Questions pour le troisième millénaire.
A l’aube du troisième millénaire l’accélération du
progrès scientifique a profondément changé notre vision du monde. La génétique
est entrain de décrypter les codes du vivant. La neurobiologie : les lois
physico-chimiques gouvernant l’interaction entre le cerveau et la pensée. La
cosmologie est en voie de savoir comment est né notre univers. (Mais pas ce
qu’il y avait « avant », s’il retournera au néant après « la
brève histoire du temps » et s’il n’y a pas d’autres univers). Elle est en
mesure de reconstituer son évolution depuis le big bang jusqu'à l’homme à travers les lois
du hasard et de la nécessité. Nous savons maintenant comment l’enchainement des
évolutions nucléaire, chimique, biologique et enfin anthropologique, ainsi que
la montée de la complexité ont, pour employer les mots d’Hubert Reeves,
« accouché de la conscience ». La question du rapport entre l’esprit
et la matière est entrain d’être élucidée. Ainsi le monisme avait raison contre
le dualisme cartésien puisqu’il s’avère que fondamentalement, espace et temps, matière,
énergie et esprit ne font qu’un : l’esprit étant une propriété de la
matière qui elle-même est née de l’esprit.
Quel ou « qui » est cet esprit ? Cette cause
première et cette fin dernière, à la foi immanente et transcendant l’espace et
le temps que l’antique théosophie appelait « L’Ame du monde » et
les Francs-maçons le « Grand Architecte » de l’univers ? Pour
les religions, il ne peut s’agir que de Dieu. Le Dieu personnel des juifs, des chrétiens
et des musulmans, ou le Brahman suprême des hindouistes. Existe-t-il ?
Pourquoi et comment aurait-il créé le monde ? Enfin y a t-il un dessein
cosmique qui aurait une fin éthique ?
Ce sont ces questions auxquelles essayent de répondre
la philosophie, la gnose, tentative raisonnée de démontrer l’existence de Dieu,
et l’ontologie, science de l’Etre. Pour Kant cependant un être relatif ne
pourra jamais, à travers sa « raison pure » connaître l’absolu et
nous ne le saurons jamais. Pour le matérialisme athée, Dieu n’existe pas. Quant
à Hegel, le plus grand représentant de l’idéalisme, il ne croit pas à l’existence
d’un Dieu personnel, mais affirme celle d’un Esprit Absolu connaissable,
« la raison étant la réalité primordiale de l’univers ». La science,
elle, ne s’occupe que du « comment » et n’a rien à dire sur le
« pourquoi » qui ne relève pas de sa compétence mais de la
philosophie et de la foi.
Une foi cependant de plus en plus battue en brèche par
les progrès de la science et ce que Max Weber a appelé « le
désenchantement du monde », c’est à dire la « sortie du monde
magique de la religion ». L’idée que l’homme n’est qu’une étape de
l’évolution vers un être supérieur émise par des penseurs aussi opposés que Nietzche
et Teilhard de Chardin est en passe de devenir réalité. Cet être supérieur ne
sera cependant pas le produit d’une sélection naturelle. Pour, « devenir
ce qu’il est », selon les termes de Nietzche, l’homme prendra le relai de
la création de la main de « Dieu ». La convergence de la
biotechnologie et de l’informatique laisse en effet prévoir la « fin de
l’homme » et la naissance d’une post-humanité probablement constituée de
cyborgs (c’est à dire d’organismes cybernétiques) asexués et presque immortels.
Ces êtres avancés seront des hommes transgéniques dans lesquels on aura
implanté un ordinateur connecté à la fois à leur cerveau et à un réseau infiniment
plus performant que celui d’aujourd’hui.
Parallèlement, les hommes entreront sans doute en contact avec des êtres
intelligents habitant d’autres planètes et ayant sans doute leurs propres
dieux.
On peut se demander dans ces conditions quel sera le
sort de nos religions révélées actuelles et quelle place occupera la foi dans
un monde de plus en plus « désenchanté ». Il est probable que la post-humanité
qui apparaîtra au cours du troisième millénaire aura pour les religions
du Livre le même regard que celui que nous jetons aujourd’hui sur les
divinités de l’Egypte antique et ses hiéroglyphes sacrés.
La mort des religions révélées ne signifiera cependant
sans doute pas la mort d’une forme de
théisme et de la morale naturelle. La science et la philosophie ne
répondent en effet qu’au besoin de la raison. Il est donc probable que la quête
de sens et d’éthique et d’une forme de religiosité auront toujours leur place dans le monde de demain. A
moins que le nouvel homme cloné, cybernétique et asexué décrit par Houellebecq dans
Les particules élémentaires ne
soit également dépourvu de cœur, ce qui signifierait également la mort de
l’amour et de l’art.
De quel type de religion s’agira t-il ? La
tendance actuelle au syncrétisme signifierait-elle qu’une nouvelle religion
universelle voit le jour ? A moins que ne l’emporte le courant individualiste
et éclectique conduisant au refus des vérités toutes faites, et qu’à la limite
chacun se fasse sa propre religion ? La fascination de l’Occident pour le
Bouddhisme, religion ou plutôt sagesse sans dieu, et l’abandon par le
christianisme de beaucoup de croyances autrefois inébranlables, laisse prévoir
que la sphère de compétence de la, ou des, religions de demain sera plus
étroite. Se focalisant davantage sur les questions morales, elles feront définitivement
l’impasse sur les visions naïves, comme celles encore héritées de la Bible, et
sur les assertions que la science peut réfuter. C’est le cas par exemple de la
croyance en l’existence d’une âme immortelle séparée du corps vouée à un
paradis ou un enfer eternel ou à la fusion ultime dans le Brahman suprême.
De son côté la science deviendra moins matérialiste. La physique
quantique a montré qu’au niveau subatomique, l’univers ressemblait plus à une
vaste pensée qu’à une immense machine. Sa réalité fondamentale sous-jacente est
celle d’un champ immatériel doté d’intelligence et d’une certaine
« liberté ». Plus la science progresse, plus se confirme qu’il y a
une limite physique au-delà de laquelle notre seule raison est impuissante à
expliquer la réalité. Cet effondrement d’un modèle réducteur purement
matérialiste et déterministe est une réhabilitation des thèses idéalistes et
spiritualistes par la physique moderne et pourrait laisser entrevoir une convergence entre la
religion et la science. Les particules élémentaires auraient de ce point de vue
une certaine analogie avec les intuitions de la tradition ésotérique, la notion
d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit absolu de Hegel. Cette convergence
peut mener à une nouvelle étape du savoir, une « métascience » qui
succédera à la métaphysique. Ce « métasavoir » métalogique et
holistique intégrera, dans des états supérieurs de conscience, rationalisme et
mysticisme en dépassant les catégories du langage et nos schémas de pensée
dualistes. Il sera peut-être fondé, non seulement sur l’héritage intellectuel
et moral de l’humanité mais sur celui d’habitants d’autres planètes. Il n’est
même pas impossible qu’ils inventent ensemble une nouvelle divinité moins humano
centrique et se rapprochant plus de l’Etre qui Est.
Ibrahim Tabet
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