Isolationnisme,
interventionnisme et morale politique.
Depuis
leur émergence en tant que grande puissance les Etats-Unis ont alternativement
adopté une politique étrangère isolationniste et interventionniste. Toutes les
deux ont été fondées sur des considérations morales, accompagnées de
proclamations moralisatrices. L’isolationnisme traditionnel a toujours
considéré la démocratie nord-américaine comme une île de vertu dans la mer de perversion de l’histoire
universelle. Il a une origine religieuse remontant à la communauté dissidente de protestants puritains formée par
les pères pèlerins du Mayflower qui s’établirent dans le pays au XVIe siècle et
qui voulaient construire une société à
l’abri des
vicissitudes et des malheurs dont avaient soufferts les peuples d’Europe. Une
même foi à connotation religieuse
caractérisera plus tard, dans un sens contraire, l’impérialisme américain qui prendra
un caractère messianique illustré par une déclaration d’un sénateur en 1900 :
« Nous ne renonçons pas à la mission de notre race,
mandataire au nom de Dieu de la civilisation dans le monde. Nous avancerons
dans notre ouvrage avec un sentiment de gratitude pour une tache digne de nos
forces et pleins de reconnaissance pour le Dieu tout-puissant qui nous a marqué
comme son peuple élu pour conduire le monde vers sa régénération.1 »
Au XXe siècle ces considérations morales ont été invoquées lors des interventions
des Etats-Unis pour la défense des démocraties et de la liberté pendant les deux
Guerres mondiales et elles expliquent à la fois l’idéalisme des
quatorze points du président Wilson et leur refus d’adhérer à la SDN dans l’entre-deux-guerres. Elles ont ensuite servi à justifier leurs « croisades » contre les totalitarismes
communiste puis islamiste et les « Etats voyous » qualifiés
respectivement « d’empire du mal « et « d’axe du mal », termes ayant
des connotations bibliques. L’interventionnisme militaire des Etats-Unis,
devenus la seule superpuissance après la chute de l’URSS, a connu son apogée
sous la présidence de George W. Bush. Ses effets désastreux ont conduit à une amorce
de repli sous la présidence de Barak Obama dénoncé à tort comme pusillanime ;
notamment s’agissant du conflit en Syrie. Malgré sa prise de conscience du fait
que les Etats-Unis ne pouvaient et ne devaient plus assumer le rôle de gendarme
du monde, l’on ne peut pas qualifier sa politique extérieure d’isolationniste, à la différence de celle que prône Donald Trump. Et alors que
le président Obama s’est efforcé, dans la mesure où cela ne mettait pas en
péril les intérêts américains, de concilier les impératifs de la realpolitik
avec les valeurs morales fondatrices de l’Amérique, ce n’est pas le cas de son
successeur. Sa décision d’interdire, même provisoirement, l’accès au territoire
américain à tous les citoyens de sept pays à majorité musulmane, son islamophobie, ses propos racistes envers
les Mexicains, le mur qu’il entend construire à la frontière entre le Mexique et les Etats–Unis, ses
déclarations intempestives, et l’arrogance qu’il a manifesté lors de ses
conversations téléphoniques avec certains dirigeants étrangers, dont le Premier
ministre australien, s’inscrivent toutes dans le cadre d’un isolationnisme teinté
d’agressivité et de xénophobie qui, contrairement à la période de l’entre-deux-guerres, représente une rupture
par rapport aux valeurs traditionnelles américaines. Elles lui ont d’ailleurs valu
un concert de réprobations à travers le monde et aux
Etats Unis mêmes. Et elles ne peuvent qu’alimenter l’inimitié voire l’hostilité
que suscite leur hégémonisme. Quant à la politique économique protectionniste du
locataire de la Maison blanche exprimée par son slogan : « l’Amérique
d’abord », bien qu’elle ne soit pas moralement critiquable, elle relève
également de l’isolationnisme. Les alliés des Etats-Unis doivent-ils s’en
inquiéter ? Leurs adversaires se réjouir du vide de puissance qui peut en
découler ? Le moins que l’on puisse dire c’est que Donald Trump souffle le
chaud et le froid. L’on ne peut que saluer sa volonté de réduire les tensions
avec la Russie, mais son intention déclarée de transférer l’ambassade
américaine à Jérusalem risque d’entrainer un regain de terrorisme qu’il se
propose de combattre et d’apporter de l’eau au moulin de Daech. Si l’Union Européenne
s’interroge sur les conséquences du néoprotectionnisme américain et de la
déclaration de Donald Trump qualifiant l’Otan « d’organisation
obsolète », cela peut par contre ressouder la solidarité chancelante entre
ses membres et mettre fin à leur ostracisme vis avis de
la Russie que semble d’ailleurs prôner la nouvelle administration américaine. Au
vu des conséquences désastreuses des interventions américaines au Moyen-Orient,
les pays arabes ne peuvent que se féliciter de leur désengagement partiel de la
région déjà amorcé sous la présidence Obama. Et l’hostilité de Donald Trump
envers l’Iran devrait rassurer les pétromonarchies du Golfe qu’inquiète ce
désengagement. Quant à la Chine, principal rival économique et géostratégique
des Etats-Unis, elle pourrait tirer partie de la guerre commerciale que Donald
Trump menace de lui livrer : que se soit en renforçant l’attractivité de
son projet de nouvelle route de la soie ou en faisant de Pékin un partenaire économique
privilégié des pays de la zone Asie-Pacifique. Même si la tentation
protectionniste qui ne touche d’ailleurs pas que les Etats-Unis risque de
renforcer les égoïsmes nationaux, elle ne devait pas menacer la paix qu’un
nouvel ordre mondial multipolaire est sans doute autant susceptible de
préserver que l’hégémonie sans partage exercée par les Etats-Unis, qualifiés de
« nation indispensable » par Barak Obama.
Ibrahim Tabet
1 Cité
dans mon ouvrage : « Le monothéisme le pouvoir et la guerre »,
p. 21, édition l’Harmattan, Paris, 2012