Thursday, June 22, 2017

Vers un rétablissement de zones d’influence  au Levant ? 
    
Les  accords Sykes-Picot de 1916  relatifs au  partage des provinces arabes de l’empire ottoman entre la  France et la Grande Bretagne avaient débouché sur l’établissement de protectorats (avalisés par des mandats de la SDN) sur les Etats du Levant et le tracé de leurs frontières, sans qu’ils aient voix au chapitre. Les guerres  en Irak et en Syrie peuvent-elles remettre en question leur intégrité territoriale ?  Peut-on faire un parallèle entre la tutelle exercée sur eux par les deux anciennes puissances coloniales et leur partage en zones d’influence qui semble se dessiner entre l’Iran la Russie et les Etats-Unis ? Ces derniers qui avaient supplanté la France et l’Angleterre dans la région après l’affaire  de Suez se sont confrontés à l’URSS durant la guerre froide. Devenus la seule superpuissance après l’implosion de leur rival communiste, les Etats-Unis  ont profité de ce vide de puissance pour tenter d’imposer un ordre régional conforme à  leurs intérêts et à ceux d’Israël. Quels seront  leurs relations avec la Russie après son retour sur la scène syrienne ? Se dirige-t-on vers un  accord américano-russe   sur le dossier  syrien ? Quelle sera la conséquence de l’hostilité envers l’Iran de l’administration Trump qui s’est érigée  en champion de la cause sunnite ? Alors que les deux puissances régionales musulmanes, la Turquie et l’Iran, étaient en position de jouer un rôle majeur en Syrie et en Irak, les errements politiques d’Erdogan  ont brisé ses rêves de grandeur néo -ottomans et il doit faire face à la menace  kurde. L’Iran au contraire apparaît  comme la grande puissance régionale, grâce en partie au boulevard que lui a ouvert Washington en détruisant l’Irak. Quant à celui-ci et à la Syrie qui font figure d’Etats faillis, ils ne sont pas d’avantages maîtres de leur destin qu’en 1920 et sont destinés à rester ballotés entre l’axe chiite, allié de facto à  la Russie, et l’alliance américano-saoudienne.   
Les tentatives avortées  d’unité arabe remettant  en question des frontières héritées de l’époque coloniale montrent qu’elles n’étaient pas totalement artificielles et que se sont  développés des nationalismes irakien et  syrien.  Mais,  depuis la montée de l’islamisme et de l’antagonisme chiito-sunnite, les sentiments d’appartenance ethnique ou confessionnelle l’emportent sur le nationalisme. Les  frontières extérieures de la Syrie et de l’Irak ne seront probablement pas remises en question. Mais le Kurdistan irakien forme déjà une entité quasi indépendante et le statut des régions sunnites reprises à Daech est incertain. A moins d’y exercer  une répression génératrice d’un nouveau soulèvement, le gouvernement de Bagdad dominé  par les chiites  devra sans doute leur concéder une large  autonomie qui consacrerait la transformation de l’Irak en une lâche confédération où l’influence de l’Iran restera prépondérante.  En Syrie Daech sera probablement évincé  par les forces soutenues par les Américains de la région qu’il occupe encore. Mais, à part la confrontation engagée entre ces dernières  et les forces du  régime appuyé par l’Iran et le Hezbollah pour contrôler le sud de la frontière syro-irakienne, il est peu probable que les autres lignes de front, bougent de manière significatives, comme semblent l’indiquer les accords d’échanges de population conclus entre le régime et l’opposition. Accords qui ne présagent en rien les chances d’une entente sur une transition  politique dans un avenir prévisible. On se dirige donc probablement vers la création de facto de plusieurs cantons ethniques ou confessionnels. Un canton constitué de la « Syrie utile » gouverné par le régime, sous tutelle russe et dans une moindre mesure iranienne et regroupant la majorité de la population, y compris une importante composante alaouite, chrétienne et druze. Deux cantons sunnites, l’un dans le gouvernorat d’Idlib et l’autre dans la vallée de l’Euphrate comprenant Raqqa, placée sous protectorat américain. Ce protectorat englobera aussi le canton kurde dans le nord-est du pays, séparé de la petite enclave kurde d’Ifrin par un couloir occupé par l’armée turque. Quant à la frontière stratégique allant de Deir el Zor à Tanf, son  sort dépendra de l’issue des combats sur ce théâtre d’opérations.  Reste à savoir si cette division de facto sera transformée à terme en une fédération de jure. En attendant, tant que le régime restera au pouvoir à Damas, les Occidentaux et les pays du Golfe ne seront pas prêts à financer la reconstruction de la Syrie avec comme conséquence le fait que la majorité des réfugiés syriens dans les pays voisins ne puissent pas regagner le pays.
Ce risque affecte plus particulières le Liban. Une étude réalisée par un « think-tank » de l’ESA sur les conséquences de la crise des réfugiés syriens  prévoit qu’entre un-tiers et deux-tiers de ceux-ci (estimés à 1.500.000) resteront dans le pays. D’après cette étude, l’UE et les pays du Golfe sont déterminés à les maintenir sur place, même au risque de compromettre la survie du Liban. En fonction de l’évolution du conflit syrien, du nombre de réfugiés restants et du degré de résilience du système politique libanais, trois scenarios sont possibles à l’horizon 2030. Scenario A : le conflit syrien ne prend pas fin dans un avenir prévisible. Le nombre de réfugiés dépasse le million. Les tensions sectaires  augmentent. L’Etat libanais s’effondre et le pays se divise de facto puis de jure en cinq cantons, deux à  dominante chiite (au Sud et à la Bekaa) sous influence iranienne, deux  sunnites (au Nord et à Saida) sous influence saoudienne, et un druzo-chrétien dans l’ancien  Mont-Liban. Beyrouth restant  le siège des  quelques institutions communes. Scenario B : le régime syrien  contrôle  toujours la « Syrie utile ». Près de la moitié des réfugiés retournent chez eux. Ceux qui restent (environ 750.000) s’organisent  en lobby,  mais le gouvernement est  paralysé et n’entreprend  aucune mesure pour affronter la situation.  Scenario C : Une solution au conflit syrien  est trouvée, la Syrie est réunifiée et sa reconstruction commence. Environ deux tiers des réfugiés retourne chez eux et le nombre de réfugiés  restants  se stabilise autour de 500.00O. L’UE et les pays du GCC proposent une sorte de plan Marshal au Liban à condition qu’il  les intègre. Malgré l’opposition d’une grande partie de la population le gouvernement est contraint de l’accepter. Les Palestiniens  réclament et obtiennent le même statut.  Les institutions libanaises sont réformées dans le sens d’une sécularisation. L’économie reprend  grâce à l’aide internationale et aux investissements étrangers, mais l’émigration des chrétiens s’intensifie. L’étude considère  que ce dernier scenario est le plus souhaitable alors que c’est  le pire.   

Ibrahim Tabet    

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