Tuesday, August 2, 2016

La politique française  a-t-elle tout faux au Proche - Orient ?

Qui se souvient du  discours prémonitoire de Dominique de Villepin à  l’ONU, le 7 mars 2003,  , s’élevant contre la détermination affichée des Etats-Unis d’envahir l’Irak, il mettait  en garde contre les conséquences désastreuses qu’entraînerait  cette agression ? « La France, déclarait-il,   pense que l’usage de la force risque d’attiser les rancœurs et les haines, d’alimenter un choc des identités, un affrontement des cultures. […] S’agit-il de changer le régime de Bagdad ? Personne ne méconnait la cruauté de cette dictature […] Mais  la force ne constitue certainement pas le meilleur moyen d’apporter la démocratie.  S’agit-il de lutter contre le terrorisme ? La guerre ne ferait que l’accroitre, et nous pourrions faire face à une nouvelle vague de violence. […] S’agit-il enfin de remodeler le paysage politique au Moyen-Orient ? Alors nous prenons le risque d’accroitre les tensions dans une région déjà marquée par une grande instabilité. D’autant qu’en Irak même,  la multiplicité des communautés et des religions est une source de divisions.  […] Le monde sera t-il plus en sécurité après une intervention militaire en Irak ? Je veux vous dire la conviction de mon pays : non 1 ».
Si l’on remonte plus loin dans le temps,  que reste-t-il de la posture gaullienne d’indépendance par rapport à  Washington, de son rêve d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural,  et de la «  politique arabe » de la France qu’il a initiée, et dont Jacques Chirac a été le dernier héritier ?   Depuis la présidence de Nicolas  Sarkozy,  et surtout celle de François Hollande, la politique étrangère de la France a eu tout faux au Proche-Orient.  En politique étrangère, Nicolas Sarkozy, mettant fin  à  la politique d’indépendance vis-à - vis de Washington,  a procédé a un réalignement de la politique française sur les Etats-Unis et en faveur d’Israël, les deux objectifs étant probablement liés dans son esprit.  En 2009, la France réintègre  le commandement  de l’OTAN. Elle apparaît  également comme l’un des pays les plus en pointe contre le régime iranien sur le dossier du nucléaire. La décision la plus lourde de conséquence de sa présidence a  toutefois été l’intervention militaire française en Libye en 2011, promue par le sulfureux Bernard Henri Levy, sioniste notoire.  Outrepassant le mandat de l’ONU, et sous prétexte de protéger   les populations civiles,   elle  a  aboutit à  ce qui était probablement son véritable objectif : Le  renversement du  régime de Mouammar Kadhafi. Ses répercussions    se font toujours sentir aujourd’hui : Chaos  tribal et désintégration de la Lybie. Plus grave,  au regard des intérêts français et européens : apparition  d’un   repaire de  terroristes islamistes menaçant l’Europe et l’Afrique Sub-saharienne. Enfin  afflux de réfugiés en Europe  que le dictateur libyen  avait  au  moins l’avantage  d’endiguer.
Comme si les leçons des répercussions   catastrophique de la politique de changement de régime  en Irak et en Libye n’avait pas été retenues, la politique française vis-à-vis de la Syrie  a commis les mêmes erreurs.  Plus royaliste que le roi américain,  Roland Fabius  a déclaré au début du déclenchement du soulèvement contre  Bachar el Assad  que celui-ci «  ne méritait tout simplement pas de vivre sur terre !  » Son  parti-pris flagrant en faveur d’Israël l’a amené à  surenchérir  en matière d’intransigeance sur les Américains dans les négociations ayant abouti  à  l’accord sur le nucléaire iranien. Choix sans doute également dicté par le souci du gouvernement français de complaire aux riches  pétromonarchies  du Golfe,  alors que l’Arabie Saoudite et le Qatar wahhabites  financent généreusement  les mouvements islamistes.  N’eut-été  la sage décision de Barak Obama de s’abstenir de bombarder les  forces fidèles  au régime syrien, François Hollande était prêt à  le faire,  ce qui aurait ouvert  les portes de Damas aux islamistes  radicaux et vidé la Syrie de la majorité de ses habitants  chrétiens comme c’est déjà le cas en Irak.
Aujourd’hui,  il apparaît de plus en plus clairement  que,  grâce à l’intervention russe,  le régime syrien n’est pas prêt de tomber  et qu’il constitue, que cela plaise ou non, un rempart contre le terrorisme islamiste.  Washington en a d’ailleurs implicitement pris acte et considère désormais que l’ennemi principal n’est pas Bachar el Assad,  qui n’a jamais  constitué une menace terroriste contre l’Occident,    mais Daech  qui voue  une haine inexpiable contre les  «croisés et les juifs »  et dont l’objectif déclaré  est de porter la guerre contre l’Occident considéré comme « dar el harb ».   Il est temps que le gouvernement français  admette qu’il s’est trompé d’ennemi et qu’il procède   à une révision  radicale de sa politique au Moyen-Orient. D’autant plus que la vague d’attentats terroristes dont la France  est victime montre qu’elle est davantage visée par Daech et les autres organisations  jihadistes que la lointaine Amérique.  Cela dit,  ce n’est pas en intensifiant les bombardements aériens contre Daech en Syrie et en Iraq que la vague d’attentats terroristes sur le sol français pourra être enrayée. C’est surtout sur le front intérieur que se situe l’enjeu de la lutte contre ce fléau.  Malheureusement, quel que soient les mesures sécuritaires supplémentaires que pourra  prendre le gouvernement, il n’existe pas de risque zéro en la matière et les Français devront apprendre à vivre jusqu'à nouvel ordre avec le terrorisme. Enfin le  renforcement des moyens de lutte antiterroriste n’éliminerait pas pour autant l’idéologie qui a enfanté les kamikazes. Autrement plus efficace seraient  un certain nombre de  mesures visant à l’émergence d’un islam européen, telles que par exemple la formation des imams et l’interdiction du financement des lieux de cultes musulmans par des institutions ou gouvernements étrangers. Sur un autre plan, il est temps que  le gouvernement français  se rapproche de la Russie qui est un allié naturel dans la lutte contre le terrorisme islamiste.  N’est-ce pas  d’ailleurs ce que font les Américains sur le dossier syrien,  alors qu’ils instrumentalisent  la prétendue menace de l’ours russe  pour justifier le  maintien de  l’OTAN dont la principale  raison d’être depuis la chute de l’URSS est de garder les pays européens sous leur coupe. Mais le gouvernement actuel a perdu toute crédibilité sur tous ces dossiers,  et il faudra sans doute attendre les prochaines élections présidentielles pour que la France ait une chance de recouvrer une quelconque influence au Proche-Orient.
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Cité  par Henri Laurens dans L’Orient arabe à l’heure américaine, Hachette 2008, p. 223,  et dans mon livre  La France au Liban et au Proche-Orient, Editions de la Revue Phénicienne, 2012, p. 271.  

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