Sunday, October 30, 2016

« Pourquoi y-a-t-il chose plutôt que rien ? » (Leibniz)

Dès l’Antiquité les religions ont développé des cosmogonies (systèmes mythiques d’explication de la naissance de lunivers). Dans la plupart d’entre elles  quelque chose existe avant même l’apparition des dieux, dans un état précédant le déploiement du temps et de l’espace. Cette unité primordiale, contenant en germe l’histoire de l’univers prend des formes différentes selon les mythologies. L’idée d’une création à partir du néant leur était étrangère. À la suite des Sumériens, les Babyloniens pensaient que des eaux primordiales, à l’image des marais de Mésopotamie, existaient de toute éternité avant la création de l’univers. L’Enuma Elish, (« le poème de la création ») décrit les origines du cosmos, les combats des premiers dieux contre les forces du chaos et la création par Mardouk, du monde et de l'homme. Le récit biblique est le premier à décrire la création par Dieu « ex nihilo » de l’univers considéré  cependant comme immuable Autrement plus proche de la  cosmologie moderne est d’après Hubert Reeves  la vision hindoue de la formation et de l’évolution de l’univers.   Incarnation de l’éternelle énergie cosmique,  le dieu Shiva a entre autres  attributs une langue de feu, et un tambourin,  représentant  la  musique,  symbole  de  l’harmonie  des  lois  de  la nature.  « Flamme et musique, écrit-il  dans « Patience dans l’azur » sont les deux pôles du Cosmos. À l’origine est le règne absolu de la flamme. Le feu s’abaisse. La matière  s’éveille et s’organise. La flamme fait place à la musique. Ainsi en  enchainant  depuis  le  « Big Bang » les  évolutions, nucléaire, chimique, biologique et anthropologique, on reconstitue l’odyssée de l’univers qui a finalement accouché de la conscience ». Élabo au IIIe  siècle, la doctrine maniciste part de la contradiction entre l’idée d’un Dieu infiniment bon et tout puissant, créateur de toute chose, et l’existence du mal. Et au Moyen Age Thomas d’Aquin entreprend de démontrer  qu’il y a nécessairement une  « Cause Première » à tout, c’est Dieu.
Au XVIIIe siècle tout  en admettant l’idée d’un créateur, Kant refusait de lui attribuer  les phénomènes  dépassant notre connaissance.  Hume  réfute l’argument consistant à prouver l’existence de Dieu par l’ordre de l’univers.  Et Laplace,  éjecta Dieu de la physique. Quand Napoléon lui demanda quel était le rôle de Dieu dans sa description du système solaire, il lui répondit simplement : « Je n’avais pas besoin de cette hypothèse-là. Au XIXe siècle, l’athéisme occupe de plus en plus le devant de la scène des idées. Nietzche, Feuerbach, Marx, Darwin et Freud développèrent des interprétations de la réalité où  Dieu n’avait pas de place. Et Max Weber fera de l’histoire de l’Occident moderne celle du « désenchantement du monde », de la sortie du monde magique de la religion. Il souligne l’importance du processus de rationalisation  caractérisé par la disparition de la croyance irrationnelle dans l’action de Dieu dans le monde.
Y-a-t-il une cause première et une fin dernière ? Un dessein cosmique qui aurait une fin éthique ? Ce sont les questions auxquelles tendent de répondre, la gnose,  la  métaphysique et  l’ontologie. Elle a donné lieu à trois formes de réponses : panthéiste, émergente et théiste. Pour le panthéisme, l’Être suprême n’est autre chose que l’univers. D’après la théorie émergente rien dans l’univers ne prévoit un stade futur, mais une naissance de formes de plus en plus évoluées.  Pour le   théisme,  l’Être suprême est extérieur à l’univers qu’il a crée pour le bien. Qui est cet « Être » que les Francs-maçons  appelaient le « Grand Architecte » de l’univers ? Pour les trois monothéismes,  il ne peut s’agir que de Dieu. Et  nombre de philosophes, même athées ou agnostiques, estiment qu’il existe probablement une intelligence suprême derrière la création. Pour eux  l’évolution de l’univers, ainsi que la montée de la complexité  ne saurait être uniquement le fruit du hasard. C’est le cas des frères Bogdanov qui  affirment que la constante cosmologique qui accélère le développement de l’espace-temps est trop bien réglée à 120 décimales derrière la virgule pour être le fruit du hasard,  et qu’une intelligence devait nécessairement être impliquée pour produire l’extraordinaire complexité du code génétique inscrit dans l’ADN. Mais leurs  thèses sont contestées par la communauté scientifique. Il en est de même de la thèse du dessein intelligent (« Intelligence design ») qui constitue une version pseudo-scientifique du créationnisme.
La science, elle, ne s’occupe que du « comment » et n’a rien à dire sur le « pourquoi  » qui ne relève pas de sa compétence.  Ce qui n’a pas empêché  des scientifiques chrétiens, comme le père Teilhard de Chardin, de tenter de  démontrer la compatibilité entre les théories modernes de l’évolution du cosmos et la foi. D’autres scientifiques n’écartent pas le principe anthropique selon lequel l’univers a été conçu dès le départ pour favoriser le développement de la vie et du cerveau humain.
« La physique quantique a montré qu’au niveau subatomique, l’univers ressemblait plus à une vaste pensée qu’à une immense machine. Sa réalité fondamentale sous-jacente est celle d’un champ immatériel doté d’intelligence et d’une certaine « liberté » La science moderne,  tend ainsi  à revenir aux intuitions de l’ancienne théosophie et à donner raison au monisme contre le dualisme  affirmant la séparation entre l’esprit et la matière, puisqu’il s’avère que fondamentalement, espace et temps, matière, énergie et esprit ne font qu’un . » Assistera-t-on pour autant à une réconciliation entre la science et la religion ?  Pour Bertrand Russel et Luc Ferry, il ne faut pas  mélanger la  théologie et  la science. Ils  ne contestent pas l’existence d’un « antihasard » dans l’univers.  Mais cela ne prouve pas à leurs yeux l’existence d’un démiurge créateur du monde et encore moins que celui-ci ne se confonde avec le Dieu bon des trois religions monothéistes. Pour Stephen Hawkins par contre les chercheurs doivent non seulement répondre à la question « Comment l'Univers évolue? » mais aussi à celle-ci: «Pourquoi il y a un Univers? » Cela dit, il affirme qu’il est inutile d’imaginer un plan, un dessein, un créateur derrière la nature. La science explique bel et bien à elle seule les mystères de l’univers tel qu'on le connaît à supposer qu’il n’existe pas d’autres univers.
 Ibrahim Tabet


Thursday, October 6, 2016

Le nouveau tsar,  l’Occident et l’islamisme


Les interventions militaires de Moscou en Ukraine et en Syrie doivent être replacées dans le contexte historique des rapports entre l’orthodoxie d’un côté, et le catholicisme et l’islam de l’autre. Et elles montrent que la confrontation entre la Russie et les puissances occidentales regroupées au sein de l’OTAN n’a pas pris fin avec la chute de l’URSS. Avant le schisme entre l’orthodoxie et la catholicité en 1054, la foi orthodoxe constituait, depuis le baptême du prince Vladimir de Kiev en 988, une partie intégrante de l’identité russe et fut la force qui modela et unifia la nation. Elle joua un rôle mobilisateur dans la lutte que mena le peuple russe pour se libérer du joug que les   Tatars musulmans de la Horde d’Or lui avaient fait subir entre le treizième et le quatorzième siècle. La croisade des chevaliers Teutoniques, battus par saint Alexandre Nevski (1242), aggrava l’antagonisme entre le christianisme occidental et l’orthodoxie russe qui perdure jusqu'à nos jours. Au cours du XIVe et du XVe siècle, Polonais et Lituaniens catholiques avaient dominé les confins occidentaux du domaine originel de la société orthodoxe russe. C’est de cette époque que date le clivage existant en Ukraine entre une partie occidentale partiellement catholique et tournée vers l’Occident et une partie orientale russophone et russophile. Après la chute de Constantinople en 1453, le flambeau de l’orthodoxie fut relevé par la « sainte Russie ». Les théologiens russes élaborèrent une théorie qui faisait du tsar le chef et le défenseur de la religion orthodoxe. Pour eux, Dieu avait puni Constantinople pour avoir accepté, au Concile de Florence, en 1439, l’acte d’union qui reconnaissait la suprématie du pape sur l’Église tout entière. Et sa chute faisait de l’Église orthodoxe russe celle de la troisième Rome. Le sentiment national en formation repose désormais sur l’identité entre Russe et orthodoxeLes réformes du patriarche Nikon (1652 -1666) suscitent l’opposition des tenants de la dévotion traditionnelle, ou Vieux-croyants qui rejettent l’occidentalisation qui gagne les élites à partir du règne de Pierre le Grand, dénoncée également par les slavophiles. Durant le XIXe siècle les tsars s’érigent en protecteurs des sujets orthodoxes de l’Empire ottoman et des Lieux saints de Jérusalem et de Bethlehem que se disputaient religieux orthodoxes et catholiques protégés par la France. Querelle qui fut le prétexte, en 1860, de la guerre de Crimée. Celle-ci, et surtout la défense héroïque de la Crimée  par l’armée rouge contre l’envahisseur allemand lors de la Seconde guerre mondiale, restent  gravées dans la mémoire collective des Russes. Elle explique leur attachement à cette terre russe cédée à l’Ukraine par Khrouchtchev du temps cette dernière faisait partie de l’URSS. A partir du XVIe siècle Moscou étendit progressivement sa domination aux peuples musulmans d’Asie centrale et du Caucase qui l’avaient autrefois vassalisé, et la guerre sans merci que l’Empire russe mena contre la résistance de ces derniers au XIXe siècle reprit en Tchétchénie après la chute de l’URSS. Cela n’empêche pas le Kremlin de cultiver ses relations avec les 20 millions de musulmans  que compte la Fédérations de Russie, notamment à travers un contrôle étroit de son clergé.     

 Aujourd’hui les dirigeants politiques russes sont uniformément respectueux de la religion soutenue par le gouvernement. Dans le pacte tacite entre le président Poutine et l’Église orthodoxe, l’orthodoxie sert de fondement permettant de s’opposer à l’Occident, dont le président et le patriarche dénoncent de concert les dérives cosmopolites et libertaires. Tandis que les médias russes entretiennent un discours apocalyptique sur la décadence de l’Europe envahie par des « hordes d’immigrants ». Embrasser la foi orthodoxe est pour le Kremlin une source d’influence à l’étranger. L’orthodoxie constitue un élément essentiel de la stratégie de Vladimir Poutine et de sa vision du rôle de la Russie dans le monde. Afin d’affirmer ce lien, il a effectué en 2005 une visite hautement symbolique au Mont Athos. En rendant hommage à un des lieux les plus sacré du monde orthodoxe, il s’est posé en défenseur de la foi orthodoxe. Rôle qu’avaient joué autrefois les tsars, et dont ils s’étaient prévalus lors de leurs guerres contre l’Empire ottoman et de leurs interventions en faveur des chrétiens des Balkans et du Levant. D’ailleurs un des motifs légitimant, aux yeux du patriarcat de Moscou, l’intervention militaire russe en Syrie est la défense de sa minorité chrétienne, face au « fanatisme » islamiste ; perception qui vaut aujourd’hui à la Russie un regain de popularité parmi les chrétiens d’Orient. Cela étant dit, cette considération est secondaire par rapport aux  objectifs  géopolitiques infiniment plus importants pour Vladimir Poutine. La menace que ferait peser l’islamisme radical sur la Fédération de Russie, justifiant une lutte tous azimuts contre les  jihadistes qui ont commis plusieurs attentats terroristes sur son sol. La volonté de redonner à la Russie un statut de grande puissance de premier plan en s’assurant d’une base en Méditerranée orientale. Celle   de contrer l’acharnement américain à la pousser dans ses derniers retranchements, illustré par l’avancée de l’OTAN jusqu'à ses portes en dépit des engagements pris lors de l’unification  allemande. Sans oublier les considérations économiques, la Syrie étant à la fois un passage  obligé pour les oléoducs transportant le pétrole du Golfe vers la Méditerranée et un pays potentiellement producteur de gaz offshore. Rien n’illustre mieux la politique d’encerclement de la Russie poursuivie par Washington que la crise en Ukraine, en partie alimentée par ses  services de renseignement, mais aussi par l’offre  inconsidérée des Européens à Kiev  d’association à l’UE. Il est d’ailleurs symptomatique que plusieurs responsables européens s’élèvent contre l’ostracisme pratiqué envers la Russie qui dessert les intérêts de l’Europe. Et que la question de « l’annexion » de la Crimée et du contrôle russe du Donbass soit passée au second plan des préoccupations de l’Alliance atlantique.


Ibrahim Tabet, octobre 2016