Tuesday, December 22, 2015

Se faire sa propre religion

Ayant reçu une éducation chrétienne   j’ai longtemps gardé la foi,  et  il ne  me serait   jamais  venu à l’esprit de douter  de l’existence  de Dieu,  même après  n’avoir plus entretenu avec l’église qu’un commerce épisodique.   Comme la plupart des croyants, je ne me posais pas trop de questions sur les fondements du dogme chrétien  et   ma méconnaissance de l’islam et des autres religions était presque totale. Puis, les circonstances de la vie et mes lectures m’ont amené   à  devenir  agnostique ; posture intellectuelle  différente du   matérialisme athée et   fondée sur le questionnement.  Eclectisme  ou méfiance à  l’égard de tous les dogmatismes ? Je  préférais  me laisser dire qu’il  vaut mieux  à  tout prendre se faire sa propre religion qu’avoir une religion toute faite. Que  spiritualité, morale  et  croyance en Dieu ne sont pas nécessairement liées. Idées qui rejoignent  celles des sagesses  asiatiques   qui ne sont pas exclusives et qu’exprime la phrase de  Gandhi : « chaque homme va à Dieu  à  travers ses propres dieux ». Sans compter que les religions monothéistes peuvent  être la matrice  « d’identités meurtrières », titre d’un livre d’Amin Maalouf.   Alors que l’Empire romain païen admettait tous les dieux dans son Panthéon,  le  peuple juif fut celui qui s’opposa le plus farouchement à cette intégration, suscitant l’incompréhension d’Hadrien dont les mémoires imaginaires décrivent le fanatisme sous la plume de Margueritte Yourcenar.
Il se peut que le syncrétisme propre à  l’Antiquité et le   brassage des religions propre à l’Extrême-Orient    préfigure les croyances de demain. L’Orient a emprunté à l’Occident  ses techniques et il est naturel que l’Occident reconnaisse la supériorité de l’Orient en matière spirituelle. Plus l’humanité évoluera, moins elle  se satisfera de prêt-à-porter  en matière religieuse.   Et plus, selon les mots de Sartre,   « chaque homme devra inventer son chemin »  dans la voie tracée par Nietzche  dans  Ainsi parlait Zarathoustra, ou par « Al Mostapha », Le Prophète de Khalil Gibran.
De même qu’un paysage peut être peint selon une infinité  de styles et de sensibilités. Que certaines églises réutilisent parfois les  colonnes éparses de temples écroulés,  je me disais  qu’il faut construire  sa propre vision du monde, sa propre « weltanschauung ».  Gravir sa propre échelle de valeurs. Ecrire ses propres lois. En recueillir les préceptes aux sources de toutes les sagesses, comme on rédigerait amoureusement sa propre anthologie poétique personnelle. Démarche davantage éthique qu’esthétique.
  La liberté de choisir sa propre voie ne peut qu’amener à découvrir la parenté existant entre toutes les religions. Pour la Kabbale, les mots de tous les Livres sacrés seraient des permutations différentes d’un seul et même verbe divin. Rien n’illustre mieux cette parenté  entre les religions que les ressemblances et les correspondances existant  entre leurs  mythes, leurs  symboles et leurs  rituels à toutes les époques et en tout lieu. 
Il existe une troublante parenté  entre la Trinité chrétienne et la pensée ésotérique de Pythagore pour qui le « Un » et le « Trois » formant le tétragramme sacré  sont les deux premiers « nombres d’or », la clef de voute de l’univers.   Voici ce qu’en disait la théosophie ou sagesse des dieux : «  le microcosme homme est par sa composition ternaire : esprit, âme et corps à  l’image du macrocosme, monde divin, humain et naturel qui est lui-même l’émanation de Dieu, lequel est essence, substance et vie, Père, Mère et Fils. Une Mère devenue le Saint Esprit des chrétiens, la colombe symbolisant  à la fois la femme et l’esprit dans  les religions sémitiques.
Même en faisant la part du  symbolisme, il faut  vraiment avoir la foi du charbonnier  pour croire au récit biblique  de la création spontanée de l’univers et de l’homme considérés comme immuables. Aujourd’hui, à la différence des fondamentalistes protestants attachés à  la thèse  créationniste, presque personne n’en fait une lecture littérale. Par contre étonnamment proche  de la théorie scientifique actuelle est, d’après Hubert Reeves,  un des plus éminents astrophysiciens contemporains, la vision hindoue de la genèse de l’univers  symbolisée par  le dieu Shiva.  Incarnation de l’éternelle énergie cosmique, Shiva tient dans  sa main gauche supérieure  une langue de feu,  et dans sa main droite supérieure le tambourin, représentant la musique, symbole  de l’harmonie des lois de la nature. Les gestes des autres mains traduisent l’équilibre de la vie et de la mort dans le cycle  des réincarnations à l’issue duquel les  âmes sont destinées à  fusionner avec le Brahma  suprême. Cette légende écrit   Reeves dans  Patience dans l’azur rejoint la cosmologie moderne. Flamme  et musique  sont les deux pôles du Cosmos, à l’ origine est le règne absolu de la flamme. Le feu s’abaisse. La matière s’éveille et s’organise. La flamme fait place à la musique. Ainsi poursuit-il, en enchainant depuis le « Big Bang » les évolutions, nucléaire, chimique, biologique et anthropologique, on reconstitue l’odyssée de l’univers qui a finalement accouché de la conscience.     
Si  le mythe  d’Adam et d’Eve est considéré comme tel,  d’autres  croyances  font  toujours  partie intégrante  de la foi chrétienne,  comme celles de l’immortalité de l’âme,  du péché originel,  de l’existence  de l’enfer et du paradis et de la résurrection des corps à  la fin des temps. Mais est-il  vraisemblable que l’on soit éternellement damné ou récompensé pour des actes  mené au cours de notre bref passage sur terre   ?  Alors   que la science  découvre  que la distinction entre matière et esprit est moins nette qu’on ne pensait, la théorie hindouiste de la métempsychose me  semble être moins invraisemblable  que la vision judéo-chrétienne de l’au de-là. Après la mort nos atomes s’éparpillent  dans l’univers, pour se réincarner à l’infini,   dans d’autres combinaisons, dans d’autres corps, plus ou moins solides, plus ou moins éthérés. On sait que les atomes sont éternels, mais cela veut-il dire que notre identité survive indéfiniment aux  multiples recompositions subies par les particules de matière et d’esprit qui furent notre moi ?  Se peut-il qu’il en reste quelques traces ? Que la mémoire de notre bref passage sur terre continue toujours d’habiter telle ou telle particule disséminée dans l’univers, à la manière des fantômes habitant certaines vieilles demeures ?  Ou bien nos « âmes » sont elles destinées à  fusionner avec « l’âme  du monde » ou le Brahma suprême ?  Où se situent  le paradis  et l’enfer ?   Les hominidés à moitié singes étaient-ils dotés comme nous d’une âme immortelle ?   Et comment croire à  la résurrection des corps  et  à d’autres « mystères » insondables,  nom donné à  certains  mythes  par la religion ? 
Pour la science,  lumière, énergie, matière et « esprit » ne sont, pour employer des termes philosophico-religieux,  que plusieurs manifestations d’un même principe universel, plusieurs substances d’une même essence.  Cette découverte dément  le dualisme judéo-chrétien affirmant la séparation entre l’esprit et la matière et donne raison au monisme  philosophique qui a une  parenté avec le panthéisme de l’Antiquité. Bien que la science ne s’occupe pas du « pourquoi  »  qui ne relève pas de sa compétence, mais uniquement du « comment »,  arrivera-t-on un jour à concilier la foi et la science ? C’est ce qu’a tenté de faire le père Teilhard de Chardin. Pour lui le Cosmos tend naturellement vers la vie, la vie vers l’homme et l’homme vers l’ultra-humain dont la capacité de conscience sera de loin supérieure a la notre. Le « point Omega » vers lequel tend cette  évolution n’est autre que Dieu.  Mais sa  thèse a  été rejetée par l’Eglise.  Par contre les progrès de la physique quantique pour qui  la danse aveugle des  atomes n’est pas née du hasard  pourraient  laisser entrevoir une convergence entre la religion et la science.  Les particules élémentaires  auraient de ce point de vue une certaine analogie avec la notion d’âme du monde de la théosophie et l’Esprit Absolu de Hegel.
Cet Esprit Absolu  que nous appelons Dieu ne parle pas uniquement du haut des minarets. Il ne se trouve pas  non plus seulement au fond des  églises derrière les vapeurs de l’encens et à  la lumière vacillante des cierges allumés par la dévotion populaire. Il est partout, en nous, autour de nous,  sur notre minuscule planète et dans les étoiles qui parsèment la voute grandiose de la basilique de l’univers. Là    je me sens  le plus proche de Lui,  c’est  quand,  après une journée  dans le désert,   je contemple le ciel dans le silence religieux de la nuit. Nulle part ailleurs la pureté de l’air et l’horizon infini ne permettent  de voir scintiller autant d’étoiles.  «  Au commencement était la lumière ! »  Remontant par la pensée au « big bang » primordial, je me dis que bien avant d’être à moitié singe, l’homme descend des étoiles.  Que  poussière galactique, nous retournerons à  nos  origines.  A notre  mort les atomes de  notre âme  seront happés par un quelconque trou noir    ils rejoindront ceux des autres âmes pour  se fondre dans l’âme du monde.  Et cela m’aidait à oublier nos querelles futiles de clocher et de minaret.
 Un jour  j’ai regardé une émission sur le cosmos sur Arte. Il y avait des images magnifiques de notre galaxie. Celle-ci comprendrait deux-cent milliards d’étoiles et la distance entre la terre et son centre serait de vingt-cinq mille années-lumière. Les autres galaxies se comptent par milliards. Un des scientifiques interrogés déclara qu’il était peu probable que nous soyons seuls dans l’univers et qu’il existe peut-être, rien que dans notre galaxie, des centaines de civilisations dont certaines sont sans doute plus avancées que la nôtre. Pourquoi dans ces conditions me suis-je dis, Dieu, s’il existe, aurait-il dépêché le Christ et les prophètes pour assurer le salut des  seuls habitants de notre grain de sable appelé terre ?  Les habitants des autres planètes ont-ils d’autres dieux, d’autres prophètes, d’autres Livres sacrés ? 
Malgré ces questionnements mes connaissances religieuses  restaient  cependant superficielles jusqu’aux  recherches que j’ai été amené à faire à  l’occasion de la rédaction de mon livre : Le Monothéisme le pouvoir et la guerre.   Bien que traitant  essentiellement des rapports entre la religion et l’Etat,  il  ne pouvait pas ne pas  aborder  l’histoire proprement dite des religions. Thème que mon prochain  ouvrage se propose de développer  en  se focalisant plus particulièrement  sur la genèse de  l’idée de Dieu


Ibrahim Tabet 

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