Diversité des
religions, similarité des voies mystiques
Les religions n’ont
pas la même conception de Dieu. Le Dieu trinitaire chrétien n’est pas celui du
Coran ou de la Torah et le Dieu personnel des trois religions monothéistes
n’est pas le Brahman, l’Absolu impersonnel de l’hindouisme qui coexiste
avec des milliers de dieux dont ils sont l’émanation ; tandis que le
bouddhisme est une religion sans Dieu, quoique féconde en déités. Ces
différentes perceptions du divin et les traditions religieuses qu’elles ont
créées ont été conditionnées par l’histoire, la culture et le langage des
contrées où elles sont nées. Cela dit, au-delà de ces différences, toutes
les religions adorent la même réalité divine, mais chacune à sa manière. Et il existe une
parenté entre les voies des mystiques néoplatoniciens, juifs, chrétiens,
musulmans, hindouistes, taôistes ou bouddhistes. Représentant la forme la plus
élevée de spiritualité, la mystique est une quête personnelle du Dieu caché qui
réside dans le cœur de chacun par la pratique d’une ascèse visant à se détacher
du monde. Pour Plotin, philosophe mystique néoplatonicien, l’homme appartient
par son corps à la matière illusoire mais il est par son âme, un fragment de
l’Intellect suprême et du Logos créateur. Le salut pour lui ne peut résulter
que de la reconnaissance de sa véritable nature qui n’est accessible que si
l’on parvient à s’élever au dessus de la condition sensible jusqu'à l’extase,
rencontre avec le divin, source de toute félicité vers lequel l’âme se fond
après s’être purifiée. « J’essaye de faire remonter le divin qui est en
nous au divin qui est dans l’Univers » furent ses dernières paroles.
A la fois philosophie et méthode de
délivrance permettant d’échapper au cycle des réincarnations, le yoga joue un
rôle central dans l’hindouisme. Soumission du
corps dans un but spirituel, Il expose le cheminement du yogi en huit
étapes à l’issue desquelles il redécouvre son identité avec le Brahman, ce qui
constitue en soi la délivrance suprême. Pour
l’école philosophique du Vedanta, le soi
(atman) est de même nature que le Brahman,
la réalité ultime indifférenciée. Elle prône la théorie de l’unicité absolue et
de l’équivalence de toutes les religions. Son plus grand maître,
Ramakrishna, a déclaré avoir atteint
l'Absolu à travers chacune des grandes traditions mystiques, indiquant ainsi
que pour lui, toutes les voies mènent à la même Réalité, une et indicible. Une
de ses voies étant le bouddhisme Zen qui conduit à l’Eveil par la méditation assise dans la posture du
Bouddha. Le taoïsme est une doctrine philosophique religieuse et
mystique qui conçoit le Tao comme un principe cosmologique et un absolu
suprasensible et ineffable auquel on
peut accéder à travers des techniques de maîtrise du souffle et de
concentration, première étape d’un long processus comprenant une ascèse de plus
en plus exigeante.
Dans le judaïsme la Kabbale est un courant ésotérique
et mystique visant à déchiffrer le livre de la création du monde par le Dieu
inconnaissable. En Occident les chrétiens furent plus lents à développer une
tradition mystique comparée aux Byzantins et aux musulmans. Maître Eckhart développe une mystique métaphysique prônant
un détachement de tout ce qui n'est pas Dieu. Pour lui, il s’agit de permettre à l’homme de
devenir par la grâce ce que Dieu est par nature. La part mystique et
contemplative de la religion est plus grande dans l’orthodoxie que dans le
catholicisme. La mystique
orthodoxe trace ses origines dans l’expérience des Pères du désert de la purification
de l’âme par la prière du cœur permettant la communion avec Dieu dans la
solitude. Grande figure de la spiritualité monastique, saint Jean Climaque formule
la doctrine de l’hésychasme : prière perpétuelle de l’âme s’adonnant à
la contemplation, loin du monde dans le silence.
A partir de là on peut parvenir à la parfaite indifférence aux choses de la
terre, c’est l’ultime degré avant l’union avec Dieu. La mystique musulmane, le
soufisme, est influencé par le monachisme
chrétien, l’illuminisme persan, l’extase hindoue et la kabbale juive. « L’état spirituel de baqâ’ (pure « subsistance » hors de toute forme),
auquel aspirent les contemplatifs soufis, est le même que l’état de moskha, la délivrance dont
parlent les doctrines hindoues, comme l’extinction (al fanâ) de l’individualité, qui précède la
« subsistance » est analogue au nirvâna. De même que dans le
bouddhisme on s’élève par degré aux plus hauts points de l’anéantissement de
l’individualité en suivant un chemin composé de huit parties, le « noble
sentier », de même le soufisme a aussi son chemin, sa tariqa, avec des degrés de perfection. Il vise à revivre
personnellement par la voie mystique (tarîqa)
la vérité spirituelle du message du Prophète, au-delà de la donnée littérale de
la Révélation (charia). Il
représente l’aspect ésotérique de l’islam, qui se distingue de l’islam
exotérique au même titre que la contemplation directe des réalités spirituelles
- ou divines - se distingue de l’observance des lois. L’amour tient
une place centrale dans l’enseignement des maîtres soufis qui considèrent
la station spirituelle qui y est associée comme une des plus insignes qui
soient. Un autre élément commun à tous les
soufis, est le zikr ou
« invocation », qui consiste à se remémorer Dieu, notamment en
répétant son nom de manière rythmée ou selon des formules traditionnelles
tirées du Coran, telles que la shahada. Le zikr
est considéré comme une pratique purificatrice de l'âme, car on
juge que le nom d'Allah possède une sorte de valeur théurgique Ardent mystique,
Ibn Arabi développa une doctrine métaphysique reposant sur l’unicité absolue de
l’Etre « Wahdat al woujud » qui rejoint le monisme philosophique
néoplatonicien et la doctrine hindouiste de la non-dualité entre le Tout, le
Brahman, et l’individu qu’exprime le mantra « Tat Vam Asi » (« ceci
est toi »).
Ibrahim Tabet
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