Le jeu de Trump sur l’échiquier moyen-oriental
L’interventionnisme militaire des
Etats-Unis au Moyen-Orient a connu son
apogée du temps de la présidence de
George Bush fils. Il s’agissait alors, pour les
néoconservateurs qui l’ont inspiré, de
favoriser la naissance d’un « nouveau Moyen-Orient » conforme aux intérêts américains et à ceux d’Israël. Ces
objectifs et
la lutte contre l’islamisme
radical ne peuvent cependant pas à eux seuls l’expliquer. Et on ne
peut le comprendre sans prendre en compte l’importance géostratégique que confèrent
à la région ses ressources
pétrolières et gazières. Certes, l’exploitation du pétrole de schiste a rendus
les Américains moins dépendants
du pétrole du Moyen-Orient, mais ils
cherchent moins
à le contrôler pour assurer leurs propres approvisionnements que pour
contrôler la dépendance de leurs compétiteurs européens et de la
Chine. Les effets désastreux de l’invasion de l’Irak en
20o3 ont conduit à une amorce de repli
sous la présidence de Barak Obama dénoncé à tort comme pusillanime ;
notamment s’agissant du conflit en Syrie. Mais le « pivot
stratégique » vers l'Asie, opéré sous sa présidence par la politique étrangère américaine, ne diminua en rien son implication dans les affaires du
Moyen-Orient. S’écartant de la
politique inspirée par les
néoconservateurs, Obama a tenté durant ses deux mandats de réparer les erreurs
de son prédécesseur. Le désengagement
relatif de Washington s’est
manifesté sous sa présidence lors de l’intervention militaire en Lybie dont il a laissé l’initiative à la France et à la
Grande – Bretagne avec des conséquences aussi désastreuses qu’en Irak. Et ses
réticences à appuyer
militairement l’opposition syrienne ont conforté l’influence russe et iranienne
en Syrie. Le pouvoir irakien
mis en place par les Etats-Unis en Irak a pris ses distances
avec eux. Le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan a permis la montée en puissance des talibans. Par contre, il a intensifié la campagne d’élimination des
principaux chefs terroristes qui a été couronnée par celle d’Oussama Ben Laden.
Contrairement à l’échec de la politique américaine en Syrie, l’accord nucléaire avec l'Iran peut être considéré comme un grand succès. Persuadé
que la voie diplomatique est le meilleur moyen d'éviter que l'Iran ne devienne
une puissance nucléaire, Obama a fait de
cet objectif sa priorité stratégique dans la région, quitte à se mettre à dos
les deux alliés traditionnels des États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite. Cependant
son pari que l’accord
allait encourager les réformes en Iran et l’inciter
à adopter une politique étrangère moins
agressive a échoué.
Illustrée par le slogan « l’Amérique d’abord », la politique étrangère de Donald Trump au Moyen-Orient semblait à première vue
être dans la ligne du désengagement relatif amorcé
par son prédécesseur. Mais toutes ses initiatives démentent cette supposition. Malgré l’opposition
de ses cosignataires, notamment européens, il a exprimé son intention de
remettre en question l’accord sur le nucléaire iranien qualifié de « pire accord qui soit ». Ce qui montre que Washington est désormais résolu à
contrer par tous les moyens les
ambitions hégémoniques de la République islamique. Sa visite spectaculaire à Riyad va dans le même
sens et vise aussi sans doute à encourager un rapprochement saoudo-israélien. Jouant
sur la crainte des Saoudiens de la
menace iranienne et d’être abandonnés
par les Etats-Unis, moins dépendants de leur pétrole, il en a profité pour
leur soutirer des centaines de milliard
de dollars en termes d’achats d’armes et de contrats, en échange de la
protection américaine. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale
d'Israël, il a sans doute disqualifiés les Etats-Unis de leur position de médiateur
dans le conflit israélo-palestinien et certainement planté le dernier clou sur le
cercueil de la solution à deux Etats. Le pauvre Mahmoud Abbas a prononcé la
mort du processus d’Oslo. Mais
Washington n’en a cure et, conscient de
l’impuissance lamentable du monde arabe,
a clairement opté pour accentuer son soutien inconditionnel à Israël. Une autre initiative
lourde de conséquences de l’administration
Trump est la poursuite et même l’accroissement
de son appui militaire aux Kurdes en Syrie, malgré la défaite de Daech.
Outre qu’elle compromet la réunification
de la Syrie et y conforte son influence
face à celle
de la Russie, cette décision a surtout pour but de contrecarrer
la consolidation du corridor reliant l’Iran au Hezbollah via l’Irak et la Syrie.
Que
cela risque d’aliéner la Turquie
et de renforcer l’alliance
tactique russo-turco-iranienne ne semble pas inquiéter outre mesure Washington
qui a apparemment pris acte de l’irréversibilité de l’éloignement d’Ankara par
rapport au camp occidental. C’est en effet la volonté de faire pièce à l’influence
spectaculaire de l’axe Moscou-Téhéran qui est la priorité de la stratégie de Trump
(ou de ses conseillers), laquelle est moins incohérente que ses coups de têtes
pouvaient le laisser croire.
Ibrahim Tabet