Tuesday, May 26, 2020


La fin des illusions.
  Malgré les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon et la dégradation de leur niveau et de leurs conditions de vie, très peu de Libanais, à  part un cercle étroit d’experts et  d’initiés, étaient au courant de la situation financière catastrophique du pays. Le réveil allait être brutal. Le 17 octobre 2019   la décision malencontreuse du ministre des télécom d’imposer une taxe sur les communications whatsup déclencha le ras-le bol de la population et  un  formidable soulèvement  qui devait  marquer un tournant capital dans l’histoire du Liban. Le caractère pacifique et transcommunautaire du mouvement suscita d’abord un immense espoir de changement,  en dépit des  violences exercées par les nervis du Président de la Chambre et des  contre--manifestations  d’autres  partis lésés.  A travers le pays un même slogan était scandé par les foules contre la classe politique  corrompue en place depuis trente ans : « tous c'est-à-dire tous ». Malgré l’aveuglement des dirigeants et leur volonté de s’accrocher  au pouvoir,  le Premier ministre, Saad Hariri,  fut contraint de donner la démission de son gouvernement le 29 octobre. Mais son espoir d’être reconduit dans ses fonctions s’avéra vain. Et un  nouveau gouvernement présidé par Hassan Diab et formé de technocrates  a été  nommé le 19 décembre 2019. L’ampleur du désastre est cependant telle que  les perspectives de redressement paraissent extrêmement minces. De plus malgré son indépendance de façade le gouvernement doit sa nomination aux politiciens qui ont conduit le pays à la ruine. Et ses détracteurs les plus virulents l’accusent même d’être le « gouvernement du  Hezbollah » pour avoir été désigné pas ce parti et ses alliés du CPL et d’Amal. Si cette accusation  est sans doute excessive, il semble impuissant à mettre en œuvre les réformes structurelles qui s’imposent, même s’il a lucidement  diagnostiqué la situation financière du pays, Ainsi le gouvernement n’a  rien fait sur le dossier de l’électricité qui a coûté des milliards de dollars,  alors que la réforme de ce secteur est une des conditions des donateurs pour venir en aide au Liban. Il na pas été en mesure à ce jour d’adopter une loi sur les contrôles de capitaux, Et  n’a réussi, ni à  contrôler la contrebande aux frontières, ni à  faire passer un train de nomination administratives et judiciaires échappant à  la logique confessionnelle, ni à  mettre un frein à  une inflation vertigineuse. Tout en aggravant la crise,  le confinement provoqué par le coronavirus a entrainé une pose  dans le mouvement de protestation qui risque de reprendre avec cette fois plus de violence. Il est donc  difficile de prévoir l’évolution de la situation politique. Et il semble que la revendication d’organiser des élections législatives anticipées soit remise aux calendes grecques. En revanche les causes de l’effondrement sont connues et sont à la fois structurelles et conjoncturelles, politiques,  économiques, financières et sociales.    
 Au niveau structurel le système politique confessionnel  a  favorisé la corruption,  le clientélisme et le partage du gâteau entre les  leaders communautaires. Tandis  que l’hégémonie du Hezbollah sur le pays en a fait un pariah aux yeux de ses partenaires arabes,  Au niveau économique et financier la politique monétaire suivie   jusqu’ici   par la banque centrale en collusion avec les banques et l’oligarchie politique et d’affaires a contribué  à la crise actuelle. Consistant   à maintenir artificiellement le taux de change  de la livre libanaise et à  offrir des taux d’intérêts  de plus en plus élevés  aux déposants afin d’attirer les capitaux étrangers,  elle   a surtout servi à financer une dette publique insoutenable et un service public hypertrophié et inefficace au détriment des investissements productifs et du secteur privé Jusqu’à ces dernières années  les flux de capitaux provenant en grande partie de la diaspora étaient suffisamment élevés pour maintenir à  flot le système. Mais   la crise économique que connaissent  les pays du Golfe,  leur  défiance  vis-à-vis de l’emprise du Hezbollah sur le gouvernement libanais et les sanctions américaines contre  le parti ont entraîné une baisse sensible de ces flux. Leur diminution assortie d’une  fuite des capitaux  et   du  manque de confiance a creusé le déficit de la balance  des paiements. Tandis que le  déficit budgétaire, causé par le service de la dette et une politique irresponsable  de recrutement et d’augmentation des salaires,  se maintenait à un niveau  élevé (autour de 10% du PIB en 2018). Cette politique et une corruption endémique a eu des conséquences catastrophiques au niveau social  qui se traduisent  par  un creusement des inégalités et un appauvrissement  des classes moyennes et populaire. Sans compter le délabrement  des services publics et des infrastructures malgré une dette publique colossale.
  Aujourd’hui avec la dévaluation de la livre libanaise, les faillites d’entreprises,  les licenciements et un  chômage  de masse,  on estime que plus de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et certaines familles sont au bord de la famine.  Le PIB chutera probablement de 30% en 2020.  La plupart des banques sont virtuellement en faillites ce qui nécessitera une restructuration du secteur. On ne connait pas le montant exact des réserves nettes de la BDL Les déposants n’arrivent pas à retirer leurs dépôts en devises au delà d’un montant mensuel dérisoire, ce qui revient de facto à  un « haircut ».  Et les importations sont réduites aux produits de première nécessité, mettant en péril de nombreuses entreprises. Certes la dévaluation de la livre et la décision du gouvernement de sursoir  au remboursement de  4,5 milliards  d’euro bonds  venant à   échéance en 2020 aura pour effet d’éponger une grande partie de la dette publique,  surtout celle  libellée en monnaie locale. Et un autre effet positif sera une baisse des taux d’intérêts bénéfiques au secteur privé à moyen terme.  Il est cependant douteux que le plan de réformes proposé par le gouvernement, à  supposé qu’il soit mis en œuvre,  ne suffise à redresser la situation et à  éviter la paupérisation de la population.  Et même si le pays parvenait à obtenir l’assistance du Fond Monétaire International et si les promesses d’investissements du programme CEDRE venaient à se concrétiser les Libanais doivent s’attendre à  plusieurs années de vaches faméliques. Bien plus qu’une crise économique et financière, le Liban traverse une profonde crise de régime, une crise institutionnelle et  une crise  morale sans précédent depuis la fin de la guerre.
Ibrahim Tabet


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