La politique française a-t-elle tout faux au Proche - Orient ?
Qui se souvient du
discours prémonitoire de Dominique de Villepin à
l’ONU, le 7 mars 2003, où, s’élevant contre la détermination affichée
des Etats-Unis d’envahir l’Irak, il mettait
en garde contre les conséquences désastreuses qu’entraînerait cette
agression ? « La France, déclarait-il,
pense que l’usage de la force risque
d’attiser les rancœurs et les haines, d’alimenter un choc des identités, un
affrontement des cultures. […] S’agit-il de changer le régime de Bagdad ?
Personne ne méconnait la cruauté de cette dictature […] Mais la force ne constitue certainement pas le
meilleur moyen d’apporter la démocratie. S’agit-il de lutter contre le
terrorisme ? La guerre ne ferait que l’accroitre, et nous pourrions faire
face à une nouvelle vague de violence. […] S’agit-il enfin de remodeler le
paysage politique au Moyen-Orient ? Alors nous prenons le risque
d’accroitre les tensions dans une région déjà marquée par une grande
instabilité. D’autant qu’en Irak même, la multiplicité des communautés et des
religions est une source de divisions. […]
Le monde sera t-il plus en sécurité après une intervention militaire en
Irak ? Je veux vous dire la conviction de mon pays : non 1 ».
Si l’on remonte plus loin dans le temps, que reste-t-il de la posture gaullienne
d’indépendance par rapport à Washington,
de son rêve d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, et de la « politique arabe » de la
France qu’il a initiée, et dont Jacques Chirac a été le dernier héritier ?
Depuis
la présidence de Nicolas Sarkozy, et surtout celle de François Hollande, la
politique étrangère de la France a eu tout faux au Proche-Orient. En politique étrangère, Nicolas Sarkozy,
mettant fin à la politique d’indépendance vis-à - vis de
Washington, a procédé a un réalignement
de la politique française sur les Etats-Unis et en faveur d’Israël, les deux
objectifs étant probablement liés dans son esprit. En 2009, la France réintègre le commandement de l’OTAN. Elle apparaît également comme l’un des pays les plus en
pointe contre le régime iranien sur le dossier du nucléaire. La décision la
plus lourde de conséquence de sa présidence a
toutefois été l’intervention militaire française en Libye en 2011, promue
par le sulfureux Bernard Henri Levy, sioniste notoire. Outrepassant le mandat de l’ONU, et sous
prétexte de protéger les populations civiles, elle a aboutit à ce qui
était probablement son véritable objectif : Le renversement du régime de Mouammar Kadhafi. Ses répercussions se font toujours sentir aujourd’hui : Chaos tribal et désintégration de la Lybie. Plus
grave, au regard des intérêts français
et européens : apparition d’un repaire de
terroristes islamistes menaçant l’Europe et l’Afrique Sub-saharienne. Enfin
afflux de réfugiés en Europe que le dictateur libyen avait au
moins l’avantage d’endiguer.
Comme si les leçons des répercussions catastrophique de la politique de changement
de régime en Irak et en Libye n’avait
pas été retenues, la politique française vis-à-vis de la Syrie a commis les mêmes erreurs. Plus royaliste que le roi américain, Roland Fabius
a déclaré au début du déclenchement du soulèvement contre Bachar el Assad que celui-ci « ne méritait tout
simplement pas de vivre sur terre ! » Son parti-pris flagrant en faveur d’Israël l’a
amené à surenchérir en matière d’intransigeance sur les Américains
dans les négociations ayant abouti à l’accord sur le nucléaire iranien. Choix sans
doute également dicté par le souci du gouvernement français de complaire aux riches
pétromonarchies du Golfe, alors que l’Arabie Saoudite et le Qatar
wahhabites financent généreusement les mouvements islamistes. N’eut-été la sage décision de Barak Obama de s’abstenir
de bombarder les forces fidèles au régime syrien, François Hollande était
prêt à
le faire, ce qui aurait ouvert les portes de Damas aux islamistes radicaux et vidé la Syrie de la majorité de
ses habitants chrétiens comme c’est déjà
le cas en Irak.
Aujourd’hui,
il apparaît de plus en plus clairement que, grâce à l’intervention russe, le régime syrien n’est pas prêt de tomber et qu’il constitue, que cela plaise ou non, un
rempart contre le terrorisme islamiste.
Washington en a d’ailleurs implicitement pris acte et considère
désormais que l’ennemi principal n’est pas Bachar el Assad, qui n’a jamais
constitué une menace terroriste contre l’Occident, mais Daech qui voue une haine inexpiable contre les «croisés et les juifs » et dont
l’objectif déclaré est de porter la
guerre contre l’Occident considéré comme « dar el harb ». Il est temps que le gouvernement
français admette qu’il s’est trompé
d’ennemi et qu’il procède à une
révision radicale de sa politique au
Moyen-Orient. D’autant plus que la vague d’attentats terroristes dont la
France est victime montre qu’elle est
davantage visée par Daech et les autres organisations jihadistes que la lointaine Amérique. Cela dit,
ce n’est pas en intensifiant les bombardements aériens contre Daech en
Syrie et en Iraq que la vague d’attentats terroristes sur le sol français
pourra être enrayée. C’est
surtout sur le front intérieur que se situe l’enjeu de la lutte contre ce
fléau. Malheureusement, quel que soient
les mesures sécuritaires supplémentaires que pourra prendre le gouvernement, il n’existe pas de
risque zéro en la matière et les Français devront apprendre à vivre jusqu'à
nouvel ordre avec le terrorisme. Enfin le
renforcement des moyens de lutte antiterroriste n’éliminerait pas pour autant l’idéologie
qui a enfanté les kamikazes. Autrement plus
efficace seraient
un certain nombre de mesures visant à l’émergence d’un islam
européen, telles que par exemple la formation des imams et l’interdiction du
financement des lieux de cultes musulmans par des institutions ou gouvernements
étrangers. Sur un autre plan, il est temps que
le gouvernement français se
rapproche de la Russie qui est un allié
naturel dans la lutte contre le terrorisme islamiste. N’est-ce pas
d’ailleurs ce que font les Américains sur le dossier syrien, alors qu’ils instrumentalisent la prétendue menace de l’ours russe pour justifier le maintien de
l’OTAN dont la principale raison
d’être depuis la chute de l’URSS est de garder les pays européens sous leur coupe. Mais le gouvernement
actuel a perdu toute crédibilité sur tous ces dossiers, et il faudra sans doute attendre les
prochaines élections présidentielles pour que la France ait une chance de
recouvrer une quelconque influence au Proche-Orient.
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Cité par Henri
Laurens dans L’Orient arabe à l’heure
américaine, Hachette 2008, p. 223, et dans mon livre La
France au Liban et au Proche-Orient, Editions de la Revue Phénicienne,
2012, p. 271.
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