Réflexions
autour du centenaire de la bataille de Verdun
La bataille de Verdun
(février-décembre 1916) fut une
des plus grande bataille de l’histoire, et sans doute la dernière grande victoire remportée
par l’armée française sans le concours
de ses alliés. Ce fut aussi une des dernières batailles associant les tactiques du XIXe siècle à la terrifiante puissance de feu des armes
du XXe siècle, avec des
dizaines de milliers de soldats
s’élançant à découvert,
poitrine nue, en rangs serrés, à l’assaut des
tranchées ennemies, sous une pluie d’obus et le
feu nourri des mitrailleuses. Le résultat fut un horrible carnage : plus de 700.0000 morts,
disparus ou blessés, français et
allemands. Les leçons
qu’on peut en tirer sont nombreuses. Sur le plan militaire, si la guerre de quatorze-dix-huit se traduisit par d’énormes pertes au combat,
du moins les civils furent relativement épargnés. Ce ne fut pas le cas des conflits ultérieurs. Particulièrement la Seconde guerre mondiale
avec son cortège de villes écrasées sous les bombes, d’atrocités indicibles et
de génocides. Le courage
des « poilus » de l’époque
n’avait d’égal que le peu de
scrupule de certains généraux, comme
Nivelle, à les envoyer à une mort certaine (à
la différence, il est vrai, d’un Pétain,
plus économe de leur sang).
Deux phénomènes impensables
aujourd’hui où les soldats occidentaux, sont moins disposés à verser leur sang pour leur patrie,
et où la moindre perte, amplifiée par les medias est un véritable drame national. Comme si une guerre avec zéro mort était
possible. Attitude qui contraste avec le
fanatisme des candidats au jihad, prêts à mourir et même à mener des attaques suicide au nom d’Allah.
Le peu d’enthousiasme des Occidentaux à aller jusqu’au sacrifice suprême pour leur pays,
et encore moins pour leur foi, ainsi que l’improbabilité de l’éclatement
d’une nouvelle guerre mondiale, s’expliquent
par plusieurs facteurs, géopolitiques, idéologiques,
sociétaux et religieux. Sur le plan géopolitique, ses principales causes sont le triomphe des démocraties libérales sur les idéologies totalitaires - fascisme et
communisme-, la montée du pacifisme, et un
recul du nationalisme. Ou plutôt l’émergence d’un nationalisme apaisé qui a permis la réconciliation
franco-allemande et a empêché l’éclatement de guerres entre démocraties, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si ce
recul relatif n’a donc pas eu que des aspects négatifs, il n’en est pas de même de la crise des
valeurs profanes et religieuses qui ont formé l’ossature de la civilisation occidentale. Le sentiment national n’a pas été remplacé par un sentiment d’appartenance à une Europe, victime du désamour de ses citoyens, des égoïsmes nationaux, et du rejet des directives arbitraires
de technocrates non-élus à Bruxelles, représenté par le courant souverainiste. L’idéal républicain d’égalité et de fraternité
est battu en brèche par la dictature des
marchés financiers,
la mondialisation et l’impératif de compétitivité. D’un côté, les inégalités de richesse se creusent de plus en
plus. Et de l’autre une mentalité d’assisté entrave toute velléité de réforme
de l’État providence. Les partis de gauche et de droite prônent, peu ou
prou, la même politique économique et sociale. La laïcité est menacée par un communautarisme
rampant. Bien que j’y adhère
personnellement, l’idéal kantien d’une
morale laïque pouvant se substituer à la morale religieuse s’est avéré, chez bien des personnes, et dans bien des cas,
illusoire. Le matérialisme, la
permissivité et l’hédonisme règnent en maîtres.
Et sans être fondamentaliste on peut se
demander si le mariage pour tous et la possibilité
pour les couples du même sexe d’élever des enfants constitue un progrès moral. L’humanisme
et, même si on peut la déplorer, la déchristianisation
de l’Europe, se sont certes accompagnés d’une plus grande tolérance envers les autres
religions. Cependant la montée de l’islamophobie et de l’extrême
droite semble démentir cette vision optimiste, bien que la
crainte, suscitée notamment par le terrorisme islamiste, soit compréhensible. Et l’on ne peut que comparer le refus égoïste de l’Europe d’accueillir
des réfugiés avec le cas du Liban qui a la plus
forte proportion de réfugiés au monde par rapport à sa
population et à sa superficie. .
En dépit des thèses
de la droite traditionnelle et des
cassandres de la décadence occidentale,
l’amollissement des vertus européennes, propre aux sociétés repues, est
toutefois relatif. Il existe toujours des gens prêts à se mobiliser pour des causes qu’ils estiment justes, comme en témoignent les manifestations monstres contre la loi légalisant
le mariage pour tous. Et les attentats de Paris n’ont fait que renforcer la
détermination des autorités françaises,
soutenue par l’opinion publique, à
lutter contre Daech et le terrorisme
transnational. Pas dessus tout, les valeurs occidentales fondées sur les
droits de l’homme sont celles auxquelles aspire tout homme épris de liberté et de
dignité. Et le sort des Européens, ainsi que leur qualité de vie, est infiniment plus enviable que celui des
citoyens de bien d’autres régions du monde. En particulier le monde
arabo-musulman en proie au fanatisme islamiste et où sévissent des régimes
autoritaires et corrompus. A preuve que
c’est vers l’Europe que fuient les victimes des violences sectaires qui y font
rage. Cet afflux et la
croissance démographique des musulmans d’Europe, dont certains refusent
d’adopter les coutumes de leur pays d’accueil, représentent-ils une menace sur les fondements de la civilisation
européenne ? Existe-t-il un véritable état
de guerre entre l’Europe et le terrorisme islamiste ? Celui-ci risque-t-il de faire un nombre
insupportable de victimes européennes, se comptant par milliers, voire
d’avantage ? La question se poserait s’il n’existait pas un tel
écart technologique et militaire entre d’une part les groupes terroristes et d’autre part les armées et les forces de
maintien de l’ordre européennes. On a en effet affaire en
l’occurrence à une guerre hybride, asymétrique et de basse intensité, même si
elle entretient un climat d’insécurité en Europe. Et la fiction d’une guerre menée contre de
tels groupes, avec zéro mort parmi les
forces armées, sinon les civils, occidentaux,
deviendra peut-être la réalité de demain
avec l’usage intensif de drones et de robots. Elle a été préfigurée par l’invasion
américaine de l’Irak où le rapport des morts était de un à cent entre les troupes américaines et
irakiennes. Ce qui montre que, même dans
les guerres conventionnelles, les
batailles, comme celles de Verdun, appartiennent au passé.
Ibrahim Tabet , Juin 2016.