Monday, February 6, 2017

Isolationnisme, interventionnisme et morale politique.  
Depuis leur émergence en tant que grande puissance les Etats-Unis ont alternativement adopté une politique étrangère isolationniste et interventionniste. Toutes les deux ont été fondées sur des considérations morales, accompagnées de proclamations moralisatrices. L’isolationnisme traditionnel a toujours considéré la démocratie nord-américaine comme une île de vertu dans la mer de perversion de l’histoire universelle. Il a une origine religieuse remontant à la communauté dissidente de protestants puritains formée par les pères pèlerins du Mayflower qui s’établirent dans le pays au XVIe siècle et qui voulaient construire une société à l’abri des vicissitudes et des malheurs dont avaient soufferts les peuples d’Europe. Une même foi à connotation religieuse caractérisera plus tard, dans un sens contraire, l’impérialisme américain qui prendra un caractère messianique illustré par une déclaration d’un sénateur en 1900 : « Nous ne renonçons pas à la mission de notre race, mandataire au nom de Dieu de la civilisation dans le monde. Nous avancerons dans notre ouvrage avec un sentiment de gratitude pour une tache digne de nos forces et pleins de reconnaissance pour le Dieu tout-puissant qui nous a marqué comme son peuple élu pour conduire le monde vers sa régénération.1 » Au XXe siècle ces considérations morales ont été invoquées lors des interventions des Etats-Unis pour la défense des démocraties et de la liberté pendant les deux Guerres mondiales et elles expliquent à la fois l’idéalisme des quatorze points du président Wilson et leur refus d’adhérer à la SDN dans l’entre-deux-guerres. Elles ont  ensuite servi à justifier leurs « croisades » contre les totalitarismes communiste puis islamiste et les « Etats voyous » qualifiés respectivement « d’empire du mal «   et « d’axe du mal », termes ayant des connotations bibliques. L’interventionnisme militaire des Etats-Unis, devenus la seule superpuissance après la chute de l’URSS, a connu son apogée sous la présidence de George W. Bush. Ses effets désastreux ont conduit à une amorce de repli sous la présidence de Barak Obama dénoncé à tort comme pusillanime ; notamment s’agissant du conflit en Syrie. Malgré sa prise de conscience du fait que les Etats-Unis ne pouvaient et ne devaient plus assumer le rôle de gendarme du monde, l’on ne peut pas qualifier sa politique extérieure d’isolationniste, à la différence de celle que prône Donald Trump. Et alors que le président Obama s’est efforcé, dans la mesure où cela ne mettait pas en péril les intérêts américains, de concilier les impératifs de la realpolitik avec les valeurs morales fondatrices de l’Amérique, ce n’est pas le cas de son successeur. Sa décision d’interdire, même provisoirement, l’accès au territoire américain à tous les citoyens de sept pays à majorité musulmane, son islamophobie, ses propos racistes envers les Mexicains, le mur qu’il entend construire à la frontière entre le Mexique et les Etats–Unis, ses déclarations intempestives, et l’arrogance qu’il a manifesté lors de ses conversations téléphoniques avec certains dirigeants étrangers, dont le Premier ministre australien, s’inscrivent toutes dans le cadre d’un isolationnisme teinté d’agressivité et de xénophobie qui, contrairement à la période de l’entre-deux-guerres, représente une rupture par rapport aux valeurs traditionnelles américaines. Elles lui ont d’ailleurs valu un concert de réprobations à travers le monde et aux Etats Unis mêmes. Et elles ne peuvent qu’alimenter l’inimitié voire l’hostilité que suscite leur hégémonisme. Quant à la politique économique protectionniste du locataire de la Maison blanche exprimée par son slogan : « l’Amérique d’abord », bien qu’elle ne soit pas moralement critiquable, elle relève également de l’isolationnisme. Les alliés des Etats-Unis doivent-ils s’en inquiéter ? Leurs adversaires se réjouir du vide de puissance qui peut en découler ? Le moins que l’on puisse dire c’est que Donald Trump souffle le chaud et le froid. L’on ne peut que saluer sa volonté de réduire les tensions avec la Russie, mais son intention déclarée de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem risque d’entrainer un regain de terrorisme qu’il se propose de combattre et d’apporter de l’eau au moulin de Daech. Si l’Union Européenne s’interroge sur les conséquences du néoprotectionnisme américain et de la déclaration de Donald Trump qualifiant l’Otan « d’organisation obsolète », cela peut par contre ressouder la solidarité chancelante entre ses membres et mettre fin à leur ostracisme vis avis de la Russie que semble d’ailleurs prôner la nouvelle administration américaine. Au vu des conséquences désastreuses des interventions américaines au Moyen-Orient, les pays arabes ne peuvent que se féliciter de leur désengagement partiel de la région déjà amorcé sous la présidence Obama. Et l’hostilité de Donald Trump envers l’Iran devrait rassurer les pétromonarchies du Golfe qu’inquiète ce désengagement. Quant à la Chine, principal rival économique et géostratégique des Etats-Unis, elle pourrait tirer partie de la guerre commerciale que Donald Trump menace de lui livrer : que se soit en renforçant l’attractivité de son projet de nouvelle route de la soie ou en faisant de Pékin un partenaire économique privilégié des pays de la zone Asie-Pacifique. Même si la tentation protectionniste qui ne touche d’ailleurs pas que les Etats-Unis risque de renforcer les égoïsmes nationaux, elle ne devait pas menacer la paix qu’un nouvel ordre mondial multipolaire est sans doute autant susceptible de préserver que l’hégémonie sans partage exercée par les Etats-Unis, qualifiés de « nation indispensable » par Barak Obama.
Ibrahim Tabet

1 Cité dans  mon ouvrage : «  Le monothéisme le pouvoir et la guerre »,  p. 21,  édition l’Harmattan, Paris, 2012