Charlie Hebdo et après ?
On ne peut comprendre les questions soulevées par
les attentats terroristes de
janvier 2015 à Paris contre Charlie Hebdo et un hypermarché casher, sans les situer dans le contexte du modèle
français de laïcité républicaine et
de la place de l’islam en France. Je me
propose ensuite d’aborder les questions
des défis posés par la guerre contre le
terrorisme islamiste, l’intégration des
musulmans et les risques de communautarisme.
Laïcité et anticléricalisme
La genèse du modèle
français de laïcité qui constitue une exception mondiale dans sa radicalité remonte à la Révolution. L’alliance entre le trône et l’autel fit qu’à
l’époque les révolutionnaires français ne pouvaient
qu’abattre à la fois le pouvoir monarchique et celui de l’Eglise. Anticléricalisme dont héritèrent
les radicaux-socialistes sous la Troisième République qui menèrent une véritable guerre contre la
religion catholique avec la
fermeture des écoles religieuses, l’interdiction et l’expulsion des
congrégations de l’Hexagone et la
rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Cette guerre
ne prit fin qu’avec le vote de la
loi de 1905 de séparation de l’Eglise et
de l’Etat. Et quand le général de Gaulle revint aux affaires il ne manqua pas de souligner : « la
République est laïque, mais la France est chrétienne ».
Il existe cependant toujours en France une sorte de
fondamentalisme laïc anticlérical, concomitant avec la déchristianisation du
pays. Culture à laquelle appartient Charlie Hebdo qui n’a pas non plus épargné les symboles religieux chrétiens.
Et qui se manifeste par l’acharnement du Parti socialiste à saper les
fondements de la morale chrétienne avec par exemple la légalisation du mariage pour tous.
La question musulmane
À partir des années 1960, le principal défi posé au modèle républicain
français est l’intégration économique et sociale de la communauté musulmane et
son interférence avec le problème algérien. Dans une conversation
privée avec Alain Peyrefitte en 1959,
Charles de Gaulle a aussi mis en avant les racines chrétiennes de
la France (il s'agissait alors pour lui de démontrer l'impossibilité d'une
fusion de la France et de l’Algérie voulue par les partisans de l’Algérie
française) et il évoquait les conséquences d'une augmentation de l'islam en
France : « si l'Algérie était
intégrée sans restrictions à la métropole, si tous les Arabes et
Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les
empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y
est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait
plus Colombey-les-Deux-Eglises mais
Colombey-les-Deux-mosquées ! »
Avec la politique de regroupement familial, la France devint le pays européen ayant la plus forte
proportion et le plus grand nombre de musulmans. C’est aussi le seul ayant un tel contentieux historique avec une partie
de sa population musulmane dont la
mémoire collective reste marquée par la guerre d’Algérie. L’augmentation de la population musulmane et sa concentration
dans certains quartiers des grandes villes et leurs banlieues soulignent
l’importance de la question. L’écrasante majorité des musulmans se
comportent conformément aux lois et pratiques de la République. Mais des études
font état d’un lien entre immigration et délinquance, tout en l’attribuant au
chômage et à l’exclusion. De larges franges de l’opinion s’inquiètent d’un
éventuel danger, du moins culturel, lié à l’islamisme, pour le pays. Inquiétude
qui favorise la montée de l’islamophobie qui a remplacé l’antisémitisme. Ainsi que celle de .l’extrême droite
représentée par le Front National. Une des réponses apportée à ce problème par
le gouvernement a été la création en 2002 d’un Conseil français du culte musulman afin d'organiser
une représentation des musulmans français. Cela, bien que l'État français ne
reconnaisse pas légalement les origines ethniques et religieuses.
L’affaire du voile à l’école éclata à cette
époque. Votée en mars 2004, une loi interdit les « signes manifestant
ostensiblement une appartenance religieuse à l’école ». Au-delà d’une
affirmation identitaire, le port du voile traduit souvent une attitude de défi.
Comment expliquer autrement que des jeunes
femmes veuille porter ce signe
ostensible d’appartenance religieuse qui
les expose au rejet de l’autre ? Afficher ainsi sa différence (pour ne pas
parler de revendications de type religieux dans les cantines d’écoles,
piscines, hôpitaux ou autres…) ne fait qu’accroître l’islamophobie. Face à ce
problème Nicolas Sarkozy décide de créer un ministère de l’immigration et de l’identité
nationale. Il s’agissait de substituer « un islam de France à un islam en
France ». Mais devant le peu de succès de cette politique il lance, en
janvier 2010, un débat sur l’identité nationale. Ayant entrainé une polémique
sur l’islam et des dérapages xénophobes, ce débat est toutefois abandonné.
Les attentats terroristes de janvier 2015
Commis par de jeunes musulmans français endoctrinés par
El Qaeda, les attentats terroristes islamistes, perpétrés à Paris en janvier
2015, contre Charlie Hebdo et un hypermarché casher risquent de raviver
l’islamophobie. Cela, bien que les responsables politiques, président de la
République en tête, aient mis en garde contre la tentation de l’amalgame et appelé à l’unité
nationale ; et que les autorités religieuses musulmanes de France les
aient vivement dénoncés. Le retentissement de ces événements dans le pays et
dans le monde a été considérable. Dans le monde musulman l’opinion était, comme
il fallait s’y attendre, partagée entre
réprobation et soutien. La majorité modérée jugeant ces actes criminels comme néfastes à l’image de l’islam. Et les milieux
islamistes radicaux s’en réjouissant. En France des millions de personnes ont
participé, à travers le pays, à des « marches républicaines » de
solidarité envers les victimes et pour la défense de la liberté d’expression,
auxquelles se sont associés, à Paris, une quarantaine de chefs d’État et
de gouvernement étrangers. Ils ont suscité d’intenses débats, et d’innombrables
commentaires sur les réseaux sociaux, notamment sur les rapports entre les
communautés musulmane, juive et chrétienne de France. Ainsi que sur la liberté
de la presse. Certaines voix ayant évoqué les limites à ne pas dépasser et
déploré l’inutile provocation auquel s’est livrée Charlie Hebdo. La
proclamation « Je suis Charlie » est en effet
ambigüe et il existe une différence entre appuyer la liberté
d’expression, dénoncer la barbarie et approuver
les provocations d’un journal qui exploite la haine des religions. Le Premier
ministre israélien, quant à lui, n’a pas manqué d’instrumentaliser la peur des Français de confession juive pour
les inviter à émigrer en Israël.
Les cibles des attentats : un commerce
« juif » et des journalistes ayant caricaturé Mahomet, montrent
toutefois qu’il s’agit moins d’un problème spécifique à l’Hexagone que d’une
menace globale. Certes, ils ont été perpétrés par des citoyens français. Mais
cela ne devrait pas conduire à les expliquer principalement par l’exclusion
dont seraient victimes les musulmans français. Ils sont en effet largement liés
à d’autres facteurs : crise de l’islam et montée du fanatisme islamiste.
Conflit israélo-arabe à forte dimension religieuse alimentant l’hostilité des
musulmans envers les Juifs. Et guerre contre les groupes jihadistes menée par
l’Occident dont la France est le fer de lance en Afrique. Ce qui n’a pas
empêché le gouvernement français de réaffirmer sa détermination à ne pas
renoncer à sa participation à cette nouvelle guerre mondiale, différente de
celles qui l’ont précédée. Le défi étant de trouver, sur la scène intérieure,
un équilibre entre liberté et sécurité. Les autres risques étant un regain du
discours communautaire et la peur d’une supposée
menace musulmane. Par pure coïncidence d’ailleurs, au moment où se déroulaient ces événements, jouant sur cette
propension des Français à se faire peur. Michel Houelbeck décrivait dans son
roman-fiction « Soumission »
une France gouvernée par un parti musulman en 2022. Et dans « Le suicide français », Eric
Zeimour, analysait la perte de
valeurs qui, selon lui, caractérise la France depuis mai 68, et dénonçait le communautarisme et l’action
corrosive de l’immigration musulmane sur le modèle de laïcité républicaine.
L’exception française
En Grande-Bretagne les signes ostentatoires d’appartenance
religieuse ou ethnique dans l’espace public ne choquent plus personne. Et une
loi interdisant le port du voile islamique dans les établissements
d’enseignement et la fonction publique serait impensable. Au nom des libertés,
le communautarisme y est au contraire considéré comme un facteur de paix
sociale favorisant le vivre-ensemble au sein de la société. Dans la
majorité des pays européens
l’Etat est neutre : certains,
comme l’Allemagne, connaissent un régime de concordat. Et il existe dans
d’autres une religion officielle : le catholicisme en Irlande ;
l’orthodoxie en Grèce ; le luthérianisme au Danemark ; et
l’anglicanisme en Angleterre où le souverain est en même temps le chef de
l’Église. Pour ses défenseurs le modèle anglo-saxon de sécularisation
est supposé se prêter mieux au respect des valeurs religieuses et
communautaires que la laïcité à la française. Sans vouloir trancher dans le
débat sur les mérites ou les effets pervers respectifs des deux modèles, on ne
peut que constater qu’ils rencontrent en Europe les mêmes difficultés à
intégrer les communautés musulmanes.
Dans ce contexte la
réaffirmation par l’Europe de ses valeurs « judéo-chrétiennes » peut
paraître comme un antidote face au défi supposé de l’islam. Lequel formerait
selon la terminologie de Toynbee un « prolétariat intérieur »
et un « prolétariat extérieur » frappant à ses portes et menaçant sa
civilisation. Cependant la prophétie du
choc des civilisations n’avait pas prévu que la menace de l’islamisme
radical sur le monde musulman dépasse celle
qu’il fait peser sur l’Occident
Ibrahim Tabet
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