Wednesday, January 17, 2018

Le jeu de Trump  sur l’échiquier moyen-oriental
L’interventionnisme militaire des Etats-Unis au Moyen-Orient a  connu son apogée du temps de la  présidence de George  Bush   fils. Il s’agissait alors, pour les néoconservateurs qui l’ont inspiré,  de favoriser la naissance d’un «  nouveau Moyen-Orient »   conforme aux  intérêts  américains et à  ceux d’Israël. Ces objectifs  et  la  lutte contre l’islamisme radical ne  peuvent cependant  pas à eux seuls l’expliquer. Et  on  ne peut  le  comprendre sans prendre en  compte l’importance  géostratégique que  confèrent  à la région  ses ressources pétrolières et gazières. Certes,  l’exploitation du pétrole de schiste  a rendus  les Américains moins dépendants  du  pétrole du Moyen-Orient, mais ils cherchent   moins  à le contrôler pour assurer leurs propres approvisionnements que pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs  européens et de   la Chine.  Les  effets désastreux de l’invasion de l’Irak en 20o3  ont conduit à une amorce de repli sous la présidence de Barak Obama dénoncé à tort comme pusillanime ; notamment s’agissant du conflit en Syrie. Mais le « pivot stratégique » vers l'Asie, opéré  sous sa présidence par  la politique étrangère américaine,  ne diminua  en rien son implication dans les affaires du Moyen-Orient.  S’écartant de   la politique inspirée  par les néoconservateurs, Obama a tenté durant ses deux mandats de réparer les erreurs de son prédécesseur. Le  désengagement  relatif de Washington  s’est manifesté  sous sa présidence  lors de l’intervention  militaire en Lybie dont  il   a laissé  l’initiative à  la France  et à  la Grande – Bretagne avec des conséquences aussi désastreuses qu’en Irak.  Et ses  réticences à  appuyer militairement l’opposition syrienne ont conforté l’influence russe et iranienne en Syrie.  Le pouvoir irakien mis en place par les Etats-Unis en Irak a pris ses  distances avec eux. Le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan a permis la montée en puissance des talibans. Par contre, il a intensifié la campagne d’élimination des principaux chefs terroristes qui a été couronnée par celle d’Oussama Ben Laden. Contrairement à l’échec de la politique américaine en Syrie, l’accord  nucléaire avec l'Iran peut  être considéré comme un grand succès. Persuadé que la voie diplomatique est le meilleur moyen d'éviter que l'Iran ne devienne une puissance nucléaire, Obama a fait  de cet objectif sa priorité stratégique dans la région, quitte à se mettre à dos les deux alliés traditionnels des États-Unis,  Israël et l'Arabie saoudite.  Cependant son  pari  que  l’accord allait encourager les réformes en Iran et l’inciter à  adopter une politique étrangère moins agressive a échoué.
Illustrée par le slogan  « l’Amérique d’abord »,  la politique étrangère de Donald Trump  au Moyen-Orient semblait à première  vue  être dans la ligne du désengagement relatif  amorcé  par son prédécesseur. Mais toutes ses initiatives  démentent cette supposition. Malgré l’opposition de ses cosignataires, notamment européens, il a exprimé son intention de remettre en question l’accord sur le nucléaire iranien  qualifié de « pire accord   qui soit ». Ce qui  montre que Washington est désormais résolu à contrer par tous les moyens  les ambitions hégémoniques de la République islamique.  Sa visite spectaculaire à Riyad va dans le même sens et vise aussi sans doute à encourager un rapprochement saoudo-israélien. Jouant sur la crainte des Saoudiens  de la menace iranienne  et d’être abandonnés par les Etats-Unis, moins     dépendants de leur pétrole, il en a profité pour leur soutirer  des centaines de milliard de dollars en termes d’achats d’armes et de contrats, en échange de la protection américaine.  En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d'Israël, il a  sans doute disqualifiés  les Etats-Unis de leur position de médiateur dans le conflit israélo-palestinien  et  certainement planté le dernier clou sur le cercueil de la solution à deux Etats. Le pauvre Mahmoud Abbas a prononcé la mort du processus d’Oslo.  Mais Washington n’en a cure et,  conscient de l’impuissance lamentable du monde arabe,  a clairement opté pour accentuer son  soutien inconditionnel à Israël. Une autre initiative lourde de conséquences  de l’administration Trump est la poursuite et même l’accroissement  de son appui militaire aux Kurdes en Syrie, malgré la défaite de Daech. Outre qu’elle  compromet la réunification de la Syrie  et y conforte son influence face à  celle de la Russie,  cette  décision a  surtout pour  but de  contrecarrer la consolidation du corridor reliant l’Iran au Hezbollah via l’Irak et la Syrie.  Que  cela risque  d’aliéner la Turquie et de  renforcer l’alliance tactique russo-turco-iranienne ne semble pas inquiéter outre mesure Washington qui a apparemment pris acte de l’irréversibilité de l’éloignement d’Ankara par rapport au camp occidental. C’est en effet la volonté de faire pièce à  l’influence spectaculaire de l’axe Moscou-Téhéran qui est la priorité de la stratégie de Trump (ou de ses conseillers), laquelle est moins incohérente que ses coups de têtes pouvaient le laisser croire.

Ibrahim Tabet