Pour une renaissance francophone.
La tenue
en octobre du salon du livre francophone
de Beyrouth illustre la vitalité de la Francophonie au Liban, bien que les
motifs de préoccupation concernant son avenir ne manquent malheureusement pas. Le
dernier en date est le choix, dénoncé
par Sibylle Rizk, d’exclure le français de la signalétique du musée Sursock qui est
exclusivement en arabe et en anglais. L’occultation , délibérée ou non,
par la municipalité de Beyrouth
et Solidere du patrimoine et de la mémoire culturelle de la ville s’est a aussi manifestée quand la baie du Saint-
Georges a été rebaptisée de l’affreux
nom de « Zaitouna bay ». Quant
à la domination par l’anglais du monde
économique et des affaires, elle est presque totale. Qu’il s’agisse de la communication interne ou
de la correspondance des entreprises. Des enseignes de magasins et des marques commerciales. Des banques, dont plusieurs ont anglicisé
leur nom à
l’instar de la banque de la Méditerranée
devenue Bank Med. Ou enfin des
campagnes de publicité où
l’anglais supplante le français même dans la presse locale
d’expression française. Je n’ai rien
contre la pratique de l’anglais devenu
la langue de communication internationale. Mais ce n’est pour
moi qu’une langue outil
contrairement au français, qui
est ma langue maternelle et de culture.
Il y a quelques jours Jacques Séguéla en
visite au Liban a exprimé sa confiance
dans l’avenir de la francophonie lié d’après lui à deux facteurs. La vitalité démographique de la France dont la population dépassera celle de
l’Allemagne d’ici vingt ans. Et la croissance
extrêmement rapide de la population de l’Afrique qui compte déjà le plus grand nombre de francophones
dans le monde. Son charisme et son enthousiasme communicatif m’ont rappelé mes débuts dans la publicité au sein d’une
agence appartenant à son groupe, quand
il pourfendait l’hégémonie mondiale de la
culture de masse américaine qualifiée pas lui de «
cocacolonisation ». Le virus qu’il
m’a inoculé m’a conduit à militer au sein de l’Association des Publicitaires Francophones
puis du Forum Francophone des affaires. Et j’ai été nommé récemment à la tête
de la délégation de la Renaissance Française au Liban. Fondée en 1915 par Raymond Poincaré, président de la République à l’époque, cette organisation dont la devise est « Culture, Solidarité,
Francophonie » a pour mission
de participer, dans un esprit de partage
et de dialogue, au rayonnement de la langue française, de la culture française
et francophone, et des valeurs de la francophonie dans le monde.
Une table
ronde sur la littérature francophone
organisée à Paris par cette association
m’a donné l’occasion d’exprimer ma confiance à propos de la résilience de la francophonie libanaise. Rappelant
que l’histoire
du Liban a toujours été placée
sous le signe du multilinguisme et du multiculturalisme, j’ai souligné que son cas
au sein de la communauté des pays francophones est unique.
L’introduction du français qui date du XIXe siècle n’y est
pas liée à la domination coloniale mais s’est faite à travers les missions
catholiques accueillies à bras ouverts par les chrétiens d’Orient en
particulier les Maronites. Les gouvernements français successifs qui font
de la promotion de la langue et de la culture française un vecteur essentiel
d’influence ne manquent pas de soutenir leur action éducative même au plus fort
de la vague anticléricale sous la Troisième République. A l’époque, c’est surtout
les chrétiens qui en
bénéficient ; et certains d’entre
eux y voient un des fondements de l’identité culturelle du Liban et de sa spécificité face à son environnement. Ce courant de
pensée est représenté dans l’entre deux
guerres mondiales par la
« Revue phénicienne »
fondée par Charles Corm. Son ouvrage majeur
est « La Montagne inspirée »,
épopée qui défend en vers alexandrins avec des accents barrésiens l’idée que les racines de la nation libanaise
sont bien antérieures à son arabisation et remontent aux Phéniciens.
Pour le père Selim Abou ancien recteur de
l’USJ : « les Libanais peuvent être trilingues. Mais ce qui a
contribué à forger leur identité nationale, c’est le français dans sa
conjonction étroite avec l’arabe. Aux côtés de l’arabe, langue
nationale du pays, le français est vécu non seulement comme une langue de communication,
mais comme une langue de formation et de culture à portée identitaire. » Aujourd’hui La pratique du français
est moins liée à des facteurs
confessionnels que
socio-économiques. Si les chrétiens sont majoritairement francophones, alors que les
musulmans sont plutôt anglophones, cette différence tend à s’estomper. Et bien que l’anglais domine la sphère des affaires, des
medias audiovisuels, de la toile de la publicité, le français conserve ses bastions
traditionnels, à savoir l’enseignement,
et le livre ainsi que la culture dite classique. La presse locale d’expression française jouit
d’une diffusion et d’une part du marché publicitaire très largement supérieur à
celles des titres anglophones. Et, « L’Orient- Le Jour » compte
même un supplément
mensuel consacre a la littérature
française : « l’Orient
Littéraire ». L’édition locale de livres en français est en progression.
Et la liste des auteurs libanais ou
d’origine libanaise francophones s’enrichit chaque année de nouveaux noms, même
si tous ne sont pas aussi connus par le public français que des auteurs comme
Amine Maalouf, prix Goncourt et membre de l’Académie française. Cette vitalité témoigne non seulement de l’enracinement profond mais d’une certaine
renaissance de la francophonie au Liban. Et le
succès de l’ESA montre qu’il y a une place pour un enseignement supérieur d’excellence du management en
français. Il
n’y a donc aucun risque que le français ne connaisse un jour le même sort qu’en Égypte qui
comptait-il y a une génération à peine, un nombre important de francophones.
Ibrahim Tabet