Thursday, October 6, 2016

Le nouveau tsar,  l’Occident et l’islamisme


Les interventions militaires de Moscou en Ukraine et en Syrie doivent être replacées dans le contexte historique des rapports entre l’orthodoxie d’un côté, et le catholicisme et l’islam de l’autre. Et elles montrent que la confrontation entre la Russie et les puissances occidentales regroupées au sein de l’OTAN n’a pas pris fin avec la chute de l’URSS. Avant le schisme entre l’orthodoxie et la catholicité en 1054, la foi orthodoxe constituait, depuis le baptême du prince Vladimir de Kiev en 988, une partie intégrante de l’identité russe et fut la force qui modela et unifia la nation. Elle joua un rôle mobilisateur dans la lutte que mena le peuple russe pour se libérer du joug que les   Tatars musulmans de la Horde d’Or lui avaient fait subir entre le treizième et le quatorzième siècle. La croisade des chevaliers Teutoniques, battus par saint Alexandre Nevski (1242), aggrava l’antagonisme entre le christianisme occidental et l’orthodoxie russe qui perdure jusqu'à nos jours. Au cours du XIVe et du XVe siècle, Polonais et Lituaniens catholiques avaient dominé les confins occidentaux du domaine originel de la société orthodoxe russe. C’est de cette époque que date le clivage existant en Ukraine entre une partie occidentale partiellement catholique et tournée vers l’Occident et une partie orientale russophone et russophile. Après la chute de Constantinople en 1453, le flambeau de l’orthodoxie fut relevé par la « sainte Russie ». Les théologiens russes élaborèrent une théorie qui faisait du tsar le chef et le défenseur de la religion orthodoxe. Pour eux, Dieu avait puni Constantinople pour avoir accepté, au Concile de Florence, en 1439, l’acte d’union qui reconnaissait la suprématie du pape sur l’Église tout entière. Et sa chute faisait de l’Église orthodoxe russe celle de la troisième Rome. Le sentiment national en formation repose désormais sur l’identité entre Russe et orthodoxeLes réformes du patriarche Nikon (1652 -1666) suscitent l’opposition des tenants de la dévotion traditionnelle, ou Vieux-croyants qui rejettent l’occidentalisation qui gagne les élites à partir du règne de Pierre le Grand, dénoncée également par les slavophiles. Durant le XIXe siècle les tsars s’érigent en protecteurs des sujets orthodoxes de l’Empire ottoman et des Lieux saints de Jérusalem et de Bethlehem que se disputaient religieux orthodoxes et catholiques protégés par la France. Querelle qui fut le prétexte, en 1860, de la guerre de Crimée. Celle-ci, et surtout la défense héroïque de la Crimée  par l’armée rouge contre l’envahisseur allemand lors de la Seconde guerre mondiale, restent  gravées dans la mémoire collective des Russes. Elle explique leur attachement à cette terre russe cédée à l’Ukraine par Khrouchtchev du temps cette dernière faisait partie de l’URSS. A partir du XVIe siècle Moscou étendit progressivement sa domination aux peuples musulmans d’Asie centrale et du Caucase qui l’avaient autrefois vassalisé, et la guerre sans merci que l’Empire russe mena contre la résistance de ces derniers au XIXe siècle reprit en Tchétchénie après la chute de l’URSS. Cela n’empêche pas le Kremlin de cultiver ses relations avec les 20 millions de musulmans  que compte la Fédérations de Russie, notamment à travers un contrôle étroit de son clergé.     

 Aujourd’hui les dirigeants politiques russes sont uniformément respectueux de la religion soutenue par le gouvernement. Dans le pacte tacite entre le président Poutine et l’Église orthodoxe, l’orthodoxie sert de fondement permettant de s’opposer à l’Occident, dont le président et le patriarche dénoncent de concert les dérives cosmopolites et libertaires. Tandis que les médias russes entretiennent un discours apocalyptique sur la décadence de l’Europe envahie par des « hordes d’immigrants ». Embrasser la foi orthodoxe est pour le Kremlin une source d’influence à l’étranger. L’orthodoxie constitue un élément essentiel de la stratégie de Vladimir Poutine et de sa vision du rôle de la Russie dans le monde. Afin d’affirmer ce lien, il a effectué en 2005 une visite hautement symbolique au Mont Athos. En rendant hommage à un des lieux les plus sacré du monde orthodoxe, il s’est posé en défenseur de la foi orthodoxe. Rôle qu’avaient joué autrefois les tsars, et dont ils s’étaient prévalus lors de leurs guerres contre l’Empire ottoman et de leurs interventions en faveur des chrétiens des Balkans et du Levant. D’ailleurs un des motifs légitimant, aux yeux du patriarcat de Moscou, l’intervention militaire russe en Syrie est la défense de sa minorité chrétienne, face au « fanatisme » islamiste ; perception qui vaut aujourd’hui à la Russie un regain de popularité parmi les chrétiens d’Orient. Cela étant dit, cette considération est secondaire par rapport aux  objectifs  géopolitiques infiniment plus importants pour Vladimir Poutine. La menace que ferait peser l’islamisme radical sur la Fédération de Russie, justifiant une lutte tous azimuts contre les  jihadistes qui ont commis plusieurs attentats terroristes sur son sol. La volonté de redonner à la Russie un statut de grande puissance de premier plan en s’assurant d’une base en Méditerranée orientale. Celle   de contrer l’acharnement américain à la pousser dans ses derniers retranchements, illustré par l’avancée de l’OTAN jusqu'à ses portes en dépit des engagements pris lors de l’unification  allemande. Sans oublier les considérations économiques, la Syrie étant à la fois un passage  obligé pour les oléoducs transportant le pétrole du Golfe vers la Méditerranée et un pays potentiellement producteur de gaz offshore. Rien n’illustre mieux la politique d’encerclement de la Russie poursuivie par Washington que la crise en Ukraine, en partie alimentée par ses  services de renseignement, mais aussi par l’offre  inconsidérée des Européens à Kiev  d’association à l’UE. Il est d’ailleurs symptomatique que plusieurs responsables européens s’élèvent contre l’ostracisme pratiqué envers la Russie qui dessert les intérêts de l’Europe. Et que la question de « l’annexion » de la Crimée et du contrôle russe du Donbass soit passée au second plan des préoccupations de l’Alliance atlantique.


Ibrahim Tabet, octobre 2016 

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