Thursday, June 25, 2015

Charlie Hebdo et après ?
On ne peut comprendre  les questions  soulevées par  les attentats terroristes  de janvier 2015  à  Paris contre Charlie Hebdo  et un hypermarché casher,  sans les situer dans le contexte   du modèle  français de laïcité  républicaine et de la place de l’islam en France.  Je me propose  ensuite d’aborder les questions des défis posés par la guerre contre  le terrorisme islamiste,  l’intégration des musulmans et les risques de communautarisme.
Laïcité et anticléricalisme
La genèse du modèle  français de laïcité qui constitue une exception mondiale  dans sa radicalité  remonte à  la Révolution.   L’alliance entre le trône et l’autel fit qu’à l’époque  les révolutionnaires  français  ne pouvaient  qu’abattre à  la fois  le pouvoir monarchique  et celui  de l’Eglise. Anticléricalisme dont héritèrent les radicaux-socialistes sous la Troisième République   qui menèrent une véritable guerre contre la religion catholique  avec  la fermeture des écoles religieuses, l’interdiction et l’expulsion des congrégations de l’Hexagone et la  rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège.  Cette guerre   ne prit fin qu’avec le vote de la loi de 1905  de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Et quand le général de Gaulle revint aux affaires il ne  manqua pas de souligner : «  la République est laïque, mais la France est chrétienne ».       
Il existe cependant toujours en France une sorte de fondamentalisme laïc  anticlérical,  concomitant avec la déchristianisation du pays. Culture à  laquelle  appartient Charlie Hebdo qui n’a pas  non plus épargné les symboles religieux  chrétiens.   Et qui se manifeste par l’acharnement du Parti socialiste à saper les fondements de la morale chrétienne avec par exemple la légalisation  du mariage pour tous.
La question musulmane
À partir des années 1960, le principal défi posé au modèle républicain français est l’intégration économique et sociale de la communauté musulmane et son interférence avec le problème algérien.  Dans une conversation privée avec Alain Peyrefitte en 1959,  Charles de Gaulle a aussi mis en avant les racines chrétiennes de la France (il s'agissait alors pour lui de démontrer l'impossibilité d'une fusion de la France et de l’Algérie voulue par les partisans de l’Algérie française) et il évoquait les conséquences d'une augmentation de l'islam en France : «  si  l'Algérie était intégrée sans restrictions à la  métropole, si tous les  Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises mais Colombey-les-Deux-mosquées ! »
Avec la politique de regroupement familial,  la France devint  le pays européen ayant la plus forte proportion et le plus grand nombre de musulmans. C’est aussi le seul ayant un tel contentieux historique avec une partie de sa population musulmane  dont la mémoire collective reste marquée par la guerre d’Algérie.  L’augmentation  de la population musulmane et sa concentration dans certains quartiers des grandes villes et leurs banlieues soulignent l’importance de la question. L’écrasante majorité des musulmans se comportent conformément aux lois et pratiques de la République. Mais des études font état d’un lien entre immigration et délinquance, tout en l’attribuant au chômage et à l’exclusion. De larges franges de l’opinion s’inquiètent d’un éventuel danger, du moins culturel, lié à l’islamisme, pour le pays. Inquiétude qui favorise la montée de l’islamophobie qui a remplacé l’antisémitisme. Ainsi que  celle de .l’extrême droite représentée par le Front National. Une des réponses apportée à ce problème par le gouvernement a été la création en 2002 d’un Conseil français du culte musulman afin d'organiser une représentation des musulmans français. Cela, bien que l'État français ne reconnaisse pas légalement les origines ethniques et religieuses.
L’affaire du voile à l’école éclata à cette époque. Votée en mars 2004, une loi interdit les « signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l’école ». Au-delà d’une affirmation identitaire, le port du voile traduit souvent une attitude de défi. Comment expliquer autrement que des jeunes femmes veuille  porter ce signe ostensible d’appartenance religieuse qui  les expose au rejet de l’autre ? Afficher ainsi sa différence (pour ne pas parler de revendications de type religieux dans les cantines d’écoles, piscines, hôpitaux ou autres…) ne fait qu’accroître l’islamophobie.  Face à ce problème Nicolas Sarkozy décide de créer un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Il s’agissait de substituer «  un islam de France à un islam en France ». Mais devant le peu de succès de cette politique il lance, en janvier 2010, un débat sur l’identité nationale. Ayant entrainé une polémique sur l’islam et des dérapages xénophobes, ce débat est toutefois abandonné.
Les attentats terroristes de janvier 2015
Commis par de jeunes musulmans français endoctrinés par El Qaeda, les attentats terroristes islamistes, perpétrés à Paris en janvier 2015, contre Charlie Hebdo et un hypermarché casher risquent de raviver l’islamophobie. Cela, bien que les responsables politiques, président de la République en tête, aient mis en garde contre la  tentation de l’amalgame et appelé à l’unité nationale ; et que les autorités religieuses musulmanes de France les aient vivement dénoncés. Le retentissement de ces événements dans le pays et dans le monde a été considérable. Dans le monde musulman l’opinion était, comme il fallait s’y attendre,  partagée entre réprobation et soutien. La majorité modérée jugeant ces actes criminels comme  néfastes à l’image de l’islam. Et les milieux islamistes radicaux s’en réjouissant. En France des millions de personnes ont participé, à travers le pays, à des « marches républicaines » de solidarité envers les victimes et pour la défense de la liberté d’expression, auxquelles se sont associés, à Paris, une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement étrangers. Ils ont suscité d’intenses débats, et d’innombrables commentaires sur les réseaux sociaux, notamment sur les rapports entre les communautés musulmane, juive et chrétienne de France. Ainsi que sur la liberté de la presse. Certaines voix ayant évoqué les limites à ne pas dépasser et déploré l’inutile provocation auquel s’est livrée Charlie Hebdo. La proclamation «  Je suis Charlie »  est en effet  ambigüe et il existe une différence entre appuyer la liberté d’expression, dénoncer la barbarie  et approuver les provocations d’un journal qui exploite la haine des religions. Le Premier ministre israélien, quant à lui, n’a pas manqué d’instrumentaliser  la peur des Français de confession juive pour les inviter à émigrer en Israël.
Les cibles des attentats : un commerce « juif » et des journalistes ayant caricaturé Mahomet, montrent toutefois qu’il s’agit moins d’un problème spécifique à l’Hexagone que d’une menace globale. Certes, ils ont été perpétrés par des citoyens français. Mais cela ne devrait pas conduire à les expliquer principalement par l’exclusion dont seraient victimes les musulmans français. Ils sont en effet largement liés à d’autres facteurs : crise de l’islam et montée du fanatisme islamiste. Conflit israélo-arabe à forte dimension religieuse alimentant l’hostilité des musulmans envers les Juifs. Et guerre contre les groupes jihadistes menée par l’Occident dont la France est le fer de lance en Afrique. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement français de réaffirmer sa détermination à ne pas renoncer à sa participation à cette nouvelle guerre mondiale, différente de celles qui l’ont précédée. Le défi étant de trouver, sur la scène intérieure, un équilibre entre liberté et sécurité. Les autres risques étant un regain du discours communautaire et la peur d’une supposée menace musulmane. Par pure coïncidence d’ailleurs, au moment où se déroulaient ces événements, jouant sur cette propension des Français à se faire peur. Michel Houelbeck décrivait dans son roman-fiction «  Soumission » une France gouvernée par un parti musulman en 2022. Et dans « Le suicide français », Eric Zeimour, analysait la perte de valeurs qui, selon lui, caractérise la France depuis mai 68, et dénonçait le communautarisme et l’action corrosive de l’immigration musulmane sur le modèle de laïcité républicaine.
L’exception française
En Grande-Bretagne  les signes ostentatoires d’appartenance religieuse ou ethnique dans l’espace public ne choquent plus personne. Et une loi interdisant le port du voile islamique dans les établissements d’enseignement et la fonction publique serait impensable. Au nom des libertés, le communautarisme y est au contraire considéré comme un facteur de paix sociale favorisant le vivre-ensemble au sein de la société.  Dans  la  majorité des pays européens   l’Etat  est neutre : certains, comme l’Allemagne, connaissent un régime de concordat. Et il existe dans d’autres une religion officielle : le catholicisme en Irlande ; l’orthodoxie en Grèce ; le luthérianisme au Danemark ; et l’anglicanisme en Angleterre où le souverain est en même temps le chef de l’Église. Pour ses défenseurs le modèle anglo-saxon de sécularisation est supposé se prêter mieux au respect des valeurs religieuses et communautaires que la laïcité à la française. Sans vouloir trancher dans le débat sur les mérites ou les effets pervers respectifs des deux modèles, on ne peut que constater qu’ils rencontrent en Europe les mêmes difficultés à intégrer les  communautés musulmanes.
Dans ce contexte la réaffirmation par l’Europe de  ses  valeurs «  judéo-chrétiennes » peut    paraître  comme un antidote face au défi  supposé de l’islam. Lequel  formerait   selon la terminologie de Toynbee un « prolétariat intérieur » et un « prolétariat extérieur » frappant à ses portes et menaçant sa civilisation.  Cependant la prophétie du choc des civilisations n’avait pas prévu que la menace de l’islamisme radical  sur le monde musulman dépasse celle qu’il fait peser sur l’Occident 

Ibrahim Tabet   



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