Sunday, January 9, 2022

 

 

                                                     

Pour une renaissance Française

  Justifié ou non, il existe aujourd’hui un sentiment de déclin de la France. Partagé par  une frange de l’opinion ainsi que des personnalités politiques et des intellectuels  comme Marine Le Pen, Philippe de Villiers, Michel Onfray ou Éric Zemmour, il se traduit par la progression de ce dernier dans les sondages, une droitisation de l’électorat et l’écho rencontré par les chantres du souverainisme et du conservatisme moral représenté par « La Manif pour tous ». Amplement relayé sur les réseaux  sociaux,  il a fait l’objet de nombreux ouvrages et articles, dont un dossier dans « Le Point » ayant pour titre de couverture : « Peut-on (encore) éviter le déclin ?1 ». A l’heure où l’on commémore le cinquantième anniversaire de la disparition du général de Gaulle, les années où,  pénétré du sentiment de la grandeur de la France, il présidait au destin du pays et les trente glorieuses ne sont plus qu’un lointain souvenir. Oubliée egalement l’époque il pouvait affirmer : «  La République est laïque, mais la France est chrétienne ».

  La France traverse depuis des années une crise multiforme, économique, sociale, sociétale et morale. Elle s’exprime de différentes manières: Qu’il s’agisse  du recul de l’autorité de l’État et au sein de la famille et de l’école. De l’existence de zones de  non-droit. Du problème de l’immigration africaine et maghrébine qui a dépassé le  seuil de tolérance. De la désindustrialisation entraînant  un chômage structurel. Du  décrochage économique de la France par rapport à l’Allemagne et aux pays du nord de l’Europe, causé en partie par le poids excessif des dépenses publiques. Enfin du « séparatisme musulman » (euphémisme forgé  par Emmanuel Macron) et du  mouvement des Gilets jaunes qui révèlent la profondeur des clivages de la société française.  Le modèle social français est à bout de souffle. D’un côté, les inégalités de richesse se creusent de plus en plus, entraînant  un sentiment de déclassement de  la part de beaucoup de  Français  appartenant aux classes moyennes et populaires et aux régions périphériques ; de l’autre, une mentalité d’assisté leur ayant valu d’être qualifiés de « Gaulois réfractaires » par Emanuel Macron entrave toute velléité de réforme de l’État providence.

 

  La chronique annoncée par Oswald Spengler du déclin de l’Occident est un thème récurrent et ses nouveaux cassandres dénoncent l’anémie des valeurs fondatrices de la civilisation occidentale. C’est le cas de Michel Onfray qui, dans Décadence2, retrace la naissance, la croissance puis la sénescence de la civilisation judéo-chrétienne, décrit le relâchement moral affligeant l’Occident et prédit un sombre avenir à la France et à l’Europe. Et d’Éric Zemmour qui, dans Le suicide français3, analyse la perte de valeurs qui caractérise la France depuis mai 68, stigmatise l’islamo-gauchisme et,  surfant sur la crainte du péril islamiste et du « grand remplacement » prédit que la France risque de connaitre le sort du Liban.

 

 

Désenchantement et relativisme culturel et moral

 

  Les grandes idéologies laïques de salut ici-bas (nationalisme, libéralisme, socialisme, communisme) dont la naissance a autrefois été favorisée par « la mort de Dieu » sont moribondes ou, comme le communisme, ont rejoint Dieu dans la tombe, créant un vide de sens au sein de la société de consommation occidentale.  Le relativisme culturel et moral, la théorie du genre et la légalisation du mariage pour tous, bien que pouvant passer pour des signes d’humanisme et de tolérance, sapent en réalité les fondations de la société occidentale. « Nous ne sommes pas, d’après Onfray, devant une négation critique des valeurs établies mais devant leur dissolution dans une indifférence passive4 ». 

   Le désenchantement à l’égard des idéologies et le déclin du nationalisme, ou plutôt l’apparition en Europe d’un nationalisme apaisé qui  s’inscrit dans « l’air du temps »  se caractérise par le relativisme où, parmi ses manifestations, aucune hiérarchie n’est maintenant admise entre les cultures. Où ce n’est plus son héritage et son identité que l’Europe met en avant, ce sont ses valeurs de respect, de tolérance et d’ouverture, au risque de voir les fondements de sa civilisation menacés par les migrants. Et où la dénonciation du colonialisme, de l’antisémitisme et de l’islamophobie verse parfois dans un sentiment de repentance et de culpabilisation.

   On dirait que le complexe de supériorité de « l’homme blanc » a fait place aujourd’hui à un sentiment de honte envers lui-même et son histoire. J’en veux pour exemples la déclaration d’Emmanuel Macron en visite en Algérie selon laquelle « la colonisation est un « crime contre l’humanité »  et son intention de « déconstruire l’histoire de France » !  On peut se demander si  ce syndrome d’auto-flagellation et de repentance envers son héritage historique et son passé colonial est un signe de bonne santé morale

  Le vide de sens et l’effondrement de la morale religieuse au sein des sociétés libérales postmodernes se traduisent par un individualisme, un hédonisme, une permissivité et un matérialisme qui exercent un effet corrosif sur les valeurs qui fondaient la vie familiale et en société. Pour le courant philosophique déconstructiviste, toute norme sociale est construite, la loi naturelle n’existe pas. Puisque tout est construit et qu’il n’y a ni bien ni mal, aucune barrière ne se justifie devant les pulsions du désir. Cette idéologie a prospéré dans le nihilisme consumériste qui a donné naissance à la théorie du genre et à la légalisation de l’avortement, mesure fondamentale qui a fissuré la famille et défini le bonheur individuel comme norme absolue. Le PACS fut le second coup porté à la famille, avant le mariage homosexuel, la PMA et bientôt la GPA. L’on peut se demander si des lois comme celle légalisant l’adoption d’enfants par des couples du même sexe constituent une avancée des libertés ou une dérive libertaire. Pour Philippe de Villiers : « l’autorité, l’identité, la souveraineté se sont écroulés. La cancel culture, le radicalisme, l’indigénisme désignent une colonisation de peuplement avec un différentiel démographique défavorable et une colonisation des esprits5. »   .   

 

Le virus du communautarisme

 

 Alors que la République française considère que le communautarisme est une idéologie pernicieuse et  ne reconnaît que les individus, elle se heurte de plus en plus à des revendications particularistes de la part de milieux islamistes gagnés par la propagande salafiste, contraignant certains édiles à la « soumission » à leurs exigences.  Certains d’entre eux  allant même jusqu'à bannir les symboles chrétiens des espaces et des lieux publics. Alors  que le modèle français a réussi à assimiler les vagues successives d’immigrés chrétiens  ou  d’origine européenne partageant les mêmes valeurs, il peine à le faire avec les musulmans. Bien qu’une majorité d’entre eux se soit intégrée, une partie, surtout parmi la jeunesse des banlieues, s’estimant défavorisée, ne l’est pas, ou plutôt refuse de l’être. Des communes de certains départements ont été ainsi qualifiées de « territoires perdus de la République ». Des bandes de casseurs expriment leurs frustrations et leur rancœur envers l’ancienne puissance coloniale en saccageant des commerces et en brûlant des voitures.  L’image de la profanation de l’Arc de triomphe par des Black-box lors des manifestations des Gilets jaunes a choqué le monde. Et la France est le pays européen le plus visé par  le terrorisme islamiste. Ce défi sociétal, doublé d’une menace sécuritaire a fait l’objet de nombreuses mises en garde et a été décrit dans un ouvrage intitulé « Vers la libanisation de la France6 »  

 

La voie d’une renaissance

  Malgré cette crise multiforme et en dépit du discours décliniste,  les Français jouissent d’une qualité de vie et surtout d’une protection sociale enviables, même comparées aux autres pays développés. Ce qu’exprime la boutade selon laquelle « ils se croient en enfer alors qu’ils vivent au paradis ». Le rayonnement culturel de la France dépasse les frontières du  monde francophone. Disposant d’un siège permanent au  Conseil de sécurité de l’ONU et du feu nucléaire, elle reste une puissance moyenne de premier plan, sans doute la première après les États-Unis, la Chine et la Russie ;  en tout cas celle qui fait preuve de plus d’activisme en politique extérieure.

  Elle risque toutefois de perdre son rang faute de réformes structurelles, économiques et sociales, parmi lesquelles la réhabilitation de la valeur travail, prônée par Nicolas Sarkozy et  minée par l’instauration des 35 heures  par la Gauche. Surtout  faute d’une  véritable renaissance morale et culturelle. Malgré la part de vérité du diagnostic d’un Éric Zemmour sur le « mal français » et le problème de l’immigration, cette  renaissance ne saurait passer par une adhésion à ses thèses racialistes et xénophobes. Elle devrait être fondée sur les valeurs universalistes héritées des Lumières dont s’inspirent celles de « La Renaissance française ». Association fondée en 1915 par Raymond Poincaré dans l’atmosphère patriotique de la Grande guerre et ayant pour  mission  de défendre et de  promouvoir la langue et la culture française et les valeurs de la francophonie, elle a un rôle naturel à jouer dans ce combat culturel.           

 

Ibrahim Tabet

 

Emmanuel Macron et l’impasse libanaise.

 

  L’effondrement du Liban,  à partir de l’automne 2019, suivi de l’explosion catastrophique survenue au port de Beyrouth le 4 août  2029, suscitèrent  une succession  d’initiatives de la part  d’Emmanuel Macron, en faveur du pays du cèdre qui  s’inscrivent dans  la tradition de l’amitié séculaire entre les deux pays et  dans la ligne de celles entreprises par ses prédécesseurs depuis la création de la Ve République : de Charles de Gaulle  à Nicolas Sarkozy,   en passant par François Mitterrand.  Les visites historiques d’Emmanuel Macron au Liban le 6 août 2020, surlendemain de la catastrophe, puis le 1er septembre pour commémorer le centenaire de la création du Grand-Liban sont un geste de solidarité envers la population libanaise et d’amitié envers un pays qui est sans doute son point d’appui le plus solide dans la région. Elles traduisent également la volonté de la France de recouvrer une influence régionale

  Emmanuel Macron fait du pays du cèdre un de ses dossiers prioritaires dans la région. En novembre 2017, il réussit un beau coup diplomatique en obtenant  la « libération »  du Premier ministre libanais, Saad Hariri que   le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed Ben Salmane (MBS),  avait, dans un geste sans précédant,  retenu à Ryad,  l’obligeant à faire une déclaration contre le Hezbollah. De retour à  Beyrouth, après avoir été exfiltré vers Paris  il a été chaleureusement reçu à  l’Élysée, Hariri  était revenu sur ses déclarations et sur sa démission qu’il avait annoncée à la télévision saoudienne, visiblement sous la contrainte.

  Avant l’effondrement de l’automne 2019, le président français avait pris l’initiative, en  Avril  2018, de réunir  la conférence internationale  «   CEDRE », destinée à éviter la faillite de l’État libanais. Organisée  par la France,  la « conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises »  (CEDRE) a accueilli à Paris. le 6 avril  2018,  près de 50 États et organisations internationales en vue de soutenir  le développement et le renforcement de l’économie libanaise dans le cadre d’un plan global de réformes budgétaires et sectorielles et d’investissements d’infrastructures.   La spécificité de  CEDRE par rapport aux précédentes conférences de soutien au Liban (Paris I, II et III) est   qu’il prévoit des financements conditionnés à la mise en œuvre de ces réformes. La communauté internationale s’était engagée à mobiliser plus de 11 milliards de dollars de prêts et de dons. Mais l’Etat libanais s’étant révélé incapable de tenir ses engagements,  le Liban n’a pu bénéficier de ces fonds  

 

  Chronique d’un effondrement  annoncé

    

  Malgré les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon et la dégradation de leurs conditions de vie, peu de Libanais, à part un cercle étroit d’experts et d’initiés, étaient conscients de la  situation financière catastrophique du pays qui allait s’effondrer à  partir de l’automne 2019 

 Le 17 octobre 2019, le ras-le-bol de la population provoqua  un immense soulèvement qui devait marquer un tournant important dans l’histoire du Liban. Le caractère pacifique et transcommunautaire du mouvement suscita d’abord un espoir de changement, qui n’allait pas tarder a être déçu.  Le Premier ministre Saad Hariri est contraint de présenter la démission de son gouvernement le 29 octobre.  Et un gouvernement présidé par Hassane Diab, et composé de technocrates prétendument indépendants est  formé le 19 décembre 2019. Malgré son indépendance de façade, le gouvernement a du sa nomination à l’oligarchie mafieuse qui a mené le pays à la faillite. Ei. il s’est avéré incapable de mettre en œuvre les réformes structurelles qui s’imposent, Comment en effet les parrains du gouvernement y consentiraient-ils et accepteraient-ils des réformes qui seraient un suicide pour eux?

   La crise économique et sociale a été aggravée par les mesures de confinement et de couvre-feu décrétées à partir de l’apparition de l’épidémie de Covid-19 en février 2020.  

 Le Liban qui se noie espère que la France viendra à la rescousse. La France avait déjà organisé une réunion des amis du Liban pour aider le pays au début de la révolution populaire. Une fois de plus, la nécessité des réformes que le Liban doit faire était soulignée par le groupe international réuni à Paris. Puis, en visite au Liban, le ministre français des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, a clairement signifié aux autorités libanaises que l’aide de la France était conditionnée par la mise en œuvre de réformes. « Aidez- nous à vous aider, bon sang! » s’était-il exclamé, à la veille de sa visite, excédé par la mauvaise volonté et l’incompétence du pouvoir libanais. Mais le mur constitué par la classe politique est un obstacle à ces réformes. Les négociations avec le FMI pour débloquer une aide dont le pays a urgemment besoin sont dans l’impasse. Et les pays du Golfe ne peuvent accepter d’aider un gouvernement adoubé par un parti chiite agent de l’Iran qui contribue à déstabiliser leurs pays. Un parti qui ne connaît pas la distanciation préconisée par la France et les amis du Liban et qui contribue, avec sa milice armée, à couler le Liban.

 Une terrible catastrophe

   Comme si tous ces malheurs ne suffisaient pas, une terrible catastrophe a porté un coup un coup de grâce au moral de la population. Le 4 août 2020, une explosion cataclysmique d’un stock de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth a ravagé des pans entiers de la capitale, en particulier ses quartiers chrétiens. Elle a fait plus de 200 morts, 6500 blessés, 300000 sans-logis et d’énormes destructions. Malgré l’insistance de la société civile, le gouvernement libanais a refusé une enquête internationale indépendante, seule susceptible de déterminer les causes et les responsables de la catastrophe. Un an  après l’explosion, la classe politique empêche toujours la vérité de voir le jour. Un premier  juge d’instruction a  été dessaisi du dossier et remplacé par un autre magistrat, Tarek Bitar. Ce dernier est   en bute depuis lors à  une campagne d’accusation de politisation de la part des partis chiites. Amal et Hezbollah  qui réclament son renvoi par le gouvernement en dépit du principe de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif.   

Les deux visites d’Emmanuel Macron au Liban

   Pour Emmanuel Macron, la décision de venir au Liban est prise dans les heures qui ont suivi la catastrophe du 4 août 2020. Il arrive au Liban avec plusieurs calculs en tête : il veut montrer que la France peut reprendre l’initiative dans la région. L’urgence est avant tout humanitaire. L’état libanais n’a pas les moyens de répondre à la catastrophe. Il faut des aides,  et réfléchir à la reconstruction des logements et à celle du port. La logistique se met en marche en un temps record. Jean-Yves Le Drian vient à Beyrouth et dit « aidez- nous à vous aider ». Il rappelle que le déblocage de l’aide internationale, seule façon de remettre le Liban sur les rails est conditionnée à la mise en œuvre des réformes.

   A peine débarqué à Beyrouth, Emmanuel Macron se rend au port directement à partir de l’aéroport, puis dans le quartier sinistré de Gemmayzé. Il a pu mesurer le désespoir de la population et son mépris envers la classe politique libanaise.    Changement de décor et d’ambiance. Le président français convoque les principaux leaders du pays à la résidence des Pins. Le ton est dur et franc. Il accuse les responsables libanais d’avoir mis le pays dans une situation impossible et leur explique qu’il est temps d’assumer tous ensemble la sauvegarde du pays. » Il demande à chaque leader  politique de faire une présentation rapide afin de se mettre d’accord sur le début d’une feuille de route. Il traite le Hezbollah au même titre que les autres partis libanais. Quant aux représentants de la société civile que M. Macron a rencontrés à la Résidence des pins, ils sont bien impuissants. Emanuel Macron confirme qu’il va revenir le 1er septembre prochain et s’attend à ce que la situation ait évolué dans le bon sens d ‘ici là..L’heure est à l’optimisme.  Le 9 Août, cinq jours après la double explosion du port, la communauté internationale réunie lors d’une visioconférence organisée par l’Elysée avait mobilisé une aide d’urgence de 250 millions d’euros.

 

    Le président français s’est posé en arbitre de la politique libanaise, obligeant les partis à s’engager sur une feuille de route commune et posant un calendrier précis de réformes. Maniant la carotte et le bâton, il a de nouveau affirmé la volonté de la France d’aider le Liban tout en conditionnant cet appui par leur mise en œuvre. Il  est censé revenir au Liban dans les prochains jours. Sur la scène locale, les vieilles habitudes reprennent rapidement le dessus. Le Premier ministre Hassan Diab démissionne le 10 août. S’ensuivent des semaines de tractations, de négociations de petits boutiquiers et de jeux de rôles comme la politique libanaise sait si bien en offrir. Emmanuel Macron appelle tous les leaders libanais un par un pour les presser de former un gouvernement de mission.   24 heures avant son arrivée, la classe politique va surprendre tout le monde en sortant de son chapeau le nom d’un parfait inconnu, ancien chef de cabinet de Najib Mikati et ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustafa Adib qui reçoit l’aval de presque tous les partis pour prendre le poste de Premier  ministre.

   Le 1er septembre 2020, Emmanuel Macron devait effectuer, comme il l’avait promis, une deuxième visite au Liban à l’occasion de la commémoration du centenaire de la création du Grand-Liban, le 1er septembre 1920.   Pour la seconde fois il convoque tous les leaders politiques du pays à la résidence des Pins, Afin d’inciter le Hezbollah à ne pas bloquer le processus, il  a tenu à inclure le président du groupe parlementaire du parti parmi les personnalités politiques qu’il a rencontrées. Cependant dans une tribune collective au Figaro, 27 signataires lui ont demandé que la France considère le Hezbollah comme une organisation terroriste et invite l’Union européenne à faire de même. Sans ce signe de fermeté, aucun Liban souverain ne sera possible, jugent-ils. En faisant la différence entre les faces terroriste et politique du Hezbollah, M. Macron est à la fois conséquent avec son inclinaison pour le "en même temps" et la position officielle jusqu'ici de la France. L'avenir dira s'il a fait un faux pas en reconnaissant son rôle incontournable dans le jeu politique libanais. Mai il est  douteux que le parti terroriste qui tient le Liban en otage lui renvoie l’ascenseur. Quelques minutes avant le début de la réunion, Paris distribue une feuille de route qui fait la synthèse des principales réformes exigées par la communauté internationale si le Liban veut bénéficier d’une aide extérieure. Les points sont précis et techniques. Le plan français contourne tous les sujets qui peuvent faire débat sur la politique locale. Il n’est pas fait mention des armes du Hezbollah ou de la politique étrangère du Liban. Car le président n’a pas la prétention de régler en quelques semaines ce que le Liban et ses amis n’ont pas réglé en trente ans. Le président Macron prend la parole pour presser les leaders politiques de mettre la feuille de route à exécution dans les plus brefs délais.   il  s’agit désormais pour chaque homme politique présent dans la salle de s’engager à respecter la feuille de route et former pour cela « un gouvernement de mission ». Les leaders s’engagent à prendre les premières réformes dans les six semaines à venir. Le président français annonce qu’il reviendra pour faire le point en décembre.

 

 

Des engagements  non tenus   

  Trois semaines après que  le  président français  ait clôturé sa deuxième visite au Liban, l’ambassadeur Moustafa Adib,  Premier ministre désigné,  se  récuse le  26 Septembre  2020,  après  s’être étant heurté aux obstacles  mis par les  partis politiques à la nomination de ministres indépendants. Cet échec a été vivement condamné par Emmanuel Macron qui a eu des mots très durs envers les leaders politiques libanais qu’il a accusés d’avoir trahi leurs engagements Au cours d’une conférence de presse, comme les Libanais n’ont jamais connue, il lance leurs quatre vérités aux dirigeants politiques : « les forces politiques libanaises, leurs dirigeants, les dirigeants des institutions n’ont pas souhaité respecter l’engagement pris devant la France et la communauté internationale. Ils ont décidé de trahir ces engagements. Ils ont fait le choix de faire primer leurs intérêts personnels, de condamner le Liban au chaos au lieu de bénéficier de l’aide internationale dont le peuple libanais a besoin. Personne n’a été à la hauteur des engagements pris le 1er Septembre »..Le président français assure en fin de conférence de presse que son pays n’abandonnera pas le Liban et que la feuille de route française reste la seule option valable. Il  revient à la charge dans une lettre adressée au président Michel Aoun à l’occasion de la fête d’Indépendance. Il lui suggère de demander aux partis politiques libanais de « mettre de côté leur intérêts personnels confessionnels et partisans afin de former un gouvernement capable de mener la réforme attendue par la communauté internationale et les libanais et qui conditionne les aides nécessaires pour permettre au pays de sortir de la crise et d’éviter l’effondrement.  Peu après, comme si le soulèvement n’avait pratiquement servi à rien, Saad Hariri, que les manifestations avaient contraint il y a un an à la démission,  réussit à  être chargé de former le gouvernement, sans projet, sans programme autre que celui de reprendre le pouvoir et de se partager les postes et les prébendes qui vont avec ce qui revient à un retour désespérant à la case départ. En moins de trois mois, la classe politique avait repris le contrôle des choses et donc enterré l’espoir qu’avait suscité le président de la République français lors de sa venue au lendemain du 4 août.  Exprimant le ras-le-bol de la communauté internationale à l’égard de leurs atermoiements, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré « être tenté de les accuser de non-assistance à pays en danger ».  Et Emmanuel Macron a  agité la menace de pressions pouvant aller jusqu'à des sanctions à leur encontre.

 

La poursuite  de l’initiative française

 

   Malgré ces déconvenues le chef de l’Etat français ne baisse pas les bras.   Le jeudi 3 Décembre 2020, il organise une nouvelle conférence humanitaire a laquelle participent 13 chefs d’états, 18 ministres, 10 représentants d’organisations régionales et internationales, 10 représentants de la société civile.  Dressant le bilan de cette conférence, le président Macron se félicite dans son discours que les promesses aient été « tenues et même dépassées : plus de 280 millions d’euro ont été décaissés, ce qui a permis de faire face à une partie importante des besoins immédiats.

 

 

 Une initiative dans l’impasse  

  

  Malgré les  efforts d’Emmanuel Macron, force est de constater que son initiative est  dans l’impasse. Sans  doute n’a-t-il pas mesure le degré d’irresponsabilité des dirigeants libanais. En mars 2021, face à  l’impasse  il annonce  au cours dune conférence de presse un changement de méthode «Le temps du test de responsabilité s'achève et il nous faudra dans les prochaines semaines, de manière très claire, sans doute changer d'approche, de méthode», a  déclaré  le président français qui s'efforce depuis des mois, en vain, d'arracher la formation d'un gouvernement au Liban et la mise en œuvre de réformes. «Nous ne pouvons laisser le peuple libanais dans la situation où il est», a t-il  poursuivi.  Saad Hariri ayant jeté l’éponge, Nagib Mkati  qui est chargé  de former un gouvernement  se heurte d’abord aux mêmes difficultés avant d’y parvenir le 10 septembre 2021,  au bout de trois mois de tractations, et après treize mois de vide politique,  à  la suite, semble-t-il,  d’un coup de téléphone d’Emmanuel Macron au nouveau président iranien, Ibrahim  Ra’isi,   lui demandant d’intercéder auprès  du Hezbollah afin qu’il cesse de lui mettre des bâtons dans Mais dès la première réunion du nouveau cabinet, les ministres chiites  menacent de démissionner si le juge Bitar  n’est pas dessaisi de   l’enquête sur l’explosion du port. Et une grave crise éclate avec l’Arabie saoudite et les pays arabes du Golfe. Prenant prétexte d’une déclaration du ministre des Affaires  étrangères, Georges Cordaji,  faite avant sa nomination, critiquant  sa guerre  contre le Yémen,  Ryad suivi par les autres pétromonarchies décide un boycott économique du Liban, Une fois encore Emmanuel Macron, en visite  à  Ryad le 11 décembre 2021, parvient à  arracher au prince héritier saoudien  Mohamed Ben Salmane la promesse, sinon  d’assouplir ses mesures envers le Liban, du moins de reprendre langue avec le Premier ministre Mikati. Alors qu’Emmanuel Macron avait veillé à  ménager le Hezbollah lors de sa première visite à Beyrouth,  il considère désormais, à juste titre, que la mainmise de ce parti sur le Liban est le principal obstacle au sauvetage du pays et la principale raison de l’échec de ses efforts inlassables pour lui venir en aide. En affirmant « la nécessité de limiter la possession d’armes aux institutions légales de l’État, » le communiqué commun publié à l’issue de la visite du président français en Arabie saoudite traduit clairement ce revirement. « Paris revient sur son positionnement géopolitique traditionnel », écrit l’Orient-Le jour. « Et le communiqué a surtout recentré l’initiative française dans laquelle les questions liées au Hezbollah étaient considérées moins prioritaires que les réformes exigées pour redresser le pays ».

 

Interrogée sur ce qui ressemble à un " alignement " de la France sur la position saoudienne qui accorderait la priorité au désarmement du Hezbollah, l’ambassadrice  de France Anne Grillo a déclaré que " la France ne s’aligne pas sur tel ou tel pays".  Nous parlons au Hezbollah comme à tous les acteurs politiques. La réalité c’est que le Hezbollah fait partie intégrante du système politique et institutionnel. Des Libanais ont voté pour lui ", a indiqué Anne Grillo en rappelant que le parti est représenté au sein du Parlement, et du gouvernement. Défendant l’approche " pragmatique " de la France, elle affirme  " Oui nous parlons au Hezbollah comme à l’ensemble des acteurs politiques, de façon franche, on se passe les messages quand cela est nécessaire, ça suppose aussi d’assumer nos points de divergence, comme la question des armes ", a-t-elle nuancé. " Un pays souverain suppose que le monopole de la violence légitime appartient à l’Etat et la France a condamné les activités militaires du Hezbollah dans la région et en Syrie ", a-t-elle rappelé avant de conclure : " Donc si vous voulez vraiment aider le Liban, que cette réalité vous plaise ou pas, l’essence même de la diplomatie c’est de se parler même si c’est difficile de parler avec ceux avec qui nous ne sommes pas nécessairement d’accord ".

 

Au delà d’une crise politique, la faillite d’un  système  

   À l’heure où s’écrivent ces lignes aucune issue à  la crise n’est en vue. Le  gouvernement Mikati n’arrive toujours pas à se réunir du fait de l’insistance du tandem  Amal-Hezbollah,  à exiger  la tête du juge Bitar   Ni le bâton américain ni la carotte française, n’ont l’air d’avoir de l’effet sur la résistance aux réformes des dirigeants libanais dont le principal souci est de se maintenir à n’importe quel prix au pouvoir.   Si les blocages récurrents caractérisant les élections présidentielles et la formation de  chaque gouvernement depuis 2005  montrent que le système politique libanais est clairement à bout de souffle, une réforme de la Constitution relève de la quadrature du cercle et risque d’ouvrir la boite de Pandore des revendications communautaires tant les Libanais sont divisés à ce sujet. Les différentes composantes du mouvement de révolte ne sont pas parvenues à constituer une coalition représentant une opposition crédible au pouvoir en place. Une révolution étant impossible au Liban, reste  la perspective d’un changement de majorité à l’issue des  élections législatives prévues au printemps 2022  Mais il n’est pas certain que cela aurait mené à un changement significatif.

   Il apparait  que la crise libanaise a atteint un point de non-retour.  Contrairement  aux crises précédentes qui débouchaient sur un compromis  ou, le plus souvent,  sur une capitulation du camp souverainiste face au diktat du Hezbollah et de ses  alliés, on  n’en voit  pas l’issue.  Au  blocage gouvernemental s’ajoute l’impuissance de l’Etat libanais à satisfaire l’exigence de désarmement du Hezbollah formulée par la communauté internationale. Ni un changement éventuel de majorité parlementaire en cas de tenue des élections législatives, ni l’initiative française, seule puissance à vouloir l’intérêt du Liban ne sont susceptibles de débloquer la situation. Le clivage politique et confessionnel n’a jamais été aussi profond. Et l’incompatibilité entre deux visions de l’identité et de la vocation du pays n’a jamais été aussi évidente. Une montée de la violence, et même une  révolution de la faim n’est pas à écarter. Et on se dirige probablement vers  un changement  de système politique, tant est évident le fait  que le Liban, dans sa configuration actuelle, est un État failli. 

Ibrahim Tabet

 

Pour un nouveau système politique libanais.

La crise que  connaît  le Liban depuis octobre 2019.est   sans doute  la plus grave depuis son indépendance.  Au-delà d’un effondrement économique,  financier et social,  et d’une énième crise politique, il  s’agit d’une crise  institutionnelle  remettant en cause  son système politique.  Force est de constater que  le Liban, dans sa configuration actuelle,  est un Etat failli.  Tandis que   la présence de plus d’un million de réfugiés syriens et palestiniens sur son sol et la volonté du Hezbollah de changer le visage du pays  menacent  son identité même. Autant que son arsenal,  le Hezbollah  tire sa force de la division du camp chrétien,  de  la faiblesse du camp sunnite et de la couverture que lui assure la trahison de Michel Aoun.  Si les dénonciations dont il fait l’objet se font de plus en plus entendre, peu d’initiatives sont prises pour contrer son hégémonie et beaucoup  de ses opposants sont enclins à  céder à son pouvoir d’intimidation.    Pourtant le parti pro-iranien  n’a jamais été aussi isolé sur les scènes internationale et locale, depuis la décision des pays du Golfe de boycotter le Liban et la diatribe violente d’Hassan Nasrallah contre la monarchie saoudienne qui a achevé de dresser contre lui une large frange de l’opinion sunnite  et des partisans du CPL    Quant à  son arsenal, il ne sert à  rien sur la scène locale car toute attaque contre les régions chrétienne, sunnite ou druze se heurterait à  l’armée et serait de toute façon politiquement suicidaire. Enfin les prochaines échéances  électorales, qu’il s’agisse des élections législatives au printemps ou présidentielles à  l’automne prochain ne peuvent que lui être défavorables,  même s’il ne manquera pas, comme il l’a fait dans le passé d’utiliser son pouvoir de blocage.  S’il n’est  question  d’affronter militairement le Hezbollah et que ce dernier ne renoncera jamais à ses armes,  il existe d’autre moyen pour se libérer de son pouvoir de nuisance. D’abord en  réunissant un congrès   en vue de former  une large coalition regroupant tous les partis et les mouvements souverainistes. Ensuite en jetant les bases d’une auto gouvernance des régions échappant à son emprise,    à même de leur assurer certains services publics,  à l’instar de ce qu’il fait lui-même  et de l’état dans l’état qu’il a bâtit   dans les régions chiites.  Cette initiative doit être un premier pas vers l’instauration  d’une large décentralisation  administrative et financière  qui  pourrait s’imposer de facto  au vu de la déliquescence de l’Etat central et des services publics et en cas de blocage de l’élection présidentielle, actant définitivement la faillite du système politique consensuel actuel. Certes la partie chiite est totalement opposée à toute forme de décentralisation, comme l’atteste son projet de faire du Liban une circonscription unique qui masque mal ses ambitions hégémoniques. Mais  c’est le seul moyen de conjurer le spectre du «  grand remplacement »  et d’assurer l’avenir à long terme de la présence chrétienne.  Au vu de l’existence de deux visions incompatibles de la vocation et  de l’identité  du pays et de l’impossibilité des Libanais laissés à  eux-mêmes de s’entendre sur  un nouveau contrat social, on se dirige probablement vers un arbitrage, voire  une tutelle internationale  comme  l’ont été le Règlement organique de 1863 et l’accord   de Taëf de 1990. La forme que prendra le règlement de cette crise véritablement existentielle dépendra  en partie des accords de Vienne sur le nucléaire iranien dont d’aucuns craignent qu’ils  me risquent  de conforter l’influence de Téhéran au Liban.

Ibrahim Tabet     .