Le crépuscule du Levant
« Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »
Paul Valéry
L’essor et le déclin des civilisations, des empires et
des nations est une constante historique. L’Europe occidentale n’atteignit le niveau de
développement qui était le sien avant les invasions barbares de l’Empire romain d’Occident qu’à
la Renaissance. Et après avoir dominé le
monde, au XIXe siècle, elle est aujourd’hui en déclin. Un déclin toutefois très relatif comparé à celui du monde arabe
et particulièrement au sort actuel
des pays du Levant : la Palestine pratiquement rayée de la carte et
l’Irak, la Syrie et le Liban qui font figure d’Etats
faillis. Ancienne appellation du
Proche-Orient dans la vision européocentrique du monde, le Levant
revêtait, comme l’écrit Edward
Saïd dans « l’Orientaliste », une
image moins romantique que dépréciative,
justifiée par l’avance prise par
l’Occident sur l’Orient à partir de la
révolution scientifique et industrielle.
C’était occulter le legs de
l’Orient à la civilisation occidentale et le fait que
le Levant vit l’aube de la révolution agricole et fut le berceau des plus anciennes
civilisations, de l’invention de
l’écriture et des trois monothéismes. Au Moyen Age la
civilisation arabo-musulmane était plus
avancée que celle de l’Europe
occidentale jusqu'à la destruction de Bagdad par les Mongols au XIIIe siècle. Le Levant entra dès lors en décadence et sa civilisation brillante a été succédée par un long crépuscule. La « Nahda », suivie
de l’accès à l’indépendance des pays du Levant au sortir de la Deuxième Guerre mondiale a fait naître un espoir de redressement. Déjà au XIX siècle le Liban était en avance culturellement sur le reste du Levant
ployant sous le joug ottoman. Et Il a vécu un âge d’or durant les trente première
années de son indépendance. Tandis que
la Syrie et l’Irak étaient gouvernés par
des dictatures militaires adeptes d’un
socialisme étatique économiquement inefficace. Que, depuis la « Nakba »
le sort du peuple palestinien n’a jamais
été aussi désespéré. Et qu’en Égypte les lumières de la civilisation levantine
cosmopolite dont Alexandrie fut l’un des phares se sont éteintes. Divisé et impuissant, le monde arabe est soumis à l’hégémonie américaine et marginalisé par les héritiers des deux anciens grands empires historiques
de la région : l’Iran et la
Turquie. Enfin, même
s’il ne s’agit nullement d’exonérer l’Etat d’apartheid d’Israël, on
dirait que l’histoire a donné raison à la légende biblique selon laquelle Yahvé aurait favorisé Isaac, fils de
l’épouse légitime d’Abraham, Sara, par rapport à Ismaël fils de l’esclave,
Agar, et ancêtre mythique des Arabes. Jamais ces derniers n’étaient en effet tombés
aussi bas que maintenant, tandis qu’alors que les Hébreux avaient été réduits
en esclavage par les Égyptiens et vaincus et occupés par les Assyriens, les
Babyloniens et les Perses, Israël est aujourd’hui la première puissance militaire
du Moyen- Orient. Et les quinze millions
de juifs comptent 137 prix Nobel alors que un milliard cinq cent millions de musulmans
n’en ont décroché que sept. Si l’ensemble du monde arabo-musulman est affecté par la régression culturelle causée
par la montée de l’islamisme qui menace
également tous les régimes arabes, ce sont
cependant ( en plus de la Lybie
et le Yémen qui n’en font pas partie) les pays du Levant dont le sort est le plus
dramatique : la Palestine du fait de l’occupation et de l’oppression
israélienne , l’Iraq depuis l’invasion américaine qui a enfanté Daech, et
dont 80% de la population chrétienne a pris le
chemin de l’exil, la Syrie en
proie à une guerre dévastatrice alimentée
par des interventions étrangères ayant fait près de quatre cent mille morts, et le Liban dont l’effondrement économique et financier actuel a été aussi soudain que catastrophique par la
faute de ses propres dirigeants corrompus et du fait de l’action corrosive du
Hezbollah. En revanche, alors que l’horizon des héritiers des Sumériens, des
Phéniciens et des Omeyades n’a jamais paru aussi sombre, les fils des bédouins
de la péninsule arabique connaissent une prospérité insolente. Mohammed Ben
Salman est entrain de réformer les structures sociales moyenâgeuses de l’Arabie
Saoudite. Et c’est aux Émirats
et non à Beyrouth, autrefois pôle culturel de la région que le Louvre a établi
une antenne. Mais la responsabilité du naufrage du Liban ne saurait être imputée à l’immense majorité
des Libanais, en particulier de sa
jeunesse dont le soulèvement est porteur d’espoir. Et le développement des pays
du Golfe est en partie redevable au dynamisme de la diaspora libanaise.
Ibrahim
Tabet
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