Tuesday, May 26, 2020


Vers une nouvelle « formule libanaise » ?

  Lors de l’accession du Liban à   l’indépendance  en 1943,  les chrétiens avaient renoncé à   la protection française et les musulmans  à   l’union avec la Syrie.  Ce pacte communautaire non écrit conclu entre le maronite Béchara el-Khoury et le sunnite Ryad el-Solh,  aussi appelé « formule libanaise »   avait fait dire à  Georges Naccache  que « deux négations ne font pas une nation. » Les communautés religieuses libanaises ont chacune sa propre identité culturelle  et politique qui a évolué avec le temps, Et chacune d’elles a sa propre vision de la vocation du pays et ses propres parrains étrangers, Ces différences priment  sur les conflits de classe et le clivage gauche-droite et structurent la vie politique libanaise, surtout dominée par une lutte de pouvoir et des alliances de circonstances entre les partis politiques confessionnel. Les sunnites qui étaient partisans du nationalisme arabe et de l’union avec la Syrie sont naturellement tournés vers les puissances sunnites : autrefois l’Egypte, maintenant l’Arabie Saoudite. Tandis que les chiites, marginalisés en 1943 et  traditionnellement plus « libanistes » que les sunnites,  car minoritaire au sein de l’ilam,  ils regardent vers l’Iran.  Quant aux chrétiens,  ils sont de tout temps  tournés vers l’Occident et ont été les plus farouchement attachés à l’indépendance du Liban. La plupart des maronites ont  de plus le   sentiment   d’avoir une identité spécifique par rapport à leur environnement arabo-musulman.  Ce sentiment s’appuie sur quatre paramètres. La  différence de  religion.  Une  lecture propre de  l’histoire du Liban,  plus particulièrement de la Montagne libanaise   qui,  de l’émirat à  la  Moutasarrifya   a joui  d’une autonomie relative  au sein de l’Empire ottoman,   alors que le reste du Levant, notamment la Syrie,  était gouvernée directement par la Porte.   Argument qui ne saurait évidemment s’appliquer à  la côte qui  relevait des vilayets de Tripoli et de  Saïda, puis de  Beyrouth.  Enfin  le « phénicanisme » idéologie faisant remonter l’origine  mythique du Liban  à la Phénicie  en dépit  de la fin de sa civilisation et de son hellénisation partielle  au  IVe  siècle  avant Jésus  Christ  et  surtout   de treize siècles d’arabisation.  Enfin  le pluralisme culturel   libanais  et en particulier sa  dimension francophone qui fait sa spécificité par rapport à  son environnement.  Si   les sunnites  n’ont  évidemment pas la même  perception de l’histoire et de  l’identité du Liban,  la nature  dictatoriale  du régime syrien  dominé par un clan alaouite ne peut que renforcer  leur attachement à  l’entité    libanaise  et achever de couper leur   lien ombilical avec  la Syrie.  
 Depuis la  fin de la guerre  libanaise en 1990  et l’éclatement de la guerre en Syrie  en 2011. l’on peut  observer certains changements sensibles au niveau du rapport des communautés libanaises entre elles,  à  celui  des  perceptions  qu’elles ont de   leurs identités   respectives  ainsi qu’ à  celui   de leur vision concernant l’avenir du pays. Trois  tendances lourdes  ont vu le jour  à ces  niveaux :    Premièrement un ralliement de la majorité des  maronites, les plus réticents à cet égard, à l’arabité du Liban,  auquel fait pendant  une libanisation des musulmans. C’est le cas  en particulier des sunnites  ayant depuis longtemps renoncé au  rêve  d’unité arabe et devenus hostiles au régime syrien.   En second lieu et plus récemment la naissance d’un clivage  sunnite-chiite. Enfin l’exacerbation des crispations identitaires phénomène d’ailleurs   mondial. Mais y a toutefois peu de risque que cette crispation remettre en question l’entité libanaise   ou provoque un nouveau conflit confessionnel au vu  des dures leçons de la guerre de quinze ans.
 L’inquiétude des chrétiens  a cependant été ravivée  par les ambitions hégémoniques du Hezbollah et   la  montée d’un islamisme sunnite radical  jugé encore  plus dangereux que l’intégrisme chiite.  Ce facteur explique l’adhésion de certains chrétiens  à la thèse de l’alliance des minorités (chrétienne, chiite, alaouite et druze). Et il est l’une des raisons de l’alliance  du   CPL avec le  Hezbollah qui se pose  en rempart face à la menace des  jihadistes  sunnites. Mais l’autre raison ayant motivé cette alliance  est  la soif du pouvoir du fondateur du CPL, le  général  Aoun,   qui a conclu un pacte faustien avec le « Parti de Dieu »  consistant à lui assurer  une couverture chrétienne en échange de son appui pour accéder à  la présidence de la République. 
   La nature transcommunautaire du soulèvement du 17 octobre 2019 a pu laisser  croire à  un dépassement de ces divisions.  Mais le 25 mai 2020 la déclaration d’un dignitaire religieux chiite a  fait l’effet d’une bombe au Liban<. Dans son « homélie », cheikh Kabalan a enterré la formule libanaise de 1943 et conséquemment de l’accord de Taëf  signifiant  par là  que les chiites ne veulent plus du système  politique  en vigueur.  A savoir le  partage à  égalité  des sièges parlementaires entre chrétiens et musulmans remplacé par la formule des trois tiers  et  l’attribution exclusive des deux têtes du pouvoir exécutif aux maronites et aux sunnites  et entendent changer la Constitution. Si  « Deux négations ne font pas une nation ». A  plus forte  raison  trois !     Il  est clair qu’il existe aujourd’hui une vision chiite   de l’identité du Liban opposée à  la fois à  celle des  communautés chrétienne  et sunnite, lesquelles  ne sont ni  semblables ni unifiées ;   et  que le clivage sunnite – chiite est plus profond que l’ancienne opposition entre chrétiens et musulmans.  Ces  contradictions,  cette déclaration   et les ambitions hégémoniques  du Hezbollah   ne peuvent  qu’entrainer  d’importantes   conséquences  politiques difficiles à prévoir. On peut  néanmoins s’attendre à  une  reconfiguration et à  un  réalignement   des alliances politiques, s’agissant notamment des partis chrétiens les plus divisés.
 Face à l’intention prêtée à la communauté chiite de remettre en question la Constitution et à la présence de deux millions de réfugiés syriens et palestiniens au Liban, beaucoup de chrétiens pensent que seule une fédération à la Suisse, peut leur éviter de subir le statut des Coptes, voire pire, le sort des chrétiens d'Irak, et garantir la pérennité de leur présence au Liban. Mais il est douteux que cela mène à une meilleure gouvernance. Et la perspective d’un canton chrétien gouverné par des leaders de l’acabit de ceux qui l’ont fait depuis trente ans n’est guerre séduisante. Une formule moins   controversée,  prévue  d’ailleurs par  l’accord de Taëf est le bicamérismes avec une chambre basse élue sur une base non confessionnelle et un Sénat représentatif des communautés, assortis d’une décentralisation administrative.

    



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