Thursday, June 2, 2016

Réflexions autour du centenaire de la bataille de Verdun                 
La bataille de Verdun  (février-décembre 1916) fut  une des plus grande bataille de l’histoire,  et sans doute la dernière grande victoire remportée par l’armée française sans le  concours de ses alliés.   Ce fut aussi   une des dernières batailles associant  les tactiques du XIXe siècle  à  la terrifiante puissance de feu des   armes  du XXe siècle,  avec des   dizaines  de milliers de soldats s’élançant à  découvert,   poitrine nue,  en rangs serrés,  à   l’assaut des tranchées ennemies, sous une pluie d’obus et le  feu nourri des mitrailleuses. Le résultat fut un horrible  carnage : plus de 700.0000 morts, disparus ou blessés,  français et allemands.  Les  leçons  qu’on peut en tirer sont nombreuses.  Sur le plan militaire, si la  guerre de quatorze-dix-huit  se traduisit par d’énormes pertes au combat, du moins  les civils furent  relativement épargnés. Ce ne  fut pas le cas des conflits ultérieurs.  Particulièrement la Seconde guerre mondiale avec son cortège de villes  écrasées   sous les bombes, d’atrocités indicibles et de génocides.   Le   courage  des  « poilus »  de l’époque  n’avait d’égal que   le  peu  de scrupule de certains généraux,  comme Nivelle,  à  les envoyer à  une mort certaine  (à  la différence, il est vrai,   d’un Pétain,  plus économe de leur sang).   Deux   phénomènes impensables aujourd’hui   les soldats occidentaux, sont moins  disposés à verser leur sang pour leur patrie, et la moindre perte, amplifiée  par les medias est un véritable drame national.  Comme si une guerre avec zéro mort était possible.  Attitude qui contraste avec le fanatisme des candidats au jihad,   prêts   à  mourir  et même à mener  des  attaques  suicide au nom d’Allah.
Le peu d’enthousiasme  des Occidentaux  à  aller jusqu’au sacrifice suprême pour   leur pays,  et encore moins pour leur foi,  ainsi que l’improbabilité de l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale,  s’expliquent  par plusieurs facteurs, géopolitiques, idéologiques, sociétaux et religieux. Sur le plan géopolitique,  ses  principales causes sont le triomphe des démocraties libérales  sur les idéologies totalitaires - fascisme et communisme-, la montée du pacifisme,  et un recul du nationalisme. Ou plutôt l’émergence d’un nationalisme apaisé  qui a permis la réconciliation franco-allemande et  a empêché  l’éclatement de  guerres entre démocraties,    depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.  Si  ce recul relatif  n’a donc pas eu que  des aspects négatifs,  il n’en est pas de même de la crise  des  valeurs  profanes et  religieuses qui ont formé l’ossature de  la civilisation occidentale.  Le sentiment national n’a pas été remplacé  par un sentiment d’appartenance à  une Europe,  victime du désamour de ses citoyens,  des égoïsmes nationaux,  et du rejet des directives arbitraires de   technocrates non-élus à  Bruxelles, représenté  par le courant souverainiste.  L’idéal républicain d’égalité et de fraternité est battu en brèche  par la dictature des marchés financiers, la mondialisation et l’impératif de compétitivité. D’un côté, les  inégalités de richesse se creusent de plus en plus. Et de l’autre une mentalité d’assisté entrave toute velléité de  réforme de l’État providence. Les  partis de gauche et de droite prônent, peu ou prou,  la même politique  économique et sociale.  La laïcité est menacée par un communautarisme rampant.  Bien que j’y adhère personnellement, l’idéal kantien   d’une morale laïque pouvant se substituer à  la morale religieuse s’est avéré,  chez bien des personnes, et dans bien des cas,  illusoire. Le matérialisme, la permissivité et l’hédonisme règnent en maîtres.   Et sans être fondamentaliste on peut se demander si le mariage pour tous et la possibilité pour les couples du même sexe d’élever des enfants constitue un progrès moral.   L’humanisme  et,  même si on peut la déplorer,   la  déchristianisation de l’Europe,  se sont certes  accompagnés  d’une plus grande tolérance envers les autres religions.  Cependant  la montée de l’islamophobie et de l’extrême droite semble démentir cette vision optimiste, bien  que  la crainte, suscitée notamment par le terrorisme islamiste,  soit compréhensible. Et  l’on ne peut  que comparer le refus égoïste de l’Europe d’accueillir des réfugiés avec le cas  du Liban qui a la plus forte  proportion de réfugiés au monde par rapport à  sa population  et à  sa superficie. .
En dépit des  thèses  de la droite traditionnelle et des cassandres de la décadence occidentale,  l’amollissement des vertus européennes, propre aux sociétés repues,  est  toutefois  relatif.  Il  existe toujours  des gens  prêts à se mobiliser pour des causes  qu’ils estiment justes,  comme en témoignent  les manifestations  monstres contre la  loi  légalisant le mariage pour tous. Et les attentats de Paris n’ont fait que renforcer la détermination des autorités  françaises, soutenue par l’opinion publique,  à lutter contre Daech et  le terrorisme transnational.  Pas dessus tout,  les   valeurs occidentales fondées sur  les  droits de l’homme  sont  celles auxquelles aspire  tout homme épris de liberté et de dignité.  Et le sort des Européens,  ainsi que leur qualité de vie,  est infiniment plus enviable que celui des citoyens de bien d’autres régions du monde. En particulier le monde arabo-musulman en proie au fanatisme islamiste et sévissent des régimes autoritaires et corrompus.  A preuve que c’est vers l’Europe que fuient les victimes des violences sectaires qui y font rage. Cet  afflux  et la  croissance démographique des musulmans d’Europe, dont certains refusent d’adopter les coutumes de leur pays d’accueil,  représentent-ils  une menace sur les fondements de la civilisation européenne ?  Existe-t-il un  véritable état  de guerre entre l’Europe et le terrorisme islamiste ?  Celui-ci risque-t-il de faire un nombre insupportable de victimes européennes, se comptant par milliers, voire d’avantage ? La question se poserait s’il n’existait pas un  tel  écart technologique et  militaire   entre d’une part  les groupes terroristes et  d’autre part les armées et les forces de maintien de l’ordre européennes.   On a en effet  affaire en l’occurrence à une guerre   hybride,  asymétrique et de basse intensité, même si elle entretient un climat d’insécurité en Europe.  Et la fiction d’une guerre menée contre de tels groupes, avec zéro  mort parmi les forces armées, sinon les civils,   occidentaux,   deviendra peut-être la réalité de demain  avec l’usage intensif de drones et de robots.  Elle a été préfigurée par   l’invasion américaine de l’Irak le rapport des morts était de un à  cent entre les troupes américaines et irakiennes.  Ce qui montre que, même dans les guerres conventionnelles,  les batailles,  comme celles de Verdun,   appartiennent au passé.

Ibrahim Tabet , Juin 2016.