemblée,   et alors  qu’il est l’objet d’une haine viscérale et irrationnelle,  M. Macron  a fait    face  à des choix politiques  et économiques qui  s’apparentent  à la quadrature du cercle.  Malgré sa volonté affichée de « tenir le cap », il  a été contraint d’annuler  l’application du décret sur l’augmentation de la taxe sur les carburants  et de décider   certaines mesures en faveur du pouvoir d’achat. Trop  tard et trop peu clame  l’opposition et la majorité du mouvement des Gilets jaunes  qui ne  dispose par ailleurs pas de représentants  attitrés avec qui il est possible de dialoguer. Outre qu’elles contreviennent à  la règle européenne de plafonnement du déficit public  à  3% du PIB,   ces mesures reviennent  à renoncer à lutter contre la crise de la dette et du déficit  public, alors que   la France  est  le pays dont le taux des dépenses publiques, y compris  et surtout les  dépenses sociales, par   rapport au PIB  est le plus élevé du monde. A cela s’ajoute les pertes subies par l’économie françaises  et le fait que l’autorité du président de la République au niveau local  et international ait été sérieusement entamée.   
   Davantage que la plus grave crise du quinquennat et  que celle du modèle français, cette crise reflète celle que traversent   tous  les gouvernements européens.     Confrontés  à   la  montée des mouvements  populistes tentés par le protectionnisme, leur marge  de manœuvre  est réduite  face  à  la globalisation des marchés des capitaux des biens et des services et  aux contraintes  d’austérité posées par Bruxelles et  la monnaie unique.  Si les revendications des Gilets jaunes peuvent paraître   légitimes, leur application ne pourra se faire sans une remise en cause du fonctionnement de l'Union européenne. Or en l'état actuel des traités, les États membres ne peuvent plus mener de politiques économiques et commerciales souveraines. On assiste  peut-être aujourd'hui à la fin d’un mythe  d’un rêve et d’une ère.   Le mythe des vertus de l’ultralibéralisme. Le rêve entretenu  par Emmanuel Macon d’une Europe unie allant vers une intégration plus poussée. Et l’ère de la domination économique et technologique de l’Occident rattrapé  et bientôt dépassé par l’Asie. Quoi qu’il en soit  son autorité au niveau local et international a été sérieusement ébréchée et les pertes  subies par  l’économie française  et à  venir  sont considérables.

Ibrahim Tabet