Monday, November 26, 2018


Le communautarisme : un virus prolifique 
   La mondialisation, le retour du religieux et l’accroissement des flux migratoires ont favorisé les crispations identitaires, le populisme et le virus  du communautarisme. Institutionnalisant ou faisant prévaloir les spécificités et les revendications  des communautés  ethnolinguistique ou religieuse,   cette idéologie   conduit-elle à l’éclatement de la société et de l’État en plusieurs groupes d’appartenances au détriment de l’intérêt national ?  Est-elle  un danger  ou un système de gestion approprié de la diversité socioculturelle ? Les réponses à ces questions    dépendent du contexte historique, de l’homogénéité de la population et de la philosophie politique de chaque pays. Le laïcisme français et le  confessionnalisme politique libanais constituent à cet égard deux « idéaux types » opposés. Tandis que le multiculturalisme représente une  voie moyenne.  C’est le cas par exemple au  Canada. Pays fédéral, constitué à l’origine de deux communautés distinctes,  il  considère le pluralisme culturel comme une richesse et reconnaît   le  droit à  la différence des  populations issues de l’immigration. C’est  aussi le cas aussi du modèle  britannique qui ne cherche pas à assimiler les immigrés. Il existe ainsi à Londres des quartiers entiers où le séparatisme identitaire est visible et il ne viendrait jamais à l’idée des autorités d’interdire, comme en France, le port du voile intégral dans l’espace public.  
   Le Liban constitue de facto une fédération de communautés à  base non territoriale. Héritier du système des millets ottoman, le confessionnalisme libanais pervertit autant la sphère politique que socioculturelle, empêchant l’émergence d’une véritable citoyenneté. Instauré  " à titre provisoire " par la Constitution de 1926,  il a été malheureusement renforcé.  La montée de l'islamisme ainsi que le déclin démographique des chrétiens font qu’il est sans doute trop tard pour inverser cette dérive. Cela dit la sécularisation formelle des institutions n'a pas empêché l'accaparement du pouvoir par les  alaouites en Syrie.  Si le modèle  politique « consociatif » du Liban souffre de nombreuses tares, dont celles de favoriser la mauvaise gouvernance et la paralysie, il lui a du moins évité de subir le sort de la Syrie.  Et un système similaire de  partage  communautaire du pouvoir a  été considéré comme le meilleur moyen de mettre fin au conflit en Irak. .  
   Erigée en quasi-religion  par  la Révolution Française,  la laïcité a été codifiée  par  la loi de 1905  de séparation de l’Église et de l’État. Alors que la République ne reconnaît que les individus, elle se heurte de plus en plus  à des revendications identitaires, de la part de groupes islamistes gagnés par la propagande salafiste, contraignant nombre d’édiles à  la « soumission ».   Il existe à l’inverse un  « intégrisme  laïc »  qui  va jusqu'à vouloir bannir les signes religieux chrétiens dans l’espace public. Et des voix   dénoncent,  à l’instar d’Eric Zeimour,  « Le Suicide français ».  Alors que le modèle français  a réussi  à assimiler les vagues successives d’immigrés d’origine européenne  partageant les mêmes valeurs, il peine à le faire avec les musulmans.  Bien qu’une  majorité se soit intégrée, une partie d’entre eux,  surtout la jeunesse défavorisée des banlieues, ne le sont pas, ou plutôt refusent de l’être.  Des communes de certains départements ont été ainsi  qualifiées de « territoires perdus de la République ». Des  bandes de casseurs  expriment leurs frustrations  et leur rancœur envers l’ancienne puissance coloniale  en saccageant des commerces et en brulant des voitures. Et plusieurs attentats terroristes ont été  perpétrés par des Français d’origine maghrébine ou africaine. Ce  défi sociétal doublé d’une  menace sécuritaire,  a conduit l’Etat, depuis la présidence de Nicolas Sarkozy,  à tenter de promouvoir « un islam de France » ; alors qu’il n’y a  en principe qu’un islam ou des musulmans en France. Il est même question à cet effet d’amender éventuellement la loi de 1905.  Mais l’Etat laïc doit-il se mêler de religion ?  Ne revient-il pas aux musulmans eux-mêmes  de lutter  contre l’islamisme radical et de prôner un islam plus libéral ?
   En réalité le communautarisme à l’anglo-saxonne et la laïcité à la française éprouvent autant de difficultés à gérer le problème posé par la croissance des populations musulmanes d’Europe. Ce problème a été aggravé pas l’afflux massif récent de migrants noirs et musulmans en provenance du Moyen-Orient du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. L’incapacité des pays de l’Union Européenne à y faire face a mis en relief leurs divisions. Elle  explique, entres autres, la popularité d’un Matteo Salvini en Italie ou d’un Victor Orban en Hongrie. Tandis qu’à l’inverse Angela Mekel paie le prix de son accueil inconsidéré de plus d’un million de migrants en Allemagne qui traduit sa méconnaissance totale des réalités. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste à une montée des mouvements d’extrême droite qui allient ultranationalisme, islamophobie et méfiance envers Bruxelles. Percevant l’islam comme une menace contre la civilisation européenne, ils se proposent de lutter contre son « islamisation » rampante. C’est le cas du Front National rebaptisé «  Rassemblement National ». Ou de l’Allemagne  qui a été le théâtre de manifestations antimusulmanes de la part de groupuscules racistes d’extrême-droite, comme PEGIDA (Les Européens Patriotes contre l’Islamisation de l’Occident) qui sont dénoncés par la majorité de l’opinion. L’intégration des populations  musulmanes présentes en Europe et l’enrayement des flux migratoires que risque d’entraîner l’explosion démographique en Afrique apparaît donc comme un des principaux défis, quasi existentiel, qu’elle devra affronter.  

Ibrahim Tabet

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