Sunday, December 6, 2015

Questions pour le troisième millénaire.  
A l’aube du troisième millénaire l’accélération du progrès scientifique a profondément changé notre vision du monde. La génétique est entrain de décrypter les codes du vivant. La neurobiologie : les lois physico-chimiques gouvernant l’interaction entre le cerveau et la pensée. La cosmologie est en voie de savoir comment est né notre univers. (Mais pas ce qu’il y avait « avant », s’il retournera au néant après « la brève histoire du temps » et s’il n’y a pas d’autres univers). Elle est en mesure de reconstituer son évolution depuis le big bang jusqu'à l’homme à travers les lois du hasard et de la nécessité. Nous savons maintenant comment l’enchainement des évolutions nucléaire, chimique, biologique et enfin anthropologique, ainsi que la montée de la complexité ont, pour employer les mots d’Hubert Reeves, « accouché de la conscience ». La question du rapport entre l’esprit et la matière est entrain d’être élucidée. Ainsi le monisme avait raison contre le dualisme cartésien puisqu’il s’avère que  fondamentalement, espace et temps, matière, énergie et esprit ne font qu’un : l’esprit étant une propriété de la matière qui elle-même est née de l’esprit.
Quel ou « qui » est cet esprit ? Cette cause première et cette fin dernière, à la foi immanente et transcendant l’espace et le temps  que l’antique théosophie appelait « L’Ame du monde » et les Francs-maçons  le « Grand Architecte » de l’univers ? Pour les religions, il ne peut s’agir que de Dieu. Le Dieu personnel des juifs, des chrétiens et des musulmans, ou le Brahman suprême des hindouistes. Existe-t-il ? Pourquoi et comment aurait-il créé le monde ? Enfin y a t-il un dessein cosmique qui aurait une fin éthique ?
Ce sont ces questions auxquelles essayent de répondre la philosophie, la gnose, tentative raisonnée de démontrer l’existence de Dieu, et l’ontologie, science de l’Etre. Pour Kant cependant un être relatif ne pourra jamais, à travers sa « raison pure » connaître l’absolu et nous ne le saurons jamais. Pour le matérialisme athée, Dieu n’existe pas. Quant à Hegel, le plus grand représentant de l’idéalisme, il ne croit pas à l’existence d’un Dieu personnel, mais affirme celle d’un Esprit Absolu connaissable, «  la raison étant la réalité primordiale de l’univers ». La science, elle, ne s’occupe que du « comment » et n’a rien à dire sur le « pourquoi  » qui ne relève pas de sa compétence mais de la philosophie et de la foi. 
Une foi cependant de plus en plus battue en brèche par les progrès de la science et ce que Max Weber a appelé « le désenchantement du monde »,   c’est à dire la « sortie du monde magique de la religion ». L’idée que l’homme n’est qu’une étape de l’évolution vers un être supérieur émise par des penseurs aussi opposés que Nietzche et Teilhard de Chardin est en passe de devenir réalité. Cet être supérieur ne sera cependant pas le produit d’une sélection naturelle. Pour, «  devenir ce qu’il est », selon les termes de Nietzche, l’homme prendra le relai de la création de la main de « Dieu ». La convergence de la biotechnologie et de l’informatique laisse en effet prévoir la « fin de l’homme » et la naissance d’une post-humanité probablement constituée de cyborgs (c’est à dire d’organismes cybernétiques) asexués et presque immortels. Ces êtres avancés seront des hommes transgéniques dans lesquels on aura implanté un ordinateur connecté à la fois à leur cerveau et à un réseau infiniment plus performant que celui d’aujourd’hui.  Parallèlement, les hommes entreront sans doute en contact avec des êtres intelligents habitant d’autres planètes et ayant sans doute leurs propres dieux.
On peut se demander dans ces conditions quel sera le sort de nos religions révélées actuelles et quelle place occupera la foi dans un monde de plus en plus « désenchanté ». Il est probable que la post-humanité qui apparaîtra au cours du troisième millénaire aura pour les  religions du Livre  le même regard que celui que nous jetons aujourd’hui sur les divinités de l’Egypte antique et ses hiéroglyphes sacrés.
La mort des religions révélées ne signifiera cependant sans doute pas la mort d’une forme de  théisme et de la morale naturelle. La science et la philosophie ne répondent en effet qu’au besoin de la raison. Il est donc probable que la quête de sens et d’éthique et d’une forme de religiosité auront  toujours leur place dans le monde de demain. A moins que le nouvel homme cloné, cybernétique et asexué décrit par Houellebecq dans  Les particules élémentaires ne soit également dépourvu de cœur, ce qui signifierait également la mort de l’amour et de l’art.
De quel type de religion s’agira t-il ? La tendance actuelle au syncrétisme signifierait-elle qu’une nouvelle religion universelle voit le jour ? A moins que ne l’emporte le courant individualiste et éclectique conduisant au refus des vérités toutes faites, et qu’à la limite chacun se fasse sa propre religion ? La fascination de l’Occident pour le Bouddhisme, religion ou plutôt sagesse sans dieu, et l’abandon par le christianisme de beaucoup de croyances autrefois inébranlables, laisse prévoir que la sphère de compétence de la, ou des, religions de demain sera plus étroite. Se focalisant davantage sur les questions morales, elles feront définitivement l’impasse sur les visions naïves, comme celles encore héritées de la Bible, et sur les assertions que la science peut réfuter. C’est le cas par exemple de la croyance en l’existence d’une âme immortelle séparée du corps vouée à un paradis ou un enfer eternel ou à la fusion ultime dans le Brahman suprême. 
De son côté la science deviendra moins matérialiste. La physique quantique a montré qu’au niveau subatomique, l’univers ressemblait plus à une vaste pensée qu’à une immense machine. Sa réalité fondamentale sous-jacente est celle d’un champ immatériel doté d’intelligence et d’une certaine « liberté ». Plus la science progresse, plus se confirme qu’il y a une limite physique au-delà de laquelle notre seule raison est impuissante à expliquer la réalité. Cet effondrement d’un modèle réducteur purement matérialiste et déterministe est une réhabilitation des thèses idéalistes et spiritualistes par la physique moderne et pourrait  laisser entrevoir une convergence entre la religion et la science. Les particules élémentaires auraient de ce point de vue une certaine analogie avec les intuitions de la tradition ésotérique, la notion d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit absolu de Hegel. Cette convergence peut mener à une nouvelle étape du savoir, une « métascience » qui succédera à la métaphysique. Ce « métasavoir » métalogique et holistique intégrera, dans des états supérieurs de conscience, rationalisme et mysticisme en dépassant les catégories du langage et nos schémas de pensée dualistes. Il sera peut-être fondé, non seulement sur l’héritage intellectuel et moral de l’humanité mais sur celui d’habitants d’autres planètes. Il n’est même pas impossible qu’ils inventent ensemble une nouvelle divinité moins humano centrique et se rapprochant plus de l’Etre qui Est.

Ibrahim Tabet    

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