Le crépuscule d’un monde et le naufrage
du Liban
Ce
livre est un recueil actualisé des articles que j’ai écrits sur l’histoire
contemporaine, les questions de
société et le fait religieux. Né
il y a trois-quarts de siècle, le soir de ma vie s’accompagne du crépuscule de mon monde. Libanais et Français de nationalités et de cœur, il m’a été donné d’assister au naufrage du Liban et d’éprouver le sentiment de déclin de la
France. Citoyen d’un monde menacé par un
désastre écologique, le bilan catastrophique de la pandémie du coronavirus illustre à mes yeux « l’insoutenable
légèreté » de la condition humaine et de notre civilisation postmoderne. Est-il
concevable que, malgré les progrès de la médecine, nous soyons réduits à nous
calfeutrer chez nous pour prévenir la propagation de la maladie ? Que
resurgissent les grandes peurs, comme celles que provoquait la peste au Moyen
âge ? Grandeur et misère de
la condition humaine ! Les dieux ont-ils voulu punir les hommes d'avoir
voulu les égaler après les avoir mis à mort ? Je
doute que le transhumanisme qui croit que les
progrès de la biologie et de l’intelligence artificielle fabriqueront un
post-humain aux capacités supérieures à celles des êtres actuels créera « le meilleur des mondes ».
Attaché à mon identité culturelle chrétienne bien qu’agnostique,
j’observe avec tristesse l’inexorable érosion de la présence chrétienne en
Orient et avec effroi la menace de la montée de l’islamisme radical sur la région et
le monde. Un monde désenchanté par le déclin des idéologies profanes et où le crépuscule de Dieu en Europe contraste avec son retour
vengeur au sein de l’islam, accréditant la thèse du choc des civilisations.
[…] Comme
les individus, des pays peuvent changer de visage sans changer de nom. C’est le
cas du Liban d’antan dont j’ai fait mon deuil. Trente ans après la fin de la
guerre du Liban (1975-1990), l’hégémonie du Hezbollah, la venue au pouvoir d’une classe politique
corrompue et la mauvaise gouvernance ont provoqué l’effondrement du pays, dont la situation est encore plus
désespérée que durant ces quinze années de braise. Et, comble de malheur !
Une explosion cataclysmique au port de Beyrouth, le 4 août 2020, a dévasté le cœur de la ville faisant
plus de 200 morts s’ajoutant aux victimes du Covid 19. Je
ne pense pas que ma génération verra le bout du tunnel, mais me console en me
disant que mes fils et mes petits-enfants vivent en Europe loin de ce paradis
perdu que fut le pays des Cèdres.
[…] J’ai eu
la chance de vivre en France durant la décennie où le général de Gaulle était revenu aux affaires et présidait
aux destinées du pays. Cette grande
époque et les trente glorieuses où la France jouissait du plein emploi appartiennent à
un passé révolu. Tandis que la montée du
séparatisme musulman et le mouvement des Gilets jaunes révèlent la profondeur des clivages de la société française.
[…] L’essor et le déclin des
civilisations, des empires et des nations est une constante historique. L’Europe
occidentale n’atteignit le niveau de développement qui était le sien avant les
invasions barbares de l’Empire romain
d’Occident qu’à la Renaissance. Et après avoir dominé le monde au XIXe siècle,
elle est aujourd’hui en déclin. La chronique annoncée du déclin de
l’Occident est un thème récurent et ses
nouveaux cassandres dénoncent l’anémie des
valeurs fondatrices de la civilisation occidentale. C’est le cas d’Éric Zemmour
qui dans « Le suicide françai », analyse la perte de valeurs qui caractérise la France depuis mai 68.
Et de Michel Onfray qui dans « Décadence »,
retrace la naissance, la croissance puis la sénescence de la civilisation judéo-chrétienne. Le
relativisme
culturel et moral, la théorie du genre et la légalisation du mariage pour tous, bien que pouvant passer pour des signes
d’humanisme et de tolérance, sapent en réalité les fondations de la société. On dirait que le complexe de supériorité de « l’homme
blanc » a fait place aujourd’hui à un sentiment de honte envers lui-même
et son histoire. La dénonciation
du colonialisme de l’antisémitisme et de l’islamophobie versant parfois dans un
sentiment de repentance et de culpabilisation.
Les grandes
idéologies laïques (nationalisme, libéralisme, socialisme, communisme) dont la
naissance a autrefois été favorisée par « la mort de Dieu » sont
moribondes ou, comme le communisme, ont rejoint Dieu dans la tombe, créant un
vide de sens au sein de la société de consommation occidentale. Tandis
que
l’européisme, victime du désamour de beaucoup de citoyens
européens envers l’Union européenne, peine à
être une idéologie de remplacement
[…] La crise de l’Union européenne
est infiniment moins grave que celle du monde arabe en proie à la régression culturelle causée par le cancer
islamiste et partagé en sphères
d’influence entre les États-Unis, la Russie, et les héritiers des deux grands
empires historiques de la région : l’Iran et la Turquie. Parallèlement à la
réislamisation de la Turquie, le « nouveau sultan », Recep
Tayyip Erdogan, veut rétablir l’influence de son pays au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord sur des terres qui firent jadis partie de l’Empire ottoman. Et
la République islamique, héritière de l’ancien Empire perse dont elle a repris
à son compte les ambitions hégémoniques, s’emploie à constituer un arc chiite
s’étendant de l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie. Tandis qu’Israël est le principal bénéficiaire de la dislocation du
monde arabe et de son impuissance.
Un chapitre du livre est consacré au sort de la Syrie envers qui
j’éprouve des sentiments ambivalents. Je me sens proche de son peuple et
compatis aux souffrances qu’il endure depuis 2011, année de l’éclatement de la
guerre civile et étrangère qui y fait encore rage. Mais j’en
veux à son régime qualifié « d’Etat
de barbarie » par Michel Seurat pour son rôle négatif au Liban et les
horreurs perpétrées contre sa propre population.
L’émergence de l’islamisme présente beaucoup
de similitude avec le communisme et le nazisme : même nature totalitaire
et pouvoir de mobilisation d’autant plus grand qu’il se réfère à la sacralité
du Coran. L’instrumentalisation par l’islamisme d’un levier encore plus puissant que les idéologies laïques, celui de
la religion, laisse craindre qu’il ne mette encore plus de temps à être vaincu
que le communisme et qu’on ne découvre pas de si tôt un vaccin contre ce
mal. Si le monstre Daech a été écrasé militairement cela n’a pas pour autant
mis fin aux attentats terroristes.
[…] Alors que les riverains de la
« mare nostrum » romaine faisaient partie d’une même civilisation les
Européens la voient comme une voie de
passage de flux migratoires indésirables, voire de terrorisme. Dans l’Antiquité la Méditerranée était le centre du monde, puis
celui-ci, franchissant l’Atlantique, s’est déplacé de l'Europe aux États-Unis et est en passe de traverser le
Pacifique vers la Chine qui va bientôt retrouver le rang de première économie
mondiale qu’elle occupait jusqu’au XVIIIe siècle, méritant à nouveau son nom
« d'Empire du Milieu ». Cette montée en puissance n’est pas sans
inquiéter l’Occident. Surtout les États-Unis qui craignent de perdre le statut d’unique
superpuissance mondiale qui est le leur depuis la chute de l’URSS et
considèrent de plus en plus la Chine comme leur principal adversaire avant la
Russie.
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